Le gérant d’une SCI peut-il vendre seul l’immeuble détenu par la société ?

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

Retour à une interprétation plus rigoureuse de la Cour de cassation, qui impose au gérant, en fonction de la rédaction de l’objet social, de consulter ses associés pour voter la cession au préalable.

Cass. 3e civ. 23-11-2023 n° 22-17.475 FS-D

I –

Pour saisir les enjeux de ce nouvel arrêt il est primordial de revenir, en premier lieu, sur la définition même d’un objet social. Il s’agit de l’ensemble des activités présentées aux tiers, que la société peut exercer durant sa vie sociale. Il se distingue entre l’activité principale, et les activités secondaires, complémentaires.

C’est grâce à celui-ci que la société se voit attribuer un code APE par l’INSEE, ce qui influence notamment, la convention collective applicable à l’entreprise.

L’objet social permet aussi de fixer juridiquement le champ d’action du gérant de la SCI.

En effet, entre les associés le gérant peut accomplir tous les actes de gestion que demande l’intérêt de la société, mais vis-à-vis des tiers, extérieurs à la société, l’objet social encadre strictement les pouvoirs du gérant conformément à l’article 1849 du code civil : Il ne peut engager la société que pour les actes entrant dans l’objet social. La rédaction est d’autant plus importante que, les clauses statutaires limitant les pouvoirs du gérant sont inopposables aux tiers, qu’ils en aient connaissance ou non (Civ 3, 24 Janvier 2001, N°99.12.841).

Ce principe classique en droit des sociétés est appliqué plus ou moins strictement par la Cour de cassation, c’est l’objet de ce nouvel arrêt.

II –

A l’origine de ce contentieux, trois associés égalitaires, cogérants au demeurant, constituent une société civile immobilière (Ci-après « SCI »).

L’objet social, objet du contentieux, est décrit comme suit :

«  l’acquisition, la propriété, l’administration, l’exploitation de tous biens immobiliers, la prise à bail à construction de tous immeubles en vue de la location ainsi que toutes opérations juridiques, administratives, financières et de gestion à caractère mobilier ou immobilier concourant directement ou indirectement à la réalisation de l’objet ».

L’un des cogérants décide seul, de vendre les deux immeubles détenus par la société, sans obtenir le consentement des associés, qui finissent pas contester cette vente, le gérant ayant selon eux, outrepassé ses pouvoirs puisque la cession d’un bien immobilier n’est pas littéralement inscrite dans l’objet social.

Les demandeurs réclament l’annulation des ventes, et la condamnation au versement de dommages et intérêts, ce qu’ils obtiennent par-devant les juges du fond, avec restitution des biens et du prix de vente.

Le défendeur mécontent se pourvoit en cassation au motif que l’objet social tel que rédigé, impliquait « toutes opérations immobilières civiles se rattachant à la propriété de l’immeuble » ce qui engendrait « le droit d’en disposer, caractéristique du droit de propriété, sauf à ce que les statuts excluent expressément de leur objet la cession ».

Pour lui, la cession de l’immeuble était inclue dans l’objet social, il avait dès lors le pouvoir de vendre les biens immobiliers.

III –

La Cour de cassation adopte une position protectrice des intérêts de la société, et confirme :

«  8. La cour d’appel a relevé que les SCI X et Y avaient, selon leurs statuts respectifs, le même objet social, à savoir {…..]

9. Elle a pu déduire de cette énumération qui ne comportait pas la vente des biens immobiliers au titre de l’objet social, que la cession des immeubles excédait les pouvoirs du gérant, de sorte que celle-ci ne pouvait être prise qu’à l’unanimité des associés ».

L’énumération des opérations comprises dans l’objet social ne comportait pas « la vente des biens immobiliers » de sorte que cette opération aurait du être décidée avec l’assentiment des autres associés.

Pourtant, difficile de dire que les juges de la Haute Cour sont constants dans l’appréciation de pareilles hypothèses. Même si plusieurs arrêts antérieurs ont adopté cette même vision rigoureuse, il en existe quelques ’uns qui sont intervenus en faveur du gérant, adoptant une vision plus souple de l’interprétation de l’objet social, puisque la Haute Cour avait considéré que la notion de propriété d’un immeuble pouvait impliquer le droit d’en disposer, comme par exemple dans l’arrêt du 11 mai 2022, rendu par la 3ème Chambre civile (N°21.15.387) qui indique :

« ayant retenu, par une appréciation souveraine, exclusive de dénaturation, que l’ambiguïté des statuts rendait nécessaire, que la notion juridique de propriété d’un immeuble impliquait le droit d’en disposer et que l’objet social comprenait toutes opérations immobilières civiles se rattachant à la propriété de l’immeuble, sans exclure la cession de celui-ci, la cour d’appel a pu en déduire que la vente de l’immeuble était incluse dans l’objet de la SCI même si elle n’y était pas expressément visée »

En l’état, on peut considérer que la Haute Cour retourne à une vision plus rigoureuse, plus protectrice des intérêts de la société, puisque le gérant d’une SCI ne semble pas pouvoir vendre les biens de cette dernière sans que cela soit expressément mentionné dans l’article des statuts relatif à son objet social. Attention donc à bien le rédiger dès la constitution de la société pour éviter que l’acte du gérant ne soit susceptible d’encourir la nullité.

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