SOURCE : Cass com., 20 mars 2019, n°17-50.050, Inédit
La décision est certes inédite, mais son contenu de manquera pas de retenir l’attention des bailleurs ou leur mandataires au titre de la déclaration de créance de loyers au passif de la procédure collective du débiteur.
On le sait, à la lecture de l’article L622-24 du Code de commerce, « tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d’ouverture, à l’exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances » à peine d’inopposabilité de la créance à la procédure collective du débiteur.
Ainsi, toute créance dont le fait générateur est antérieur au jugement d’ouverture doit être déclarée, alors même que son montant ne serait pas encore définitivement fixé. A titre d’illustration, la créance de remboursement de taxe foncière, dont l’avis de mise en recouvrement de l’administration fiscale ne sera reçu par le bailleur qu’en fin d’année civile, doit être déclarée au passif du preneur à bail dans les deux mois de la publication au BODACC du jugement d’ouverture, même si ce jugement d’ouverture est rendu en début d’année civile. Dans ce cas, selon l’article L622-24 précité, ces créances « sont déclarées sur la base d’une évaluation ».
Il est donc acquis en jurisprudence que toute somme dont le preneur sera redevable envers le bailleur au titre d’une occupation des locaux antérieure au jugement d’ouverture doit faire l’objet d’une déclaration indiquant le montant de la créance (ou son évaluation si ce montant n’est pas fixé), les privilèges et sûretés du déclarant et la distinction des sommes échues et à échoir.
Le bailleur est également tenu de qualifier correctement sa créance qui ne saurait, à lire un arrêt du 12 juillet 2016[1], être qualifiée de « loyer » alors que le débiteur était, à la date d’ouverture de la procédure collective, occupant sans droit ni titre en raison de la nullité de la cession du fonds de commerce. Dans cet arrêt inédit, la Cour de cassation, approuvant la position retenue par les juridictions du fond, sanctionnait ainsi l’étourderie du déclarant qui n’avait pas déclaré ses créances comme « indemnité d’occupation » mais comme « loyer », en refusant toute requalification de la nature de la créance.
On oublie cependant que le rejet d’une créance, soit par absence de déclaration, soit par déclaration irrégulière ou tardive, n’est pas l’apanage du créancier maladroit, mais peut également concerner celui qui n’a pas su prévoir l’éventuelle mauvaise exécution, ab initio, d’un contrat conclu avec le débiteur avant l’ouverture de sa procédure collective. Ainsi :
– L’indemnisation des vices cachés d’un véhicule, acquis avant l’ouverture de la procédure collective, même si l’acquéreur en prend connaissance après l’ouverture de la procédure collective est une créance antérieure à déclarer[2] ;
– L’indemnisation d’un défaut de conformité des équipements objets d’un contrat signé avant l’ouverture de la procédure collective, quand bien même les équipements auraient été livrés après l’ouverture, doit être déclarée au passif[3],
– La mise en œuvre, après l’ouverture de la procédure collective du débiteur, d’une garantie d’actif et de passif consentie avant l’ouverture ne peut être poursuivie que si la garantie a été déclarée au passif[4].
La déclaration de créance sera d’autant plus importante si le créancier « éventuel » entend opposer la compensation de sa créance indemnitaire avec les sommes dues à son débiteur[5].
Un arrêt du 20 mars 2019 semble aller encore plus loin dans le raisonnement, en contraignant le créancier à déclarer une créance qui n’existe pas à la date de sa déclaration, mais qui est susceptible de naître rétroactivement si le débiteur fait postérieurement usage d’un droit reconnu. Plus clairement dit, un bailleur aurait dû anticiper, au stade de sa déclaration de créance, l’exercice éventuel postérieur du droit d’option du preneur consacré par le statut des baux commerciaux.
