Épilogue sur la rémunération par lettre de change de l’avocat ?

Stéphanie TRAN
Stéphanie TRAN

 

SOURCE : CA Paris – PÔLE 05 CH. 06 – 14 mars 2013, 12/02659

 

Dans cette affaire, le sous traitant d’une entreprise générale de bâtiment avait rémunéré son avocat en tirant une lettre de change sur la personne de l’entreprise générale.

 

L’avocat a assigné en paiement le tiré (entreprise générale), lequel, pour s’y opposer, s’est prévalu d’un manquement aux règles déontologiques.

 

Il convient en effet de rappeler que l’article 11-6 du RIN dispose que « l’avocat peut recevoir un paiement par lettre de change dès lors que celle-ci est acceptée par le tiré, client de l’avocat ».

 

En l’espèce, l’entreprise générale – tirée – n’étant pas le client de l’avocat, le manquement à la règle déontologique n’était pas contestable.

 

Convenait-il toutefois de faire produire des effets civils à cette règle déontologique ?

 

Deux réponses étaient a priori concevables. Selon la première, la règle prévue à l’article 11-6 du RIN ne peut être sanctionnée que sur le terrain disciplinaire. Selon la seconde, le manquement pourrait conduire à remettre en cause la validité du titre cambiaire ou, a minima, de son endossement.

 

C’est à cette dernière conception que, par arrêt infirmatif en date du 12 novembre 2008, la cour d’appel de Paris s’est rangée. Elle a considéré que la règle professionnelle comme d’ordre public et participant aux principes essentiels de la profession, selon lesquels un auxiliaire de justice ne peut accepter des fonds dont il ne peut contrôler la provenance, a jugé que l’avocat qui n’est alors pas porteur légitime de la lettre de change, ne peut ainsi réclamer paiement de ses causes.

 

La Chambre commerciale de la Cour de cassation n’a pas emprunté le même raisonnement. Elle a en effet décidé, dans un arrêt abondamment commenté (Cf. notamment : Cass. com. 6 déc. 2011: Bull. civ. IV, no 198; D. 2012. 536, note Lasserre Capdeville; ibid. Actu. 27, obs. Delpech; JCP E 2011, no 1924; Gaz. Pal. 2012. 386, obs. Houin-Bressand; Dr. et proc. avr. 2012, suppl. Droit du recouvrement. 14, obs. Piedelièvre; RJ com. mars-avr. 2012. 36, note Deharo; Banque et Droit mars-avr. 2012. 18, obs. Bonneau. ; V. aussi Boujeka, « Droit cambiaire et déontologie des avocats »,D. 2012. 2103), que l’obligation prévue à l’art. 11-6 du règlement intérieur national des barreaux, selon laquelle l’avocat ne peut recevoir un paiement par lettre de change que si celle-ci est acceptée par le tiré, client de l’avocat, est une règle de nature déontologique éventuellement passible de sanctions disciplinaires qui ne peut priver le porteur de ses recours cambiaires, dès lors qu’il n’est pas allégué qu’en l’acquérant dans de telles conditions il aurait agi de mauvaise foi.

 

La partie finale des motifs semblait ouvrir une voie intermédiaire. Si la violation de la règle déontologique ne remet pas en cause, en tant que telle, les droits du porteur de la lettre dechange, elle établirait la mauvaise foi du porteur.

 

Or, la législation cambiaire prévoit, que les personnes actionnées en vertu de la lettre de change ne peuvent pas opposer au porteur les exceptions fondées sur leurs rapports personnels avec le tireur ou avec les porteurs antérieurs, à moins que le porteur, en acquérant la lettre, n’ait agi sciemment au détriment du débiteur.

 

Suivant cette interprétation, privée d’effets civils directs, la violation de la règle déontologique pourrait, indirectement, par l’intermédiaire du droit cambiaire, en ce qu’elle caractériserait une mauvaise foi au sens de ce dernier, conduire à annihiler les droits de l’avocat porteur de la lettre de change.

 

L’arrêt de la Cour d’appel de PARIS rendu le 14 mars 2013 a fermé cette voie intermédiaire en décidant que la méconnaissance de l’article 11-6 du RIN par le porteur ne suffit pas à établir l’acquisition de mauvaise foi de la lettre de change et ne peut dès lors lui faire perdre son recours cambiaire contre le tiré.

 

Stéphanie TRAN

Vivaldi-Avocats

 

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