Fonds de commerce, expropriation pour cause d’utilité publique : L’indemnisation du trouble commercial est possible, même en cas d’éviction partielle du fonds 

Alexandre BOULICAUT
Alexandre BOULICAUT - Juriste

L’éviction partielle d’un fonds de commerce peut générer un préjudice affectant l’activité poursuivie par l’exploitant dans les locaux hors emprise, distinct de celui indemnisé par l’allocation de la valeur du fonds et par l’indemnité de remploi, à charge pour l’exploitant d’en rapporter la preuve.

Source : Cass. civ 3ème, 4 juillet 2024, n°23-15027, FS – B

L’expropriation pour cause d’utilité publique est susceptible d’affecter l’exploitation d’un fonds de commerce, lorsque celui-ci est exploité sur un terrain (ou dans un immeuble) propriété de la personne expropriée.

En matière d’expropriation pour cause d’utilité publique, l’article L.321-1 du Code de l’expropriation pose le principe d’une indemnisation du propriétaire du fonds, par l’allocation de la valeur totale du fonds et par l’indemnité de remploi, afin de couvrir  « l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation ».

Si le déplacement est possible, l’autorité expropriante peut toutefois se soustraire au paiement en offrant au propriétaire du fonds de commerce évincé, un local équivalent situé dans la même agglomération. Dans ce cas, il peut être alloué au locataire, outre l’indemnité de déménagement, une indemnité compensatrice de sa privation de jouissance[1].

Par ailleurs, le droit prétorien reconnait à l’exploitant évincé, la possibilité de demander la réparation du trouble commercial consécutif à la mesure d’expropriation, lorsque ce trouble est à l’origine d’un préjudice distinct du préjudice indemnisé par l’allocation de la valeur totale du fonds (indemnité principale) et par l’indemnité de remploi.

Il en est ainsi, dans l’hypothèse d’une éviction précisément du fait de l’expropriation, et lorsque l’exploitant exproprié est obligé de rechercher un lieu de réinstallation, qui occasionne une interruption temporaire d’activité qui doit être indemnisée. La Cour a jugé que ce préjudice de réinstallation, actuel et direct, n’était pas réparé par l’allocation de la valeur vénale du fonds ni par l’indemnité de remploi[2].

Pourrait-on imaginer une extension de la jurisprudence précitée, à l’hypothèse d’une éviction partielle du fonds de commerce affectant une partie des locaux ? Oui répond la Cour dans un arrêt du 4 juillet 2024, sous étude.

Pour l’espèce qui a donné lieu à l’arrêt commenté, il s’agissait pour le juge de l’expropriation de fixer le montant de indemnités revenant à une société exploitant une activité de réparation de véhicules, par suite de l’expropriation au profit de l’établissement public foncier d’Ile-de-France de parcelles louées, servant à l’exploitation du fonds.

Avec cette précision importante, que l’expropriation ne portait que sur une partie des locaux nécessaires à l’exercice de son activité commerciale.

Pour débouter la requérante de sa demande en fixation d’une indemnité pour trouble commercial, la Cour avait jugé que l’indemnité pour trouble commercial n’était pas due en espèce, faute pour l’activité évincée d’avoir vocation à prendre. En d’autres termes, l’indemnité ne serait due, pour la Cour, que dans l’hypothèse d’un déplacement de l’activité.

La société s’était alors pourvue en cassation.

La société requérante faisait grief à l’arrêt, au visa de l’article L.321-1 du Code de l’expropriation, de rejeter sa demande, alors que l’exploitant d’une partie des locaux d’exercice de son activité commerciale, subissant une perte partielle de son fonds de commerce, lui causait nécessairement un trouble commercial.

Après avoir rappelé la jurisprudence constante précitée, la Cour de cassation censure l’arrêt querellée, et juge que l’éviction partielle d’un fonds de commerce peut générer un préjudice affectant l’activité poursuivie par l’exploitant dans les locaux hors emprise, distinct de celui indemnisé par l’allocation de la valeur du fonds et par l’indemnité de remploi, à charge pour l’exploitant d’en rapporter la preuve.


[1] En ce sens, article L.322-12, alinéas 2 et 3 du Code de l’expropriation

[2] En ce sens, Cass. civ 3ème, 26 juin 1970, n°69-70249, FS – PB ou encore Cass. civ 3ème, 25 juin 1997, n°95-70257, FS – PB

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