Dans cette affaire, qui mêle habilement droit des baux commerciaux et des entreprises en difficulté, le bailleur est propriétaire de différents lots donnés à bail à un preneur unique. Le bailleur lui signifie congé avec offre de renouvellement, à effet aux 1er avril 2008 pour l’un des lots et 15 décembre 2009, pour l’autre lot.
Les parties n’étant pas parvenues à s’accorder sur le montant du loyer du bail renouvelé, le juge des loyers commerciaux du TGI de Grasse est saisi de la difficulté, et fixe, par un jugement du 17 décembre 2013, le loyer du bail renouvelé, à un certain montant, avec exécution provisoire.
Le preneur interjette appel de la décision et parallèlement, par un jugement du 27 mai 2014 rendu par le Tribunal de commerce de Cannes, bénéficie d’une procédure de sauvegarde, conduisant le bailleur à déclarer en juillet 2014 ses créances de loyer au passif de la sauvegarde du preneur, pour un montant total d’environ 300.000 € à titre privilégié.
Par arrêts du 1er décembre 2015, la Cour d’appel d’Aix en Provence fixe le montant du loyer du bail renouvelé. Le 17 décembre 2015, c’est-à-dire dans le délai d’un mois qui suit cette décision définitive, le preneur exerce son droit d’option au sens de l’article L145-57 du Code de commerce, dont l’effet est l’anéantissement rétroactif du bail renouvelé à compter de la date d’effet du congé.
Le bailleur procède en conséquence à une déclaration de créance complémentaire le 7 janvier 2016, et assigne le preneur en fixation de l’indemnité d’occupation sur la période postérieure à 2008 – 2009.
La procédure de vérification du passif ne se déroulera pas exactement comme le bailleur l’avait prévu, nonobstant ses diligences. En effet la Cour d’appel d’Aix en Provence, retient qu’aucune déclaration de créance « d’indemnité d’occupation » n’a été réalisée :
«(…) il ressort ainsi clairement des termes de la déclaration que les créances déclarées sont bien des créances de loyers, aucune mention n’étant faite d’une éventuelle indemnité d’occupation qui serait due en cas d’exercice par le locataire de son droit d’option, la seule réserve exprimée concernant le montant définitif du loyer du bail renouvelé du fait de la procédure de fixation en cours ; que l’exercice par le preneur de son droit de renonciation au renouvellement du bail prévu par l’article L. 145-57 du code de commerce a pour effet d’anéantir rétroactivement le renouvellement du bail ainsi que les décisions judiciaires ayant statué sur la fixation du nouveau loyer ; que le preneur est en conséquence débiteur d’une indemnité d’occupation à compter de la date de non-renouvellement du bail ; que la société Jesta Fontainebleau ne peut donc pas prétendre à l’admission de créances de loyers, ce qu’elle ne fait d’ailleurs pas »
Le rejet de la créance du bailleur tenait ainsi à l’absence d’anticipation de l’exercice d’un éventuel droit d’option à l’issue de la procédure de fixation du loyer de renouvellement.
