Calcul de l’indemnité d’éviction.

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

 

 SOURCE : 3ème civ, 5 février 2014, n°13-10174, FS-P+B

 

Aux termes de l’article L145-14 du Code de commerce,

 

« Le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement. »

 

Lorsque le preneur bénéficie du statut des baux commerciaux, il dispose en effet d’un droit au renouvellement de son bail, qui lui confère une « propriété commerciale » des lieux loués. Le droit de propriété du bailleur est toutefois préservé par la possibilité qui lui est offerte de reprendre la jouissance des lieux, sauf à indemniser le locataire du préjudice consécutif à la perte de sa propriété commerciale.

 

Cette indemnité est calculée conformément à l’alinéa 2 de l’article susvisé. Elle comprend « notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre. »

 

L’approche de la valeur du fonds doit donc se faire selon les usages de la profession, notamment au regard des chiffres d’affaires des dernières années du fonds.

 

La question a toutefois pu se poser de savoir si ces chiffres d’affaires devaient être considérés TTC ou TVA déduite ? En effet, l’indemnité d’éviction a pour unique vocation de réparer un préjudice. Or, conformément à l’article 256 du Code général des impôts, une telle indemnité n’a pas à être assujettie à cet impôt si elle ne constitue pas la contrepartie d’une livraison ou d’une prestation de services.

 

Historiquement, la Cour de cassation jugeait que l’indemnité d’éviction devait être calculée sur la base d’un chiffre d’affaires HT[1]. On a certes pu identifier en 1996[2] une décision qui refusait de censurer un arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris du 14 juin 1994, qui évaluait un fond de commerce sur la base d’un chiffre d’affaires TTC mais les motifs du rejet du pourvoi reposaient sur des moyens essentiellement procéduraux, de sorte qu’il était difficile de tirer un enseignement d’une décision de surcroit non publiée au bulletin.

 

Un arrêt de 2003, cette fois publié au bulletin[3], semblait amorcer un revirement en estimant que la TVA devait être exclue du chiffre d’affaires servant de base au calcul de l’indemnité d’éviction « si tels sont les usages de la profession exercée par le preneur », mais l’arrêt opérait une distinction malheureuse entre les transactions amiables où le chiffre d’affaires TTC devait être pris en compte et l’évaluation de l’indemnité réparant la perte du fonds qui pouvait être calculée Hors taxes « lorsque l’indemnité représentait la stricte réparation d’un préjudice »[4].

 

L’arrêt commenté constitue cette fois un revirement clair de la jurisprudence. Ainsi la Haute Cour censure-t-elle la Cour d’appel de Bastia de n’avoir voulu retenir que le seul montant hors taxes du chiffre d’affaires, de sorte :

 

« Qu’en statuant ainsi, alors que le fait qu’une indemnité réparatrice ne soit pas soumise à une taxe sur la valeur ajoutée ne fait pas, en soi, obstacle à la prise en compte pour sa fixation, d’éléments comptables arrêtés toutes taxes comprises et que la détermination de la valeur marchande du fonds de commerce s’effectue selon les usages et modalités retenus dans la profession ou le secteur d’activité commerciale concernés, la cour d’appel, qui n’a pas recherché quelles étaient les modalités d’évaluation des fonds de commerce en vue d’une transaction en usage dans la profession, n’a pas donné de base légale à sa décision ».

 

Ce revirement était souhaitable puisqu’il est d’usage dans certaines professions d’évaluer le fonds de commerce en retenant un chiffre d’affaires TTC, de sorte que pour ce type de commerces, déduire la TVA revient à abaisser artificiellement la valeur du fonds de 20%, sauf à augmenter du même pourcentage le multiple appliqué au chiffre d’affaires, ce qui n’était jamais le cas.

 

Cela ne veut pas pour autant dire que toutes les évaluations se feront sur la base d’un chiffre d’affaires TTC. Il appartiendra toujours au preneur évincé de démontrer qu’il est d’usage dans sa profession d’évaluer le fonds de commerce sur la base d’un chiffre d’affaires TTC.

 

La preuve ne devrait pas être difficile à rapporter dans la plupart des cas. En effet, il suffira de produire un extrait du barème de l’évaluation des fonds de commerce publié par l’administration fiscale pour établir la preuve d’un principe d’évaluation TTC du fonds de commerce.

 

Il faut toutefois préciser que ce barème fait essentiellement référence à un chiffre d’affaires TTC, de sorte que mécaniquement, la valeur de la plupart des fonds de commerce de B to C devrait augmenter de 20%.

 

Sylvain VERBRUGGHE

Vivaldi-Avocats



[1] 3ème civ, 24 mai 1976, n°74-11825 ; 3ème civ, 15 juin 1994, n°92-14172 ;

[2] 3ème civ, 27 novembre 1996, n°94-18215

[3] 3ème civ, 17 décembre 2003, n°02-12236

[4] Dans la mesure où les critères ayant conduit à l’évaluation du préjudice sont inconnu, il est impossible de savoir si la déduction de la TVA a pu être compensée par une augmentation du pourcentage du chiffre d’affaires pris en compte.

 

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