L’affaire Aristophil, du nom de cette société qui promettait d’importants rendements grâce à des investissements sur le marché de l’art et plus particulièrement sur le marché des manuscrits historiques mais qui s’est finalement révélée être une escroquerie, n’en finit pas de donner lieu à d’intéressantes décisions de Justice. Celle rendue par la chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 22 octobre 2025 permet de rappeler le point de départ du délai de prescription de l’action en réparation du préjudice résultant d’un risque de perte en capital.
Source : Cass. com., 22 octobre 2025, n°24-19.956
I –
Entre 2011 et 2012, plusieurs membres d’une famille ont acquis, via une société de conseil en gestion de patrimoine (ci-après « CGP »), des parts indivises de collections de manuscrits anciens commercialisées par la société Aristophil.
Des contrats de dépôt et d’exploitation accompagnaient ces opérations, officiellement présentées comme un investissement patrimonial sécurisé.
La situation bascule en 2013, lorsqu’une enquête pénale est ouverte pour escroquerie en bande organisée et pratiques commerciales trompeuses. L’affaire devient publique en novembre 2014, lors des perquisitions massivement relayées par les médias.
Aristophil sera finalement placée en redressement judiciaire en 2015 puis liquidée la même année.
En 2017, la mise en vente d’une collection révèle une moins-value considérable, confirmant la perte d’une grande partie de l’investissement.
Les membres de la famille citée plus haut assignent en 2020 le CGP et son assureur, reprochant au CGP un défaut d’information sur les risques réels attachés à ce produit, et se retrouvent à former un pourvoi en cassation dont l’arrêt est ici à l’étude.
II –
La principale critique de l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon formulée par les membres de la famille, qui s’estiment lésés par un défaut d’information, tient à l’irrecevabilité de leur action en raison de la prescription.
Pour les juges du fond, le point de départ doit être fixé en décembre 2014, période à laquelle le préjudice n’est pas chiffrable mais lors de laquelle les demandeurs au pourvoi prennent « conscience du caractère préjudiciable » (et donc d’une potentialité de préjudice) et demandent pour la première fois la liquidation de leurs parts.
Pour les demandeurs, l’action entre commerçants et non-commerçants se prescrit par 5 ans avec pour point de départ la date à laquelle le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant l’exercice de ce droit et que dans le cas d’espèce, le délai de prescription de l’action ne peut commencer à courir avant la date de réalisation du risque, soit la perte financière. Quant au défaut d’information, il prive l’investisseur d’une chance d’éviter le risque
La Cour de cassation va suivre le raisonnement des demandeurs et va casser l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon.
III –
Sur la fixation du point de départ de l’action, la Haute Cour, au visa des article 2224 du Code civil (prescription quinquennale de droit commun) et L. 110-4 du Code de commerce (prescription quinquennale entre commerçants et non-commerçants), va considérer que la prescription commence à courir au jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
En outre, la Cour de cassation réaffirme que le manquement d’un conseiller en gestion de patrimoine à son obligation d’information sur le risque de perte en capital et la valorisation du produit financier prive cet investisseur d’une chance d’éviter le risque qui s’est réalisé, la réalisation de ce risque supposant que l’investisseur ait subi des pertes ou des gains manqués.
En l’espèce, au jour de la demande de rachat des parts, le préjudice ne s’était pas encore réalisé, il se réalisera effectivement en 2017 lors de la mise en vente de la collection qui met au jour la moins-value : le demande de rachat des parts ne peut donc constituer le point de départ de l’action en réparation du préjudice.
La prescription en matière de manquement au devoir d’information ne commence que lorsque le dommage financier est certain, non lorsque le risque apparaît. Cet arrêt s’inscrit dans une jurisprudence protectrice des investisseurs, notamment dans les affaires de produits atypiques ou complexes. La Cour de cassation évite qu’un simple soupçon ou une médiatisation d’enquête pénale suffise à déclencher la prescription, ce qui protégerait davantage les professionnels que les épargnants.