Le bailleur conclura également à la similarité entre les créances de loyer et d’indemnité d’occupation, les créances ayant le même fondement, à savoir l’occupation des locaux par le preneur. Il dénoncera également son impossibilité de déclarer des indemnités d’occupation avant l’exercice du droit d’option du preneur. Mais la Cour d’appel ne le suivra pas dans ses arguments :
« (…) qu’elle prétend toutefois que sa déclaration de créance du 28 juillet 2014 lui permet d’obtenir l’admission de ses créances d’indemnités d’occupation, qui se substituent de plein droit aux créances de loyers par l’effet de l’exercice du droit d’option du preneur, soutenant qu’il s’agit de créances de même nature procédant du même contrat de bail, et constituant pareillement la contrepartie de l’utilisation des locaux, et que le droit d’option n’ayant été exercé par le preneur que le 17 décembre 2015, il lui était impossible de déclarer les créances d’indemnités en découlant dans les délais prévus à l’article L. 622-24 du code de commerce ; que les dispositions des articles L. 622-24, L. 622-25 et R. 622-23 et le principe d’immutabilité de la déclaration de créance font cependant obligation au créancier de déclarer une créance précise, en produisant les justificatifs de son existence et de son montant, et non un cadre de créance permettant au créancier de modifier ultérieurement la nature et le fondement de la créance alléguée ; que contrairement à ce que soutient l’intimée la créance d’indemnités d’occupation n’est pas de nature contractuelle, elle procède non pas du contrat de bail mais du statut légal des baux commerciaux et repose sur un fondement différent de celui d’une créance de loyers ; qu’à la date d’ouverture de la procédure collective, la créance d’indemnités d’occupation était une créance éventuelle et prévisible, liée au droit d’option que le preneur pouvait exercer jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la signification de la décision à intervenir sur le prix du bail renouvelé, créance qu’il appartenait au créancier de déclarer en tant que telle ;
Le bailleur tentera enfin de faire qualifier les indemnités d’occupation de créances postérieures, sans plus de succès :
« que c’est par ailleurs à tort que la société Jesta Fontainebleau soutient subsidiairement que les créances d’indemnités d’occupation seraient des créances postérieures au sens de l’article L. 622-17 du code de commerce ; qu’en effet, l’indemnité due au titre d’une occupation antérieure au jugement d’ouverture doit être considérée comme étant née antérieurement au jugement d’ouverture ; (…) »
Dans son pourvoi, le bailleur sollicitera de la Cour de cassation la réformation de l’arrêt au travers de deux moyens :
1. Le premier fondé sur la compétence, estimant que ni le Juge commissaire, ni la Cour n’avait compétence pour statuer sur la recevabilité de la créance, alors qu’une instance était en cours sur la fixation du loyer au jour du jugement d’ouverture.
Pour la Haute juridiction, l’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Aix en Provence dans le cadre de la procédure de vérification du passif n’a pas porté sur le principe ou le quantum de la créance, mais sur la recevabilité ou la régularité de la seule déclaration de créance. Elle ajoute qu’aucune instance n’était en cours à la date d’ouverture de la sauvegarde en ce qui concernait la détermination de l’indemnité d’occupation…
2. Le second fondé sur la recevabilité de la déclaration en ce qu’elle n’évoquait pas la nature de la créance déclarée, mais uniquement qu’elle ressortirait d’une instance en cours en fixation d’un loyer de renouvellement du bail (grief de dénaturation), que l’indemnité d’occupation se substitue de plein droit au loyer à compter de l’exercice du droit d’option, et enfin que la créance d’indemnité d’occupation, qui trouve son origine dans l’exercice du droit d’option exercé par le preneur, est une créance postérieure peu important qu’elle soit due rétroactivement à compter de la date d’effet du congé délivré par le bailleur.
