Source : Cass. Com., 17 mai 2017, pourvoi n° 15-29.363 F-D.
Les faits d’espèce de l’arrêt commenté sont originaux, en ce qu’ils concernent une créance d’intéressement d’un club de football dans le cadre d’un transfert d’un joueur à un nouveau club.
En l’espèce, il s’agissait des jeunes années de Kevin GAMEIRO, ayant désormais joué à de nombreuses reprises pour l’équipe de FRANCE, suite à son transfert du Racing Club de STRASBOURG (RCS) au Football Club de LORIENT (FCL).
Plus précisément, le transfert du joueur d’un club à l’autre a vraisemblablement été réalisé pour un prix « modique » mais était assorti d’une clause d’intéressement pour le cas où le FCL réaliserait une plus-value importante en revendant ce joueur à un nouveau club. Plus précisément, le RCS était titulaire d’une clause lui accordant 30 % de la plus-value réalisée par le FCL à la revente du joueur.
Courant 2011, le RCS est au bord du dépôt de bilan, mais Kevin GAMEIRO est quant à lui vraisemblablement sur le départ du FCL, courtisé par plusieurs clubs en FRANCE et en ESPAGNE.
Le RCS, en mai 2011, signe avec le FCL un avenant à la clause d’intéressement en supprimant son caractère aléatoire (30 % de la plus-value) contre un paiement forfaitaire immédiat de 1 250 000 euros.
Quelques semaines plus tard, deux évènements se produisent :
– Le RCS est placé en liquidation judiciaire ;
– Kevin GAMEIRO est transféré du Football Club de LORIENT au PSG, nouvellement devenu riche par l’arrivée des fonds qataris, pour une indemnité de transfert évaluée à 12 500 000 euros, et qui aurait donc donné lieu au paiement au RCS, si la clause variable initiale avait été maintenue, d’une somme d’un peu plus de 3 000 000 euros, au lieu des 1 250 000 euros perçus.
Le Liquidateur introduit donc une action en reconstitution de l’actif, sur le fondement des nullités de la période suspecte, à l’encontre du Football Club de LORIENT.
Dans le cadre de ce contentieux, la Cour de cassation examine le contrat à la fois sous l’angle des nullités facultatives de la période suspecte, mais également sous celle des nullités de plein droit.
1° L’annulation de l’avenant refusée sur le fondement des nullités facultatives de la période suspecte (article L. 632-2 du Code de Commerce).
L’article L. 632-2 al. 1° du Code de Commerce dispose que « les paiements pour dettes échues effectués à compter de la date de cessation des paiements et les actes à titre onéreux accomplis à compter de cette même date peuvent être annulés si ceux qui ont traité avec le débiteur ont connaissance de la cessation des paiements ».
A l’évidence, l’avenant conclu le 11 mai 2011 entre le FCL et le RCS est bien un acte à titre onéreux conclu pendant la période suspecte. Le Liquidateur estimait donc pouvoir en demander l’annulation, dès lors qu’il apportait la preuve que le FCL avait bien eu connaissance au jour de la signature de l’acte de l’état de cessation des paiements du RCS.
A l’inverse, il n’y avait pas lieu de démontrer l’existence d’un préjudice subi par le RCS, condition qui n’est pas posée par le texte et que ne valide pas la Cour de cassation.
Toutefois, se posait une difficulté, à savoir le caractère seulement facultatif de cette annulation, dont le prononcé relève du pouvoir d’appréciation des Juges du fond.
La Cour de cassation valide l’analyse de la Cour d’Appel sur le sujet, qui avait retenu que le FCL ne pouvait ignorer les difficultés du RCS, compte tenu des sujets réguliers dans la presse des difficultés financières d’un club de football de Ligue 1. De même, il n’était fait aucun mystère que la renégociation de la clause d’intéressement avait avant tout pour objet un paiement immédiat de l’indemnité, paiement qui aurait été différé jusqu’au transfert effectif du jour si elle avait été maintenue en l’état, puisque les finances du RCS ne permettaient visiblement pas d’attendre.
Pour autant, la Cour de cassation valide tout autant l’analyse de la Cour d’Appel, qui avait refusé d’annuler l’avenant, faisant ainsi application de son pouvoir souverain d’appréciation, après avoir noté que, à la date de négociation, puis de signature de l’avenant, l’arrivée de fonds qataris au PSG et donc la plus-value très importante à venir au bénéfice du FCL n’était pas connue des parties, de sorte que si le remplacement de la clause aléatoire par une clause forfaitaire constituait bien une suppression de l’aléa, le montant retenu par les parties semblait équilibré à la date de l’avenant, dans l’ignorance de l’évolution proche, mais non encore connue par les parties, de l’état du marché des transferts.
