La vérification du passif n’est pas un préalable à la condamnation à supporter l’insuffisance d’actif

Etienne CHARBONNEL
Etienne CHARBONNEL - Avocat associé

 

 

Source : Cass. Com. 05/11/2013 pourvoi n°12-22.510 P + B 

 

La Cour de Cassation vient de rendre une décision importante en matière d’action en comblement de l’insuffisance d’actif.

 

En effet, dans l’Arrêt commenté, elle pose la solution selon laquelle « la dispense de vérification des créances chirographaires ne fait pas obstacle à l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif dès lors que celle-ci est établie ».

 

Une étude de cet Arrêt suppose de revenir sur les deux notions que sont la dispense de vérification des créances chirographaires et l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif.

 

S’agissant tout d’abord de la dispense de vérification des créances chirographaires, elle est prévue par l’article L641-4 alinéa 2 du Code de Commerce, qui dispose : « Il n’est pas procédé à la vérification des créances chirographaires s’il apparaît que le produit de la réalisation de l’actif sera entièrement absorbé par les frais de justice et les créances privilégiés […] ».

 

La logique derrière ce texte est simple : dès lors qu’il est acquis que l’actif disponible dans le cadre de la liquidation sera insuffisant pour couvrir la totalité du passif privilégié, il est aussi coûteux que chronophage d’imposer la vérification d’un passif chirographaire qui restera intégralement impayé.

 

Le texte prévoit alors la faculté, pour le Juge commissaire, de dispenser le liquidateur de procéder à cette vérification du passif chirographaire.

 

Un cas semblait toutefois commander de procéder tout de même, malgré la certitude que ce passif chirographaire ne serait pas payé, à sa vérification : le cas où la responsabilité du dirigeant pour insuffisance d’actif serait recherchée.

 

En effet, telle était la rédaction de la suite de l’alinéa 2 de l’article L641-4 du Code de Commerce : « […] à moins que, s’agissant d’une personne morale ou d’un entrepreneur individuel à responsabilité limitée, il n’y ait lieu de mettre à la charge des dirigeants sociaux de droit ou de fait ou de cet entrepreneur tout ou partie du passif conformément à l’article L551-2 ».

 

Ce texte avait, lors de l’entrée en vigueur de la loi de sauvegarde, fait dire à bon nombre de commentateurs que la vérification du passif chirographaire était un préalable à l’introduction d’une action en responsabilité pour insuffisance d’actif.

 

Cette action obéit en effet au droit commun de la responsabilité, et suppose la démonstration d’une faute, d’un préjudice, et d’un lien de causalité.

 

En cas de non vérification du passif chirographaire, le préjudice est impossible à chiffrer précisément, ce qui semblait rendre impossible la démonstration de la responsabilité du dirigeant.

 

La Cour de Cassation pose donc ici la solution contraire.

 

Pour autant que l’insuffisance d’actif soit effectivement établie, c’est-à-dire dès lors que le passif privilégié est supérieur à l’actif réalisé, son chiffrage réel est inutile pour engager la responsabilité dudit dirigeant.

 

Pour tout dire, cette décision était prévisible, dans la mesure où la Cour de Cassation en avait déjà esquissé l’ébauche au travers de décisions précédentes.

 

Elle avait notamment jugé que l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif était recevable alors même que les opérations de vérification du passif n’étaient pas encore terminées, pour autant que l’insuffisance d’actif apparaisse déjà clairement[1].

 

A l’inverse, la condamnation ne peut être prononcée si l’insuffisance d’actif n’est pas certaine[2].

 

S’il est désormais clairement énoncé que la responsabilité du dirigeant peut être engagée, même en cas de dispense de vérification du passif chirographaire, se pose cependant la question du montant de la condamnation qui pourra être prononcée à l’encontre de ce dirigeant.

 

En effet, le principe en matière de responsabilité est que seul le préjudice peut être réparé mais pas au-delà.

 

En cas de dispense de vérification du passif chirographaire, le préjudice consécutif à « la part » d’insuffisance d’actif correspondant à ce passif chirographaire ne sera pas connu et la condamnation du dirigeant ne pourra pas être prononcée à même hauteur.

 

Seule sera prononçable une condamnation correspondant à l’insuffisance d’actif résultant de la vérification du passif privilégié.

 

Sauf à ce que le Juge Commissaire revienne sur sa décision de dispense de vérification des créances chirographaires, ce que la Cour de Cassation a récemment jugé comme n’étant qu’une mesure d’administration judiciaire sur laquelle le Magistrat peut revenir sans difficulté[3].    

 

Etienne CHARBONNEL

Vivaldi-Avocats


[1] Voir notamment Cass. Com. 28/01/2004 pourvoi n°01-16.355

[2] Cass. Com. 22/05/2012 pourvoi n°11-15.358

[3] Cass. Com. 17/09/2013 pourvoi n°12-30.158 P + B et notre commentaire du 2 décembre 2013

 

 

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