L’augmentation de capital destinée à financer l’acquisition des actions irrégulièrement auto-détenues par la filiale n’est donc pas une opération illicite.
Source : Cour de Cassation, Chambre commerciale, 12 Mai 2021 (N°19-17.566)
En principe, la souscription par la société de ses propres actions ou ses parts sociales est interdite. Néanmoins, le « rachat » de ses propres titres est autorisé, pour les Sociétés par actions (SA et SAS) sous certaines conditions et selon certaines modalités prévues aux articles L225-207 et suivants du Code de Commerce.
Notamment :
Pour réduire le capital social, l’assemblée générale peut autoriser le rachat d’un nombre d’action déterminé dans l’objectif de les annuler immédiatement (article L225-207 du Code de Commerce),
Mais pas seulement, trois autres hypothèses sont envisageables :
Pour les conserver et dans un délai d’un an, les attribuer aux salariés (article L225-209 du Code de Commerce).
Pour les conserver et dans un délai de cinq ans, les attribuer aux actionnaires dans une procédure de mise en vente (article L225-208 du Code de Commerce)
Pour les conserver et, dans un délai de deux ans, les remettre en paiement ou en échange dans le cadre d’une opération de croissance externe, de fusion, de scission, d’apport (article L225-209 du Code de Commerce)
Dans certains cas, les sociétés ont donc la possibilité d’acquérir leurs propres titres, et les conserver, sans être tenues de les annuler et réduire corrélativement leur capital social.
Le Code de commerce prévoit plusieurs conditions de détention, notamment :
Un plafond de détention fixé à 10 % au total de ses actions, y compris les actions détenues par des prêtes noms, c’est-à-dire des personnes agissant en leur nom mais pour le compte de la Société (L225-210 du Code de Commerce). Par exception le plafond est fixé à 5% lorsque le rachat concerne les opérations de croissance externe susmentionnées.
Le maintien des capitaux propres : L’acquisition d’actions ne doit pas avoir pour effet d’abaisser les capitaux propres de la Société acheteuse à un montant inférieur à celui du capital augmenté des réserves non distribuables (c’est-à-dire, les réserves légales et éventuellement les réserves statutaires complémentaires) ;
La conservation de réserves au moins égale à la valeur de l’ensemble des actions qu’elle possède directement ou par l’intermédiaire d’un prête nom (en dehors des réserves légales). Les sommes doivent être considérées comme indisponibles pendant la durée de la détention par la société de ses propres actions.
L’obligation d’acquérir des actions sous la forme nominative et de les libérer entièrement.
Ainsi, l’assemblée générale ordinaire précise les finalités de l’opération envisagée, et définit le nombre maximal d’actions dont elle autorise l’acquisition, le prix, et la durée de l’autorisation.
Si les actions rachetées par la société ne sont pas utilisées dans les délais et pour les finalités légalement fixées, l’article L225-209-2 prévoit que les actions auto-détenues seront annulées de plein droit.
L’article 225-214 considère par contre qu’en cas de violation des dispositions des articles L225-206 à L225-209 et L225-210, les actions irrégulièrement auto-détenues doivent être cédées dans un délai d’un an à compter de leur acquisition.
À l’expiration de ce délai, le législateur prévoit que ces dernières doivent être annulées si elles n’ont pas été cédées.
Quid des actions qui n’ont pas fait l’objet d’une décision sociétaire ?
Aucune disposition légale ne prévoit l’annulation de plein droit des actions à l’expiration du délai susmentionné. En conséquence l’annulation des actions, et la réduction du capital corrélative ne peut résulter que d’une décision de l’Assemblée Générale Extraordinaire des associés, seule compétente en matière de modification des statuts.
Ainsi, tant que cette annulation n’est pas intervenue, les actions semblent continuer d’exister.
Quid de la validité des opérations dont elles pourraient faire l’objet ?
Plus précisément, les cessions d’actions qui interviennent postérieurement à l’expiration du délai d’un an, doivent-elles être considérées comme illicite ?
