SOURCE : Cour de cassation, Chambre commerciale, 23 mars 2022 N°20.19274
I – Les lecteurs de Chronos sauront que lorsqu’une entreprise fait face à des difficultés financières l’obligeant à recourir à l’ouverture de procédures collectives, ses créanciers doivent effectuer une déclaration de créances pour obtenir le paiement des sommes d’argent qu’ils considèrent comme dues.
Cette déclaration doit respecter un délai précis (i) et un contenu exigeant (ii).
Le délai laissé aux créanciers pour déclarer leur(s) créance(s) auprès du mandataire judiciaire (sauvegarde ou redressement judiciaire) ou au liquidateur judiciaire est de deux mois à compter de la publication du jugement d’ouverture de la procédure au Bulletin Officiel des Annonces Civiles et Commerciales (BODACC)[1].
Malgré l’absence de formalisme exigé par la loi, le contenu de la déclaration de créance, souvent effectuée par courrier recommandé avec accusé réception pour conservation des preuves, est encadré. Diverses informations doivent apparaitre, et notamment le montant de la créance, les suretés, les modalités de calculs des intérêts (…) et les éléments visant à prouver l’existence et le montant de la créance si elle ne résulte pas d’un titre.
En effet, l’article R622-23 du Code de commerce prévoit précisément :
« Outre les indications prévues à l’article L. 622-25, la déclaration de créance contient :
1° Les éléments de nature à prouver l’existence et le montant de la créance si elle ne résulte pas d’un titre ; à défaut, une évaluation de la créance si son montant n’a pas encore été fixé ;
2° Les modalités de calcul des intérêts dont le cours n’est pas arrêté, cette indication valant déclaration pour le montant ultérieurement arrêté ;
3° L’indication de la juridiction saisie si la créance fait l’objet d’un litige ;
4° La date de la sûreté et les éléments de nature à prouver son existence, sa nature et son assiette, si cette sûreté n’a pas fait l’objet d’une publicité.
A cette déclaration sont joints sous bordereau les documents justificatifs ; ceux-ci peuvent être produits en copie. A tout moment, le mandataire judiciaire peut demander la production de documents qui n’auraient pas été joints ».
C’est précisément sur ce dernier point que porte l’arrêt étudié.
II – A l’origine de ce contentieux, une SARL est mise en redressement puis en liquidation judiciaire. Conformément au texte susmentionné, ses créanciers déclarent leurs créances, et notamment l’un d’entre eux, une banque, qui déclare une créance au titre d’un solde débiteur de compte courant, et d’un prêt. Cette dernière a fait l’objet d’une contestation.
Au titre de ses arguments, la SARL, directement et par le biais du liquidateur judiciaire, fait grief aux juges d’appel d’admettre la créance de la banque, alors que, notamment, les documents justificatifs doivent être joints à la déclaration de créance.
Elle considérait en effet, qu’aucune pièce justificative de la créance réclamée n’ayant été joint à la déclaration de créance, et que cette transmission s’étant opérée en dehors du délai légal de la déclaration, la demande devait manifestement être rejetée.
La Cour de cassation, saisie de la difficulté consistant à déterminer si les pièces justificatives transmises après expiration du délai laissé aux créanciers pour déclarer leurs créances, s’est prononcée en ces termes :
« 11. Si l’article R. 622-23 du code de commerce dispose qu’à la déclaration de créance sont joints les documents justificatifs des créances déclarées, il énonce également que le mandataire judiciaire peut demander ultérieurement la production de documents qui n’auraient pas été joints. Il en résulte que les pièces justificatives qui ne sont produites qu’après l’expiration du délai de déclaration n’en ont pas moins une valeur probatoire ».
Cet arrêt permet donc de considérer, que le créancier n’est pas enfermé dans des délais quelconque pour produire les pièces justificatives de ses créances déclarées en temps et en heure, sauf à ne pas dépasser le jour où le juge sera amené à statuer sur ladite créance.
Par contre, la jurisprudence a d’ores et déjà considéré, dans un arrêt inédit, qu’il ne peut être reproché au représentant des créanciers de ne pas avoir fait usage de la « faculté », anciennement prévue par l’article 67 du décret 85-1388 du 27 décembre 1985 [art. R622-23].
En effet les juges du Quai de l’Horloge avaient d’ores et déjà considéré:
« Attendu que l’URSSAF fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté sa créance alors, selon le pourvoi, d’une part, que le représentant des créanciers peut à tout moment demander au créancier la production de documents qui n’auraient pas été joints à sa déclaration de créance ; que cette dernière ne peut donc pas être annulée pour la seule raison qu’elle n’a pas été accompagnée des pièces qui la justifient ; qu’en rejetant néanmoins sa déclaration de créance au seul motif qu’elle n’était assortie d’aucun titre exécutoire ou justificatif, la cour d’appel a violé l’article 67 du décret du 27 décembre 1985 ; et alors, d’autre part, que les créanciers doivent être tenus informés de tous les délais qui leur causent un préjudice ; qu’à supposer qu’il existât un délai pour produire les justificatifs confortant sa déclaration de créance, elle soutenait qu’il ne pouvait pas lui être opposé faute d’en avoir été informée par le représentant des créanciers ; qu’en délaissant ce moyen, la cour d’appel a violé l’article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que l’article 67 du décret du 27 décembre 1985 dispose que le représentant des créanciers a la faculté de demander la production de documents qui n’auraient pas été joints à sa déclaration de créance par le créancier ; qu’il ne peut donc lui être fait grief de n’avoir pas fait usage de cette faculté ; qu’il n’a pas davantage l’obligation de rappeler les délais impartis ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches » [2]
Aussi, il convient d’être vigilant. Certes il est possible de transmettre les pièces justificatives après expiration du délai de deux mois laissé aux créanciers pour déclarer leurs créances, (tout en ne dépassant pas le jour où le juge sera amené à statuer sur la créance), mais attention : Il ne pourra pas être reproché au représentant des créanciers de ne pas les avoir réclamées, le créancier doit donc penser à les transmettre de lui-même.
[1] Article R622-24 du Code de commerce
[2] C.Cass, Chambre commerciale, 26 mai 1999, N°97.10.060, Inédit