Source : Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 9 décembre 2020, n° 19-14.016, Inédit
M. et Mme N ont consenti à leurs enfants, par acte reçu le 12 janvier 2008 par M. I, notaire, une donation portant sur 10 800 actions de la société CAFF en pleine propriété et 66 816 actions en nue-propriété, en demandant de bénéficier, au titre de la transmission de ces dernières, de l’exonération à hauteur de 75 % des droits d’enregistrement prévue à l’article 787 B du code général des impôts.
Un procès-verbal d’assemblée générale ordinaire de la société CAFF du 30 juin 2008 a mentionné la mise en place d’une nouvelle règle de gouvernance concernant les décisions sur les opérations. Ce procès-verbal n’a pas été suivi d’une mise à jour des statuts de la société.
Le 21 octobre 2011, l’administration fiscale a notifié à M. et Mme N une proposition de rectification des droits d’enregistrement au motif que l’obligation prévue au dernier alinéa de l’article 787 B du code général des impôts, de limiter, dans les statuts, le droit de vote de l’usufruitier aux seules décisions portant sur l’affectation des résultats, n’avait pas été respectée.
Un jugement du 14 février 2014, confirmé par un arrêt du 6 mars 2017, a rejeté la réclamation de M. et Mme N tendant à obtenir la décharge de l’imposition mise à leur charge.
M. et Mme N ont assigné leur avocat et leur notaire en responsabilité et indemnisation.
L’avocat ayant conseillé M. et Mme N sur l’opération de transmission fait grief à l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 15 janvier 2019 de le condamner, in solidum avec le notaire, à verser des dommages et intérêts à M. et Mme N. Il estime que les conditions posées par l’article 787 B du CGI, et notamment celle relative aux droits de vote de l’usufruitier (qui doivent être statutairement limités aux décisions concernant l’affectation des bénéfices), étant reprises dans sa consultation du 20 avril 2006, il n’est pas responsable de la mauvaise mise en œuvre par les clients de cette règle qu’ils connaissaient.
La Cour juge toutefois que :
« L’arrêt retient que l’intérêt de l’opération était de permettre à M. et Mme N… de bénéficier d’une exonération des droits de mutation, que l’avocat avait été chargé d’un mission à caractère général y compris fiscale, que, si sa première consultation mentionnait que l’application du dispositif fiscal était subordonnée à la condition que les statuts limitent le droit de vote de l’usufruitier aux décisions concernant l’affectation des bénéfices, les deux consultations suivantes n’en faisaient plus état tout en rappelant les autres conditions à remplir et qu’un manquement de l’avocat à son obligation d’informer de manière complète et précise ses clients est caractérisé.
Par ces énonciations, dont elle a déduit, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, que l’absence de modification des statuts ayant conduit à la privation de l’avantage fiscal escompté par M. et Mme N… était consécutive au manquement de l’avocat, la cour d’appel a légalement justifié sa décision de condamner celui-ci à réparer le préjudice subi par ses clients. »
Le notaire estime quant à lui qu’aucune faute ne peut lui être imputée au motif qu’il n’a pas à conseiller les clients sur les conditions de réalisation d’un acte qu’ils ont choisit de ne pas lui confier et pour lequel ils étaient assistés par un tiers professionnel.
La Cour juge toutefois que :
« Ayant retenu que le notaire, chargé de la rédaction de l’acte de donation, n’ignorait pas le but poursuivi par M. et Mme N… de bénéficier de l’exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit prévue à l’article 787 B du code général des impôts à l’occasion de la transmission des actions en nue-propriété à leurs enfants, et que, s’il avait rappelé les conditions à satisfaire pour bénéficier de celle-ci, il n’avait pas mentionné celle concernant la limitation statutaire du droit de vote de l’usufruitier, le seul visa du texte ne pouvant en tenir lieu, la cour d’appel en a justement déduit qu’il avait commis une faute dans l’exécution de son devoir d’information et de conseil. »
Enfin la Cour énonce :
« Et sans avoir à procéder à une recherche que ses constatations et énonciations rendaient inopérante, elle a légalement justifié sa décision en retenant que l’absence de modification des statuts ayant conduit à la privation de l’avantage fiscal escompté par M. et Mme N… était consécutive aux seuls manquements conjugués de l’avocat et du notaire et en les condamnant in solidum à réparer le préjudice subi par ces derniers. »