Le 4 décembre 2024, la Cour de cassation a rendu un arrêt particulièrement intéressant qui mêle droit des contrats et droit du marché de l’art. C’est loin d’être la première fois que l’art est une source jurisprudentielle en droit des contrats, et plus particulièrement sur la délimitation de l’erreur excusable, ou non ; on pense entre autres ici aux célèbres arrêts Poussin[1] et Fragonard[2]. L’arrêt du 4 décembre 2024 vient directement s’inscrire dans ce lignage.
Source : Civ. 1re, 4 déc. 2024, FS-B, n° 23-17.569
I – Faits et procédure
La propriétaire d’un tableau consulte une maison de ventes aux enchères avec le double objectif d’identifier l’auteur de celui-ci et de le proposer en vente aux enchères publiques. Pour ce faire, la propriétaire assistée de son fils remet à la société de ventes aux enchères l’ensemble des archives familiales, transmission intéressante et importante car la propriétaire du tableau était l’héritière d’un peintre dont le frère avait défendu Théodore Géricault lors de la réception critique du célèbre tableau du peintre, inspiration du jeu de mots douteux du présent article, Le Radeau de la Méduse.
Le 3 juin 2015, la vente a lieu. Le tableau, décrit comme « une huile sur toile « Visage alangui » XIXème siècle 46×56 cm. Provenance du tableau : Héritiers de XX » et estimé entre 200 et 300 euros, est adjugé pour un montant de 50.000 euros (60.500 euros frais de vente inclus) à une célèbre galerie de la rue Sainte-Anne.
La galerie revend le tableau le 10 juin 2015 pour un montant de 90.000 euros à une nouvelle galerie, de la rue Drouot cette fois, qui elle-même le revend le 15 juin 2015 pour un nouveau montant de 130.000 euros à un particulier qui refusera ultérieurement que le tableau soit expertisé.
En 2016, la propriétaire initiale du tableau décède et ses héritiers décident d’assigner la société de ventes volontaires et l’adjudicataire en annulation du contrat pour erreur sur la substance et en responsabilité de ladite société de ventes aux enchères.
En appel, la Cour d’appel de Paris[3] considère que l’erreur commise par la venderesse initiale est inexcusable et ne peut donc conduire à l’annulation du contrat de vente, elle relève notamment que celle-ci aurait du elle-même examiner les documents d’archives familiales qu’elle a confié à la société de ventes ce qui l’aurait conduit à envisager une attribution du tableau plus prestigieuse.
Quant à la responsabilité de la société de ventes aux enchères, celle-ci n’est pas retenue, la preuve d’une faute et le lien de causalité avec le préjudice n’est pas rapportée, l’estimation dérisoire n’a pas fait obstacle à une adjudication beaucoup plus importante et le recours à une expertise n’étant pas une obligation au regard des obligations déontologiques qui pèsent sur les maisons de vente. Le fils de la venderesse avait par ailleurs demandé une expertise sur une partie des lots de la vente, qui en comptait plus de 200, cette demande ne concernait pas le tableau litigieux.
Les héritiers décident donc de se pourvoir en cassation et la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel de Paris : l’erreur est excusable et la responsabilité de la société de ventes aux enchères ne peut être écartée.
II – La transmission des archives familiales, cannibale de l’erreur inexcusable
A titre liminaire, il convient de rappeler que le contrat conclu l’a été antérieurement au 1er octobre 2016 ce qui exclut l’application de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 et conduit la Cour de cassation à rendre son arrêt au visa des anciens articles 1109 et 1110 du Code civil.
En premier lieu, la Haute Cour rappelle, au visa des articles précités, que la nullité du contrat ne peut être prononcée qu’en présence d’une erreur excusable du vendeur sur les qualités substantielles de la chose vendue. En matière d’œuvres d’art, on sait depuis l’arrêt Poussin précité que l’erreur du vendeur portant sur l’authenticité d’un tableau est une cause de nullité. Et l’arrêt Fragonard, également précité, permettait de préciser que le doute concernant l’authenticité du tableau au moment de la conclusion du contrat empêchait l’erreur de constituer une cause de nullité : l’aléa chasse l’erreur.