Les arguments ne manquaient pas d’intérêt, mais n’ont pas su convaincre la Cour de cassation :
« Mais attendu, en premier lieu, que l’indemnité d’occupation est distincte du loyer auquel elle se substitue de plein droit dès l’exercice du droit d’option ; qu’ayant relevé, sans dénaturation, que la créance déclarée le 28 juillet 2014 était une créance de loyers des baux renouvelés portant sur l’ensemble des lots, laquelle était en cours de fixation devant le président du tribunal de grande instance, et ne comportait aucune mention d’une éventuelle indemnité d’occupation qui serait due en cas d’exercice par le locataire de son droit d’option, l’arrêt retient exactement que l’exercice par le preneur de son droit de renonciation au renouvellement du bail prévu par l’article L. 145-57 du code de commerce a pour effet d’anéantir rétroactivement le renouvellement des baux ainsi que les décisions judiciaires ayant statué sur la fixation du nouveau loyer et que le preneur est, en conséquence, débiteur d’une indemnité d’occupation à compter de la date d’expiration des baux ; qu’il retient encore que la créance d’indemnités d’occupation était, à la date du jugement d’ouverture de la procédure collective du preneur, éventuelle et prévisible, liée au droit d’option que celui-ci pouvait exercer jusqu’à l’expiration du délai d’un mois suivant la signification de la décision à intervenir sur le prix des baux renouvelés, et que cette créance n’était pas de nature contractuelle mais procédait du statut des baux commerciaux ; que de ces appréciations, l’arrêt déduit à bon droit que la société Jesta était tenue de déclarer en tant que telle la créance d’indemnités d’occupation et que la déclaration de la créance de loyers ne lui permettait pas d’en obtenir l’admission ;
Attendu, en second lieu, que l’indemnité d’occupation due par un locataire pour la période ayant précédé l’exercice de son droit d’option trouve son origine dans l’application de l’article L. 145-57 du code de commerce et que la créance correspondante naît à compter de la date d’expiration du bail et non à compter de l’exercice de ce droit ; qu’ayant relevé que la créance dont la société Jesta demandait l’admission correspondait à la période d’occupation des locaux par la société Claubon antérieure au jugement d’ouverture de la procédure de sauvegarde, la cour d’appel a exactement retenu que la créance était une créance antérieure soumise à déclaration ; »
Il semble donc acquis pour la Cour de cassation que l’ouverture d’une procédure collective au cours d’une instance en fixation du loyer du bail renouvelé oblige le bailleur à déclarer sa créance, tant en loyers, qu’en indemnité d’occupation, dans les deux mois de la publication du jugement d’ouverture au BODACC. A cet égard, la déclaration de créance complémentaire du bailleur était donc tardive et ne pouvait régulariser la déclaration réalisée dans les délais.
Si le principe est entendu, ses modalités de mises en œuvre sont source de difficultés : Le bailleur devra-t-il ainsi procéder à la rédaction de deux déclarations de créances, l’une en « loyer », l’autre en « indemnité d’occupation », pour le cas où le preneur ferait usage de son droit d’option, ou une unique déclaration de créance pourra-t-elle indiquer un loyer, « ou subsidiairement une indemnité d’occupation en cas d’exercice du droit d’option » à un montant fixé à la valeur locative ?
Le bailleur sera-t-il contraint, à chaque procédure collective survenant dans les deux ans (prescription biennale de l’article L145-60 du Code de commerce) de la date d’effet d’un congé ou d’une demande de renouvellement, et alors qu’aucun accord ne serait intervenu sur le montant du loyer, de déclarer au passif du preneur aussi bien un « loyer » qu’une « indemnité d’occupation », pour le cas où le preneur fera postérieurement usage de son droit d’option ? Ou la position de la Haute juridiction n’est-elle réservée qu’aux contentieux en cours concernant la fixation du loyer de renouvellement, dans un contexte ou la 3ème chambre civile reconnait la possibilité, pour le preneur, de faire usage de son droit d’option hors contentieux[6] ?
En toute hypothèse, l’usage du droit d’option entraine l’obligation pour le preneur de supporter l’ensemble des frais, qui est une créance postérieure puisque son fait générateur est l’exercice du droit. Il s’agira en l’espèce du « lot de consolation » du bailleur qui sera contraint d’attendre la fin de l’exécution du plan de sauvegarde pour espérer être réglé des indemnités d’occupation antérieures.
[1] Cass com., 12 juillet 2016, n°14-28003, Inédit ; dans le même sens : cass com., 18 février 2003, n°00-13.257, Inédit
[2] Cass com 30 juin 2004 n°02-15574
[3] Cass com 2 octobre 2012 n°10-25633
[4] Cass com 1er avril 2003 n°00-11645,
[5] Cass com 8 juillet 2003 n°00-17359
[6] Cf notre commentaire de l’arrêt rendu le 11 décembre 2013, par la Cour de cassation