Dans sa jurisprudence « Département du Tarn- et- Garonne » (CE, 4 avril 2014, n°35894), le Conseil d’Etat a consacré au profit des « tiers justifiant d’un intérêt lésé par un contrat administratif », la possibilité de contester sa validité devant le juge du contrat, ceux-ci ne disposant jusqu’alors que de la faculté d’attaquer un acte détachable du contrat.
En effet, l’exercice du recours en contestation de validité du contrat n’était réservé qu’au profit des parties au contrat selon une jurisprudence ancienne et constante (CE 14 mars 1997, Cie d’aménagement es coteaux de Gascogne, n°119055) et aux candidats évincés lors de sa passation depuis l’arrêt « Société Tropic Travaux Signalisation » (CE Ass.16 juillet 2007, n°291545).
Dans la mesure où le recours en contestation de validité du contrat était déjà ouvert au profit des concurrents évincés, la décision « Département du Tarn- et- Garonne » est venu élargir à l’ensemble des « tiers justifiant d’un intérêt lésé par un contrat administratif » l’exercice du recours de pleine juridiction, en instaurant en revanche des modalités d’exercice du recours plus strictes.
Alors qu’auparavant, il leur était loisible d’invoquer tout moyen à l’appui de leur recours (sauf en matière de référé précontractuel et contractuel, lors desquels les concurrents évincés étaient contraints depuis l’arrêt « SMIRGEOMES » du 3 octobre 2008 d’invoquer des manquements « susceptibles » de les avoir lésés ou « risquant » de les avoir lésés), les tiers ne pourront invoquer que des « vices en rapport direct avec l’intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d’une gravité telle que le juge devrait les relever d’office ».
Aussi, le Conseil d’Etat a-t-il précisé dans l’arrêt présentement commenté « SMTC Hérault Transport » du 5 février 2016 que s’agissant des concurrents évincés, ceux-ci ne pouvaient utilement invoquer, outre les vices d’ordre public, que les « manquements aux règles applicables à la passation du contrat qui sont en rapport direct avec son éviction ».
L’intérêt pour agir et l’opérance des moyens susceptibles d’être invoqués par les concurrents évincés sont ainsi appréciés désormais de manière plus restrictive .
Dans l’arrêt du 5 février 2016, la question posée au Conseil d’Etat était celle de savoir si les modalités du nouveau recours « Département du Tarn- et- Garonne » venaient se substituer à celles du recours « Société Tropic Travaux Signalisation » dans le cadre des instance pendantes (étant ainsi rappelé que les nouvelles modalités du recours en contestation de validité du contrat étaient appréciées plus strictement), ou si les concurrents évincés pouvaient se voir appliquer le même différé d’application du nouveau régime de recours que les autres tiers.
En effet, la décision « Département du Tarn- et- Garonne » avait prévu que la nouvelle voie de recours en contestation de validité ne pourrait être exercée, « par les tiers qui n’en bénéficiaient pas » auparavant, qu’à l’encontre les contrats signés à compter de la date de cette décision, sans aucune précision sur les recours pendants introduits par les candidats évincés.
A cette question, le Conseil d’Etat indique que le recours en contestation de validité du contrat ne trouve à s’exercer selon les nouvelles modalités qu’à l’encontre des contrats passés à compter de la lecture de la décision « Département du Tarn- et- Garonne », soit à compter du 4 avril 2014, et ce « quelle que soit la qualité dont se prévaut le tiers ».
Aussi, le recours de la requérante en l’espèce « devait être apprécié au regard des règles applicables avant ladite décision, qui permettaient à tout requérant qui aurait eu intérêt à conclure un contrat administratif d’invoquer tout moyen à l’appui de son recours contre le contrat ».
Par conséquent, la requérante était-elle fondée à se prévaloir de la durée excessive du marché, alors même qu’un tel moyen ne saurait être considéré comme un manquement aux règles applicables à la passation du contrat qui soit en rapport direct avec son éviction, au sens de la jurisprudence « Département du Tarn- et- Garonne ».
A l’instar de ce qui avait été prévu au sein des arrêts « Société Tropic Travaux Signalisation » et « Département du Tarn- et- Garonne », le Conseil d’Etat a décidé là encore de limiter l’effet rétroactif du changement de jurisprudence, par dérogation à son caractère rétroactif.
En principe, tout changement de jurisprudence revêt en effet un caractère rétroactif en ce sens qu’elle est réputée refléter un état du droit ayant toujours existé, de sorte que les règles jurisprudentielles nouvellement dégagées s’appliquent à l’ensemble des litiges, et ce y compris, ceux nés avant que les nouvelles règles n’aient été dégagées par le juge.
Néanmoins, le Conseil d’Etat avait innové dans sa décision « Société Tropic Travaux Signalisation » en considérant pour la première fois que l’effet rétroactif du changement de jurisprudence pouvait être limité s’il avait pour conséquence de s’exercer au détriment de la sécurité juridique.
Or à cet égard, le Conseil d’Etat avait considéré que l’institution du recours en contestation de validité du contrat au profit des candidats évincés (arrêt « Société Tropic Travaux Signalisation »),puis celle au profit des tiers justifiant d’un intérêt lésé par un contrat administratif (arrêt « Département du Tarn- et- Garonne »), étaient susceptibles d’apporter une atteinte excessive au relations contractuelles en cours, de telle sorte l’application du nouveau régime de recours était différée aux contrats dont la procédure de passation avait été engagée postérieurement à la lecture des deux décisions.
C’est donc au regard de ces mêmes considérations que le Conseil d’Etat, dans sa décision « SMTC Hérault Transport » du 5 février 2016, a jugé, sans surprise, que les nouvelles modalités du recours de pleine juridiction n’avaient pas lieu de se substituer à celles des recours introduits par les concurrents évincés et pendants à la date du 4 avril 2014.
Stéphanie TRAN
Vivaldi-Avocats