Par suite de l’annulation d’une vente aux enchères pour erreur sur l’attribution d’un tableau, la disparition dudit tableau rend impossible la restitution en nature de celui-ci et met les juges dans l’embarras pour fixer le point de départ des intérêts au taux légal pouvant être réclamé par le vendeur. Cet arrêt illustre une fois de plus l’apport du droit du marché de l’art en matière de droit des contrats et en particulier sur l’erreur en tant que vice du consentement (cf. Article Le Radeau de l’excuse).
Source : Cour de cassation – Première chambre civile, 9 avril 2025, n° 23-21.479
I – Faits et procédure
Le 3 décembre 1998 a lieu une vente aux enchères publiques organisée à l’hôtel Plaza Athénée au cours de laquelle un commissaire-priseur, assisté d’un expert met en vente un tableau intitulé « Femme ajustant son chapeau ». Le pastel est adjugé à 1.950.000 francs prix marteau (soit 297.275 € et 32.266 €) à une SA.
Cette dernière souhaite revendre le pastel dès mars 1999 et va trouver Christie’s qui refuse de s’occuper de la vente dudit tableau et émet des doutes quant à son authenticité. Une ordonnance du 23 février 2000 désigne un expert judiciaire pour donner son avis sur la toile, son rapport déposé le 2 avril 2001 conclut à la grande qualité du pastel qui ne serait pas un faux mais aurait été mal attribué, le rapport fait état d’une autre attribution possible et d’une estimation de l’œuvre entre 800.000 et 1.000.000 francs.
Le 2 juillet 2001, l’adjudicataire assigne le vendeur en nullité de la vente ainsi que le commissaire-priseur et l’expert en responsabilité.
Par jugement du 19 mai 2006, le tribunal de grande instance de Paris constate la nullité de la vente, condamne le vendeur à restituer à l’acheteur le prix de vente, ce dernier étant condamné à restituer le tableau. Le vendeur initial fait appel de la décision et par arrêt du 24 juin 2008, la Cour d’appel ordonne une expertise avant-dire-droit.
Problème… le tableau a disparu et ne sera jamais retrouvé, la plainte pour vol est classée sans suite pour infraction non caractérisée et auteur inconnu.
Après le décès du vendeur initial, deux radiations du rôle et deux réinscriptions au rôle, la Cour d’appel de Paris a notamment, prononcé la nullité de la vente, condamné le vendeur à restituer le prix de la vente avec intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2021 date de l’assignation, dit que l’obligation de restitution de l’acquéreur n’était pas éteinte et a sursis à statuer sur les modalités de l’obligation de restitution du tableau compte-tenu de l’impossibilité de restitution en nature.
En conséquence, la Cour d’appel de Paris a de nouveau été saisie pour se prononcer sur la restitution en valeur du tableau et condamnera, dans un arrêt du 30 mai 2023, l’adjudicataire à payer au vendeur 137.204 € au titre de la restitution en valeur avec intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2001. Pourvoi est formé par l’acquéreur initial.
II – Quelle est la date de départ des intérêts au taux légal en cas d’impossibilité de restitution du tableau ?
La principale contestation de l’acquéreur repose sur le point de départ des intérêts au taux légal. La Cour de cassation va en effet juger que le point de départ fixé à la date de l’assignation n’est pas le bon mais ne va pas suivre exactement la solution du demandeur au pourvoi qui prêchait pour un point de départ fixé à la date de la demande de restitution présentée par le vendeur.
Pour la Haute Cour, le point de départ des intérêts au taux légal doit être celui du jour où le juge statue, c’est-à-dire la date de « la décision qui fixe son montant [celui de la créance de restitution] ».
La Cour de cassation rend son arrêt au visa de l’article 1153 alinéa 3 du Code civil dans sa rédaction antérieure à celle de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, mais la solution reste valable puisque l’article précité a été repris par l’actuel article 1231-6 du Code civil qui fixe le point de départ encore plus tôt avec la mise en demeure. Elle fait l’analyse suivante :
- En cas d’obligations de paiement d’une certaine somme, les dommages-intérêts qui peuvent être réclamés en raison du retard de ce paiement sont les intérêts légaux dus au jour de la demande en justice (l’assignation) ;
- Mais en cas (i) de restitutions à la suite de l’annulation d’un contrat pour erreur sur la substance et (ii) de restitution en nature impossible, la créance de restitution en valeur n’est exigible qu’à partir de la fixation par le juge du montant (le jugement).
III – Pour aller plus loin
L’arrêt fait donc bien la distinction entre les dommages-intérêts dus en cas de retard dans le paiement d’une somme et la créance de restitution en valeur fixée par le juge. Cette solution est heureuse pour l’acquéreur qui obtient l’annulation de la vente pour erreur sur la substance et d’une certaine manière tout à fait logique.
En effet, l’erreur sur la substance qui fonde l’action en annulation de la vente rend nécessairement incertaine la valorisation du tableau et donc la créance en dommages-intérêts (qui consiste en un pourcentage d’une valeur inconnue) illiquide, c’est-à-dire qu’elle n’est ni déterminée ni déterminable tant qu’un juge ne soit intervenu pour fixer la valeur du tableau sur laquelle est assise le taux légal.
A la date du 2 juillet 2001, aucune valeur n’a été fixée pour le tableau, on sait simplement que l’attribution n’est pas la bonne depuis le rapport d’expertise. La valorisation du tableau qui est faite par le jugement de la Cour d’appel de Paris du 30 mai 2023 ne peut permettre de fixer rétroactivement la valeur du tableau en 2001.
Cependant la valorisation donnée par la Cour d’appel en 2023 se fonde sur le rapport d’expertise établi en 2001, et ce pour une valorisation donnée sur un marché de l’Art au sein duquel la cote d’un artiste est amenée à fluctuer, à la hausse comme à la baisse d’ailleurs.
Nous sommes donc ici dans la situation où le juge de 2023 valide la valorisation d’un tableau établi sur un rapport d’expertise de 2001, et où la Cour de cassation fait de ce jugement de 2023 le point de départ des intérêts au taux légal.
Si l’on peut suivre le raisonnement de la Haute Cour pour la fixation du point de départ des intérêts au taux légal, on peut néanmoins s’interroger sur la périodicité des éléments qui permettront de fixer la valorisation du tableau sur laquelle sont assis lesdits intérêts : la Cour d’appel de renvoi demandera-t-elle une estimation réactualisée du tableau ?