Pour la Cour de cassation, le vendeur qui transmettrait toutes les informations en sa possession concernant la chose vendue au professionnel chargé de la vente en s’en remettant à son avis rend l’erreur excusable, le professionnel n’ayant pas effectué les recherches permettant d’éviter l’erreur. En d’autres termes, la carence de la société de ventes aux enchères, professionnel du marché de l’art, a permis l’erreur sur l’authenticité du tableau, et cette erreur doit être qualifiée d’excusable et doit donc permettre d’annuler la vente.
L’absence d’examen de ses propres archives par la venderesse et son fils ne rend pas l’erreur inexcusable car la société de ventes aux enchères était elle-même en possession des mêmes archives. Elle avait d’ailleurs pu identifier le lien de parenté entre la venderesse et le peintre proche de Géricault et l’avait porté à la connaissance du public de la vente sans pourtant modifier son estimation initiale. La solution peut paraître logique. L’opérateur de ventes volontaires et son mandant sont placés sur un niveau d’accès à l’information identique par la transmission des archives familiales, leur carence dans la consultation de ces archives est elle-même identique, mais ce qui ne l’est pas c’est leur statut : l’un est un particulier qui dispose d’une certaine connaissance quant aux lots confiés, l’autre exerce une profession réglementée du marché de l’art.
La Cour de cassation illustre ici le fait que l’analyse du caractère excusable de l’erreur s’effectue in concreto. En tout état de cause, l’arrêt permet de dégager une certaine sécurité pour le propriétaire diligent d’une œuvre d’art dont il souhaiterait donner mandat à une maison de ventes, ou à tout autre professionnel du marché de l’art, en vue de la vendre. La lecture de l’arrêt invitera ce même propriétaire à fournir au mandataire tous les éléments qu’il a en sa possession pour l’aider dans sa mission d’authentification, et d’estimation.
III – La responsabilité de la maison de ventes aux enchères, fin du romantisme
La cassation du second moyen intervient au visa de l’article L.321-17 du Code de commerce et des articles 1.2.2 et 1.5.4 de l’arrêté du 21 février 2012 portant approbation du recueil déontologique des opérateurs de vente volontaire.
Le premier de ces textes rappelle l’engagement de la responsabilité de l’opérateur de ventes volontaires à l’occasion ventes aux enchères publiques. Quant au deuxième, il rappelle que ce même opérateur est soumis à un double devoir de transparence et de diligence à l’égard du vendeur. Enfin, le troisième rappelle qu’il effectue les recherches appropriées afin d’identifier l’objet confié en vue de la vente, et que le cas échéant il peut avoir recours à un expert.
Pour la Cour de cassation, le fait que la société de ventes aux enchères n’ait jamais été alerté sur le tableau litigieux et qu’il ne lui a pas été demandé d’expertise particulière concernant ce dernier n’est pas de nature à écarter sa responsabilité, notamment car elle était en possession de l’ensemble des archives familiales mais également en vertu des obligations déontologiques lui incombant.
L’arrêt permet de mettre en lumière la difficulté pour la maison de ventes d’écarter sa responsabilité. En effet, en-dehors d’une analyse approfondie de ces archives, rien ne permettait d’attribuer le tableau à un peintre de l’envergure de Géricault, simplement elle était en mesure de le faire par la possession des archives familiales, l’information était là encore aurait-il fallu prendre la peine de la chercher.
On peut néanmoins s’interroger sur la sévérité de la solution de la Cour de cassation, dans une vente de plus de 200 lots pour lesquels il était demandé une expertise pour certains d’entre eux, et pas pour le tableau litigieux. La société de ventes aux enchères ne peut être omnisciente, un simple regard ne permettant pas forcément de douter d’une attribution ou de fixer une authentification. La maison de ventes est par nature généraliste ou spécialisée sur certaines époques, certains courants ou tout simplement sur certains arts, d’où le rappel déontologique du recours à l’expert, encore faut-il savoir quels objets ou œuvres méritent de lui être confiés, notamment dans une vente qui, à la lecture de l’arrêt des juges du fond, semblait généraliste.
[1] Cass. Civ. 1ère, 22 février 1978, 76-11.551, publié au bulletin
[2] Cass. Civ. 1ère, 24 mars 1987, 85-15 .736, publié au bulletin
[3] CA Paris, 20 avril 2023, n°20/05076