SOURCES :
CE QPC 9 mai 2017 n°392510, Sté Norma
et
CE 20 septembre 2017 n°392510, Sté Norma
Le principe d’autonomie du droit fiscal permet au Conseil d’Etat de définir les notions qui interviennent devant lui sans tenir compte des définitions retenues devant les juridictions civiles. Toutefois, ce principe voit son champ d’action se réduire de plus en plus.
Deux décisions rendues cette année en sont l’exemple et méritent notre attention. Dans ces espèces, le Conseil d’Etat afin de déterminer la règle fiscale applicable aux intérêts produits par des sommes mises en séquestre se réfère à l’interprétation retenue par les juridictions civiles concernant le séquestre.
LA NAISSANCE DU LITIGE AVEC L’ADMINISTRATION FISCALE
La société NORMA, société civile à l’impôt sur le revenu, souhaite céder les titres qu’elle détient dans une autre société. Un de ses associés conteste cette opération au motif que la société NORMA ne serait pas propriétaire des titres qu’elle souhaite céder.
Le tribunal de commerce saisi de la difficulté autorise la vente des titres, tout en ordonnant le placement sous séquestre du prix de vente, dans l’attente d’un jugement définitif désignant le propriétaire des titres. Près de 3 ans après la vente, la Cour d’appel confirme que le propriétaire des titres est bien la société NORMA. En suite de cette décision, le séquestre verse à la société NORMA le prix de vente (5 600 000 €) ainsi que les intérêts produits (350 662 €).
C’est ici que le litige avec l’administration fiscale survient.
La société NORMA estime que les intérêts versés par le séquestre doivent être qualifiés d’intérêts moratoires et donc imposés dans la catégorie des plus-values (solution la plus favorable pour le contribuable) ;
L’administration fiscale quant à elle considère qu’il s’agit des intérêts d’un placement au sens de l’article 124 du CGI imposables dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers (solution la moins favorable pour le contribuable).
LES ARGUMENTS DE LA SOCIETE NORMA
La position de la société NORMA revêt une certaine logique économique. En effet, elle soutient que l’action en revendication menée par un associé par devant le Tribunal de commerce, puis la Cour d’appel, a conduit à différer le versement du prix de cession de plusieurs années, ce qui lui a causé un préjudice.
Par analogie, si l’acquéreur, une fois la vente conclue, avait tardé tout autant à lui verser le prix de vente, les intérêts que ce dernier aurait dû lui verser en réparation de son préjudice auraient été qualifiés d’intérêts moratoires et auraient été imposés au titre de la plus-value.
Aucune différence économique existant entre ces deux situations, puisque dans les deux cas les intérêts visent à réparer le préjudice causé par le temps passé, le traitement fiscal doit être identique. Ainsi, les intérêts doivent être imposés dans la même catégorie que la plus-value de cession.
LA JURISPRUDENCE DU CONSEIL D’ETAT
Le Conseil d’Etat a jugé, dans un arrêt du 4 décembre 1992[1], que les intérêts moratoires afférents à des indemnités ayant pour objet de compenser une perte de revenus, n’ont pas le caractère de revenus de créance au sens de l’article 124 du CGI, mais doivent être analysés comme l’accessoire de ces indemnités et donc être soumis au même régime fiscal que les revenus.
Le Conseil d’Etat avait ensuite pris soin de préciser que cette jurisprudence BROSSARD avait une portée générale en jugeant que les intérêts dus en raison du paiement avec retard par l’acquéreur du prix de cession d’actions avaient la même nature que le prix de cession et étaient donc imposables dans la même catégorie que la plus value de cession réalisée à cette occasion[2]. Les intérêts en cause ne peuvent donc être regardés comme des produits autonomes.
Cette jurisprudence trouve parfaitement à s’appliquer en l’espèce : la société NORMA a perçu le prix de cession avec retard à cause de la procédure en revendication, les intérêts réparent le préjudice causé par ce retard (qu’ils soient versés par l’acquéreur ou par le séquestre), les intérêts doivent donc être rattachés à la plus-value de cession et être imposés dans la même catégorie.
L’ANALYSE DE LA COUR DE CASSATION CONCERNANT LE SEQUESTRE
Cette thèse, bien que très logique économiquement, contredit l’analyse civiliste du séquestre.
En effet, selon la Cour de cassation, le débiteur se libère valablement vis-à-vis de son créancier au moment où il remet la somme convenue en paiement entre les mains du séquestre désigné par la justice[3]. La durée du séquestre ensuite n’implique aucun retard de paiement imputable à l’acheteur et susceptible de donner lieu au versement d’intérêts moratoires[4]. Le séquestre n’est même pas tenu de verser des intérêts moratoires pendant la période durant laquelle la somme est détenue légitimement entre ses mains[5], des tels intérêts ne seraient dû que si le séquestre tardait à restituer les sommes séquestrées.
LA POSITION RETENUE PAR LE CONSEIL D’ETAT
Si le Conseil d’Etat avait décidé d’étendre la jurisprudence BROSSARD aux intérêts produits par le séquestre, il aurait dû inventer un régime du séquestre propre au droit fiscal comme le lui permet le principe de l’autonomie du droit fiscal. Une telle décision aurait fait cohabiter sous le même droit deux conceptions du séquestre… Le Conseil d’Etat décide donc d’adopter la conception retenue par la Cour de cassation.
Tout d’abord dans sa décision du 9 mai 2017, le Conseil d’Etat refuse le renvoi au Conseil Constitutionnel de la QPC et juge que les intérêts produits par les sommes placées sous séquestre ne sont pas dues à raisons d’un différé de versement du prix de vente, de sorte que le traitement différent de ces intérêts et des intérêts moratoires, dus en cas de retard de paiement par le vendeur, ne méconnait pas le principe constitutionnel d’égalité devant les charges publiques.
Avec sa seconde décision du 10 septembre 2017, le Conseil d’Etat déduit que les intérêts sont des revenus de capitaux mobiliers. Ainsi, le Conseil d’Etat rejette le pourvoi de la société NORMA.
Clara DUBRULLE
Vivaldi-Avocats
[1] CE, 4 décembre 1992, n° 83205, Brossard
[2] CE, 11 juillet 2011, ° 328792
[3] Cass, 1ère civ. 17 février 1998, n° 95-19.305
[4] Cass. Com. 21 mars 2000, n° 96-20.663
[5] Cass. 3ème civ. 4 juillet 2001, n° 97-20.663