Mentions obligatoires en matière de facturation : l’inexactitude ou l’incomplétude de la facture sur des données dites « métiers » ne doit pas avoir pour effet de retarder abusivement le point de départ des délais de paiement

Victoria GODEFROOD BERRA
Victoria GODEFROOD BERRA

Source : Commission d’Examen des Pratiques Commerciales, Avis n° 19-11, 19 septembre 2019

 

I – CONSULTATION DE LA COMMISSION D’EXAMEN DES PRATIQUES COMMERCIALES (CEPC)

 

I – 1. Rôle et missions

 

La CEPC est une instance consultative dont l’objet est de veiller à l’équilibre des relations entre producteurs, fournisseurs et revendeurs au regard de la législation en vigueur.

 

Concernant ses missions, la CEPC examine les documents commerciaux ou publicitaires, les contrats entre revendeurs et fournisseurs et toutes pratiques susceptibles d’être regardées comme abusives dans la relation commerciale.

 

De manière plus précise, elle (i) rend des avis concernant notamment la conformité au droit de la pratique ou du document dont elle est saisie et (ii) émet des recommandations d’ordre plus général, concernant notamment le développement de bonnes pratiques, dans une vision constructive de la vie commerciale.

 

I – 2. Pouvoirs

 

La CEPC peut entendre les personnes et fonctionnaires qu’elle juge utile à l’accomplissement de sa mission.

 

Le Président de la CEPC peut demander qu’une enquête soit effectuée par les agents habilités et notamment ceux de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) et les rapporteurs de l’Autorité De La Concurrence (ADLC)[1].

 

Les membres de la CEPC sont soumis au secret professionnel ; les documents soumis pour la consultation doivent être anonymisés de sorte) ne pas permettre l’identification des personnes concernées.

 

La CEPC peut décider de publier les avis qu’elle adopte[2] étant précisé que lors de la saisine, préalablement, le demandeur peut solliciter l’absence de publication de l’avis pour des motifs légitimes.

 

I – 3 Saisine

 

Peuvent saisir la CEPC, le ministre chargé de l’économie, le ministre chargé du secteur économique concerné, le président de l’ADLC ou toute personne morale (notamment les organisations professionnelles ou syndicales, les associations de consommateurs agréées, les chambres consulaires ou d’agriculture, le médiateur des relations commerciales agricoles) ou encore tout producteur, fournisseur ou revendeur s’estimant lésé par une pratique commerciale.

 

La CEPC peut également se saisir elle-même.

 

Attention, la CEPC ne peut pas être saisie anonymement que cela soit de manière directe ou par l’intermédiaire d’un avocat, à peine d’irrecevabilité.

 

Un avis est rendu dans un délai maximal de quatre mois à compter de sa saisine.

 

Il est important de noter que s’il est sursis à toute décision sur le fond de l’affaire jusqu’à réception de l’avis ou à défaut, jusqu’à l’expiration du délai de quatre mois, l’avis rendu par la CEPC ne lie pas la juridiction devant laquelle le litige est pendant.

 

Le formalisme de la saisine de la CEPC est assez souple : par lettre simple ou par courriel adressé à son Président, les coordonnées de l’auteur de la saisine devant y être mentionnées, l’anonymat de ce dernier étant assuré par ce destinataire.

 

Sur le fond, l’objet de la demande d’avis peut être accompagné de tous les documents de nature à expliciter celle-ci. Le texte ou les textes dont la violation est alléguée doivent être explicitement mentionné(s) dans la saisine.

 

II – QUESTION POSEE EN L’ESPECE

 

La question qui a fait l’objet d’un avis a été posée par un prestataire EDI[3] intervenant notamment sur la mise en place de flux dématérialisés de factures.

 

Ce professionnel s’interroge sur la légalité de la pratique suivante : peut-on valablement rejeter le paiement d’une facture en raison de l’absence ou d’une erreur sur une information dite « donnée métier » (e.g. numéro de commande, numéro de bon de livraison, numéro de ligne dans une commande, code service, nom de service, etc.) ? De cette première interrogation découle celle de savoir si le principe même de dématérialisation légale (code général des impôts et du droit du commerce) est respecté.

 

En d’autres termes, la CEPC est interrogée sur la légalité du retard voire le refus de paiement d’une facture par un professionnel qui ferait le constat de l’absence d’une mention obligatoire sur une facture conformément aux dispositions du Code de commerce.

 

III – AVIS RENDU

 

La CEPC fait une analyse en deux temps. Elle commence par examiner la question au regard des dispositions du Code de commerce relatives aux mentions obligatoires en matière de facturation, puis étudie la demande sous l’angle des obligations légales en matière de délais de paiement.

 

III – 1. Examen relatif aux mentions obligatoires en matière de facturation

 

L’article L. 441-3 devenu[4] L. 441-9 du Code de commerce liste les mentions obligatoires que doit comporter une facture que celle-ci soit sur papier ou dématérialisée. Ainsi :

 

« (…) la facture mentionne le nom des parties ainsi que leur adresse et leur adresse de facturation si elle est différente, la date de la vente ou de la prestation de service, la quantité, la dénomination précise, et le prix unitaire hors TVA des produits vendus et des services rendus ainsi que toute réduction de prix acquise à la date de la vente ou de la prestation de services et directement liée à cette opération de vente ou de prestation de services, à l’exclusion des escomptes non prévus sur la facture.