S’opposant à une partie de la Doctrine qui considérait que les cessions d’actions irrégulièrement détenues depuis plus d’un an, seraient entachées de nullité automatique puisque n’auraient pas de contenu licite, la Cour de cassation a rejeté, dans son arrêt du 12 Mai 2021 un pourvoi formé sur ce fondement.
« Pas de nullité sans texte ».
Même si cet adage n’a en lui-même aucune valeur juridique, il est repris en droit prétorien par certaines jurisprudences qui paraissent se fonder sur ce dernier, notamment la Cour d’Appel de PARIS, dans son arrêt du 21 Mars 2000, qui considère que la violation d’une disposition de la loi du 24 Juillet 1966 relative aux sociétés commerciales, même sanctionnée pénalement, n’est pas génératrice de nullité si la loi ne l’a pas prévue.
C’est également en ce sens que s’est positionnée la Cour de cassation dans l’affaire visée.
En l’espèce, une SA détenait irrégulièrement 9,5% de son propre capital. Son actionnaire majoritaire, une SAS, décide, pour remédier à la situation, d’organiser en interne, une augmentation de capital afin de financer l’acquisition des actions auto détenues irrégulièrement par sa filiale.
Certains actionnaires renoncent à leur droit préférentiel de souscription au profit de deux d’entre eux, l’un directement, et l’autre, par le biais d’une société (agréée par les actionnaires). Deux époux (actionnaires) ont présenté deux sociétés qui se sont vu rejeter l’agrément des autres actionnaires, et n’ont ainsi pas pu souscrire à l’augmentation de capital. Ils ont donc été dilué (de 28% à 23,6%).
L’augmentation de capital est réalisée permettant à la SAS d’acquérir 6.96 % des actions auto-détenues par sa filiale, et 2.5 % des actions restantes sont cédées un investisseur financier.
Les époux, mécontent d’avoir été dilués, assignent la SAS pour faire annuler l’augmentation de capital, et les délibérations et actes ultérieurs s’y rapportant, puis sollicitent la condamnation solidaire des actionnaires sur le fondement de la fraude et l’abus de majorité. Ils considérent d’une part, avoir été placé dans l’impossibilité de souscrire à l’augmentation de capital au regard de sa brutalité et du court délai de souscription, et d’autre part que l’opération reposait sur un objet illicite puisque les actions auraient dû, à leur sens, être annulées.
Débouté en 2019 par la Cour d’Appel de VERSAILLES, ces derniers se pourvoient en cassation, et lui reprochent notamment d’avoir violé l’article L225-214 du Code de Commerce qui dernier prévoit :
« Les actions possédées en violation des articles L. 225-206 à L. 225-210 doivent être cédées dans un délai d’un an à compter de leur souscription ou de leur acquisition.
À l’expiration de ce délai, elles doivent être annulées ».
Selon eux, les titres auraient dû être annulé, donc par voie de conséquence, l’augmentation de capital, reposant sur la cession desdits titres, était par essence une opération illicite.
La Cour d’Appel a pourtant considéré que l’absence d’annulation, par l’AGE, des actions auto-détenues, rendait ces dernières entièrement cessibles, et qu’ainsi l’opération d’augmentation de capital ne pouvait être considérée comme constituant une opération illicite.
Les demandeurs au pourvoi se sont heurtés aux juges de la Haute Cour, qui ont rejeté le pourvoi en constatant, dans un arrêt inédit qu’aucune nullité automatique n’est prévue par le texte susmentionné, et qu’alors, un vote de l’assemblée générale est en effet nécessaire pour prononcer la nullité des actions en cause.
Ainsi, les actions litigieuses n’ayant pas fait l’objet d’une annulation par l’AGE, elles pouvaient être librement cédées à la holding. L’augmentation de capital ne constitue pas sur une opération illicite.
En conclusion, bien que l’article L225-214 du Code de commerce impose l’annulation des actions irrégulièrement auto-détenues, il n’y a pas pour autant de nullité automatique prévue par le texte. Tant qu’elles ne sont pas annulées par l’AGE, les actions irrégulièrement auto-détenues demeurent entièrement et légalement cessibles.
Eléonore CATOIRE