La cession des parts de SCP du notaire atteint par l’âge limite d’exercice

Antoine DUMONT

La SCP au sein de laquelle un des notaires associés atteint l’âge limite d’exercice de la profession, 70 ans, dispose de la faculté de racheter les parts de cet associé, et le Président de tribunal ne commet pas d’excès de pouvoir en se prononçant sur cette obligation de cession lorsqu’il est saisi sur la désignation d’un expert pour la valorisation des parts au visa de l’article 1843-4 du Code civil.

Source : Cass. Com., 18 décembre 2024, n° 23-14.518, publié au bulletin

I – Faits et procédure

Le 30 septembre 2011 deux notaires créée une société civile professionnelle, celle-ci a pour vocation l’exercice d’un office notarial. Ils établissent par ailleurs quelques temps plus tard, le 26 mai 2013, une convention par laquelle l’un des associés cédera ses parts, en deux étapes, à son coassocié. Cette SCP sera finalement dissoute le 22 juin 2015.

Entre-temps, le 27 octobre 2014, ces deux notaires créent une nouvelle société civile professionnelle, toujours dans le but d’exercer un office notarial mais dans une autre localisation. Et, le 23 novembre 2018, l’un des associés assignent son coassocié en exécution forcée de la convention précitée dans le but d’obtenir la cession à son profit des parts de la seconde SCP créée.

Le 17 août 2019, l’un des associés, celui s’étant fait assigner par son coassocié, atteint l’âge limite pour l’exercice de la profession de notaire (70 ans[1]). De plus, le 3 décembre 2021, ce dernier se voit signifier, par la seconde SCP et son coassocié, une lettre portant projet de cessions de parts sociales par réduction de capital. Il se verra par la suite assigné, selon la procédure accélérée au fond devant le président d’un tribunal judiciaire, aux fins de désignation d’un expert ayant pour mission la valorisation des parts sociales[2].

Le président du tribunal judiciaire fait droit à la demande de désignation d’expert, et l’ancien notaire relève appel de la décision, notamment en considérant que le Président aurait excéder ses pouvoirs, appel qui sera jugé irrecevable.

L’ancien notaire forme alors un pourvoi en cassation.

II – Excès de pouvoir ?

Selon l’ancien notaire, le Président du tribunal judiciaire aurait excédé ses pouvoirs en ne se bornant pas à examiner les conditions d’application de l’article relatif à la désignation d’un expert pour valoriser les parts sociales, mais il se serait prononcé sur l’obligation pour l’ancien notaire de céder ses parts, alors que son ancien coassocié aurait manœuvré, en lui faisant signer ladite convention, afin de le contraindre à lui céder ses parts sans possibilité de les céder librement à un tiers.

La cour d’appel, n’ayant pas considéré que le Président ait commis d’excès pouvoir en relevant que le demandeur avait atteint la limité d’âge pour exercer la profession de notaire et devait donc céder ses parts à la SCP, aurait consacré un excès de pouvoir et violé l’article précité.

Pour la Cour de cassation, il s’infère de l’article 1843-4 du Code civil que la décision du Président du tribunal désignant expert est sans recours possible, il ne peut être dérogé à cet état de fait qu’en cas d’excès de pouvoir.

Y-a-il eu excès de pouvoir ?

La Haute Cour écarte, en l’espèce, tout excès de pouvoir. Le Président du tribunal judiciaire n’a pas commis d’excès de pouvoir en retenant l’obligation de cession à la SCP de ses parts sociales[3] pour l’ancien notaire en raison de l’atteinte de l’âge maximale pour exercer la profession de notaire. En cas de désaccord entre les parties sur la valorisation des parts sociales, selon l’article 28 du décret n° 67-868 du 2 octobre 1967, ce prix de cession devait être fixé par un expert désigné au visa de l’article 1843-4 du Code civil.

La cour d’appel a jugé à bon droit que le Président du tribunal judiciaire n’avait commis aucun excès de pouvoir, ainsi le pourvoir est jugé irrecevable.

III – Pour aller plus loin

La qualification d’excès de pouvoir relative à la désignation d’un expert au visa de l’article 1843-4 du Code civil naît bien souvent de la confusion qui existe entre la procédure de référé qui dépend du Président de juridiction, que ce soit le Président du tribunal judiciaire[4] ou le Président du tribunal de commerce[5], et la désignation de l’expert au visa de l’article 1843-4 du Code civil qui échoit au Président du tribunal qui statue par ordonnance via la procédure accélérée au fond depuis l’ordonnance n°2019-738 du 17 juillet 2019, anciennement la procédure en la forme des référés.

Ainsi, le juge des référés ne peut désigner un expert sur le fondement de l’article 1843-4 du Code civil, s’il le fait il commet un excès de pouvoir comme le juge régulièrement la Cour de cassation[6].

La décision du Président du tribunal qui aurait commis un tel excès de pouvoir peut être annulée via la procédure de recours-nullité[7].

Autre spécificité relative aux sociétés civiles professionnelles, mais de médecins cette fois, le Code de la santé publique accorde au Président du tribunal statuant en référé le pouvoir de fixer lui-même la valeur des parts sociales en cas de désaccord sur la valorisation de ces dernières[8]. Il ne faut pas confondre ici le pouvoir de fixation de la valeur des parts directement par le Président du tribunal avec le pouvoir laissé au même Président de désigner un expert pour effectuer cette valorisation sur le fondement de l’article 1843-4 du Code civil. Ce pouvoir octroyé par le Code de la santé publique lui échappe d’ailleurs dès lors qu’il a désigné un expert pour fixer la valeur des parts[9].

Enfin, concernant l’âge limite d’exercice de la profession de notaire, celle-ci est fixée à 70 ans, une prorogation est toutefois possible, accordée par le ministre de la Justice, pour une durée de 12 mois pour les notaires exerçants individuellement, jusqu’à la prestation de serment de leur successeur[10].

Dans les SCP notariales, le notaire atteint par l’âge limite ne peut ni rester associé, ni exercer une fonction de dirigeant. Six mois avant ses 70 ans, le notaire doit informer ses associés de l’avancement ou de l’absence du projet de cession, et, si à l’arrivée des 70 ans aucune cession n’est intervenue, la SCPI dispose de 6 mois pour lui notifier un projet de cession ou de rachat de ses parts. Enfin, jusqu’à l’intervention de la cession, l’associé conserve la faculté de céder lui-même ses parts mais est privé des droits attachés à sa qualité d’associé à l’exceptions des rémunérations relatives à ses apports en capital


[1] Article 53 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015

[2] Article 1843-4 du Code civil

[3] Article 33-1 du décret n° 67-868 du 2 octobre 1967, repris à l’article 42 du décret n° 2024-873 du 14 août 2024 relatif à l’exercice en société de la profession de notaire

[4] Articles 834 et 835 du Code de procédure civile

[5] Articles 872 et 873 du Code de procédure civile

[6] Com. 15 févr. 2023, n° 21-18.548 ; Civ. 1re, 12 juill. 2012, n° 11-18.453

[7] Com. 7 mars 2018, n° 16-25.197

[8] R. 4113-51 du code de la santé publique

[9] Civ. 1re, 9 avr. 2014, n° 12-35.270

[10] Article 2 de la loi 25 ventôse an XI, repris à l’article 42 du décret n° 2024-873 du 14 août 2024 relatif à l’exercice en société de la profession de notaire

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