 

La facture mentionne la date à laquelle le règlement doit intervenir. Elle précise les conditions d’escompte applicables en cas de paiement à une date antérieure à celle résultant de l’application des conditions générales de vente, le taux des pénalités exigibles le jour suivant la date de règlement inscrite sur la facture ainsi que le montant de l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement due au créancier en cas de retard de paiement. Le règlement est réputé réalisé à la date à laquelle les fonds sont mis, par le client, à la disposition du bénéficiaire ou de son subrogé.

 

La facture mentionne le numéro du bon de commande lorsqu’il a été préalablement établi par l’acheteur ».

 

Le II de l’article précité précise en outre les sanctions infligées en cas de manquement à l’une de ces obligations :

 

« Tout manquement au I est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale.

 

Le maximum de l’amende encourue est porté à 150 000 € pour une personne physique et 750 000 € pour une personne morale en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive ».

 

Ces dispositions sont complétées par celles de l’article R. 123-237 du même code :

 

« Toute personne immatriculée indique sur ses factures, notes de commande, tarifs et documents publicitaires ainsi que sur toutes correspondances et tous récépissés concernant son activité et signés par elle ou en son nom :

 

1° Le numéro unique d’identification de l’entreprise délivré conformément à l’article D. 123-235 ;

 

2° La mention RCS suivie du nom de la ville où se trouve le greffe où elle est immatriculée ;

 

3° Le lieu de son siège social ;

 

4° Le cas échéant, qu’elle est en état de liquidation ;

 

5° Si elle est une société commerciale dont le siège est à l’étranger, outre les renseignements mentionnés aux 3° et 4°, sa dénomination, sa forme juridique et le numéro d’immatriculation dans l’Etat où elle a son siège, s’il en existe un ;

 

6° Le cas échéant, la qualité de locataire-gérant ou de gérant-mandataire ;

 

7° Si elle est bénéficiaire d’un contrat d’appui au projet d’entreprise pour la création ou la reprise d’une activité économique au sens du chapitre VII du titre II du livre Ier du code de commerce, la dénomination sociale de la personne morale responsable de l’appui, le lieu de son siège social, ainsi que son numéro unique d’identification.

 

Toute personne immatriculée indique en outre sur son site internet la mention RCS suivie du nom de la ville où se trouve le greffe où elle est immatriculée, ainsi que des renseignements mentionnés aux 1°,3° et 5° ».

 

Il ressort de ces textes que les « données métier » relatives à la saisine ne constituent pas des mentions obligatoires sur les factures émises par le professionnel. En revanche, les cocontractants peuvent conventionnellement prévoir que certaines de ces données devront être inscrites sur la facture. Une telle clause n’aurait toutefois pas vocation à permettre au destinataire de la facture de demander le report ou d’opposer un refus de paiement de la facture dans l’hypothèse où la mention en question aurait été oubliée.

 

III – 2. Examen au regard des délais de paiement

 

L’opposition d’un éventuel manquement contractuel ne doit pas avoir pour effet de retarder abusivement le point de départ des délais de paiement tels que plafonnés par le code de commerce, prévue par l’avant-dernier alinéa de l’article L. 441-16 du code de commerce, à défaut une telle clause pourrait être sanctionnée sur le terrain des clauses abusives.

 

Quel est le mécanisme ? Lorsqu’une première facture est refusée par le débiteur, le créancier de cette facture se trouve en général contraint d’en émettre une nouvelle. Or, cela a pour conséquence de retarder artificiellement le point de départ du délai de paiement tel qu’il est plafonné par le Code de commerce.

 

En effet, en matière notamment de délais de paiement convenus, le délai plafond commence à courir à compter de la date d’émission de la facture. Le débiteur demandera à son créancier d’émettre une nouvelle facture comportant les mentions absentes sur la première afin que le point de départ du délai de paiement soit ainsi décalé.

 

Or, même lorsque des mentions manquantes font partie de celles qui sont obligatoires en vertu du Code de commerce ou du Code général des impôts, le refus d’une facture par le créancier est susceptible de constituer une pratique ayant pour effet de retarder abusivement le point de départ des délais de paiement tels que plafonnés par le Code de commerce.

 

Une telle pratique (stratégie ?) expose son auteur à une amende administrative de 2 millions d’euros maximum s’il s’agit d’une personne morale.

 

En effet, les dispositions du Code de commerce relatives aux délais de paiement n’ont pas prévu que le débiteur soit dispensé du respect des plafonds applicables en la matière en cas d’absence d’une mention obligatoire.

 

Par conséquent, sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux, le débiteur qui règlerait en retard une facture au motif que celle-ci ne comporterait pas, par exemple, le numéro du bon de commande en exécution duquel elle a été émise s’exposerait aux sanctions encourues en cas de non-respect des délais de paiement légaux.

 

*****

 

L’inexactitude ou l’incomplétude de la facture sur des données dites « métiers » ne peut donc pas avoir pour effet de retarder abusivement le point de départ des délais de paiement plafonnés par les dispositions du Code de commerce, ou de permettre au débiteur de se soustraire au paiement, sous peine de sanctions.

 

[1] Article L.450-1 du Code de commerce

 

[2] Les recommandations et les avis peuvent être publiés sur le site internet de la CEPC et au Bulletin Officiel de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (BOCCRF)

 

[3] Echange de Données Informatisées

 

[4] Modifié par l’Ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du Code de commerce relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées

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