Les Juges du fond, ainsi approuvés par la Cour de cassation, avaient alors considéré qu’il n’y avait pas lieu de remettre en cause un acte équilibré signé dans l’intérêt mutuel des deux parties, malgré la connaissance par le cocontractant de l’état de cessation des paiements du RCS.
Il est donc refusé l’annulation de l’avenant sur le fondement des nullités facultatives de la période suspecte, décision qui valide toutes les conditions du texte et confirme le pouvoir souverain d’appréciation des Juges du fond, ce qui nous paraît totalement satisfaisant.
2° Vers une annulation de l’avenant sur le fondement des nullités de plein droit (article L. 632-1 du Code de Commerce) ?
L’arrêt est cependant cassé, mais au visa non plus de l’article L. 632-2 du Code de commerce, mais de son article L. 632-1, c’est-à-dire les nullités de plein droit de la période suspecte.
A la différence des nullités facultatives, dès lors que les conditions de l’un des cas de l’article L. 632-1 sont remplies, les Juges du fond perdent leur pouvoir souverain d’appréciation et doivent annuler l’acte litigieux. En l’occurrence, la Cour de cassation reproche à la Cour d’Appel de n’avoir pas recherché si l’avenant, qu’elle qualifie, censurant sur ce point la Cour d’Appel, d’acte commutatif, était manifestement déséquilibré, auquel cas la Cour aurait dû l’invalider.
Ce faisant, la Cour de cassation se livre manifestement à une analyse du contrat. En effet, pour ne pas qualifier l’avenant de contrat commutatif, la Cour d’Appel de COLMAR avait considéré que la clause d’intéressement, qui présentait une nature aléatoire, dans la mesure où elle prévoyait un supplément de prix du transfert à la charge du FCL, dépendant de deux évènements futurs et incertains (transfert du joueur vers un club tiers et réalisation d’une plus-value à l’occasion de ce transfert), les parties avaient cependant, tout en mettant fin à l’aléa initial, recréé un aléa, en prenant le risque de réaliser un gain ou une perte, en fonction de l’éventuelle cession de Kevin GAMEIRO à un nouveau club.
Dit autrement, et pour reprendre les termes d’un auteur[1], « l’avenant a substitué à une créance aléatoire du RCS sur le FCL un autre aléa affectant les gains et pertes qui résulteront nécessairement et respectivement, pour les deux clubs, de la modification de la convention de transfert initiale ».
Manifestement, la Cour de cassation ne suit pas ce raisonnement en se concentrant sur la rédaction du nouvel avenant, qui prévoyait désormais un prix à la fois forfaitaire et définitif. Ce faisant, elle constate l’absence d’aléa et donc la nature de contrat commutatif de l’avenant. La Cour d’Appel, qui a mal qualifié le contrat, n’a pas procédé à la recherche à laquelle elle aurait dû se livrer : s’agit-il d’un contrat commutatif manifestement déséquilibré ?
L’arrêt est donc cassé sur ce point.
Se pose cependant la question de la suite de la procédure. Il appartiendra désormais à la Cour d’Appel de renvoi de se prononcer sur le caractère déséquilibré, pour reprendre les termes de l’article L. 632-1, I, 2° du Code de Commerce, et de se déterminer sur la question d’une obligation du débiteur qui excéderait notablement celle de l’autre partie.
Or, il y a fort à parier que le raisonnement qu’a mis en avant la Cour d’Appel, s’agissant de l’incertitude qui pesait sur le marché des transferts, trouve de nouveau à s’appliquer : la richesse soudaine du PSG, quelques semaines plus tard, et le changement de la situation du marché des transferts étaient inconnus des deux parties à la date de signature du contrat. De sorte qu’en se plaçant à cette date de signature, le FCL ne faisait pas peser sur son cocontractant un déséquilibre manifeste.
Le dossier reste à suivre, mais la Cour de cassation, malgré la rigueur affichée, semble d’ores et déjà avoir tranché le litige.
Etienne CHARBONNEL
Associé
Vivaldi-Avocats
[1] Fabrice RIZZO, IN LPA, 15 février 2018, n° 133 B3, page 9.