BatteryGate : quand « class action à la française » et délit d’obsolescence programmée s’attaquent aux géants de la Tech

Victoria GODEFROOD BERRA
Victoria GODEFROOD BERRA

 

I – DEUX PLAINTES, DEUX ENQUÊTES DE LA DGCCRF

 

Le 18 septembre 2017, le Parquet de Nanterre a été saisi d’une plainte de l’association « Halte à l’Obsolescence Programmée » (HOP) contre EPSON pour avoir programmé la durée de vie des cartouches d’encre afin d’augmenter leur remplacement et donc leurs ventes. Une enquête est actuellement en cours depuis le 24 novembre 2017.

 

Si CANON, BROTHER et HP sont également mises en cause, seul le fabricant d’imprimantes japonais est concerné par l’enquête. L’argumentation de HOP repose sur deux composants de l’imprimante. D’une part, les cartouches d’encre sont déclarées vides alors qu’elles contiendraient encore de l’encre, et d’autre part, le tampon absorbeur de l’imprimante ne mesurerait pas le remplissage du tampon, mais compterait le nombre de fois où il a été sollicité avant de bloquer l’imprimante à un seuil prédéterminé sans que le tampon soit plein.

 

Le 27 décembre 2017, HOP a également déposé plainte auprès du Procureur de la République de Paris, mais cette fois contre APPLE[1] pour mise en place d’une stratégie globale d’obsolescence programmée et tromperie sur certains iPhones. Le Parquet de Paris a également ouvert le 5 janvier 2018 une enquête également menée par la Direction Générale de Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF).

 

Le géant américain qui a déjà à son passif huit plaintes contre lui aux Etats-Unis se défend en avançant une version diamétralement opposée. En effet, APPLE affirme que si elle a volontairement bridé et donc ralenti les « vieux » iPhones, c’est uniquement pour préserver leur batterie et ainsi prolonger la durée de vie de ces téléphones. La « marque à la pomme » semble se réfugier derrière l’utilisation de batteries au lithium-ion qui, en vieillissant, auraient plus de difficultés à répondre à des sollicitations importantes de la part des utilisateurs.

 

II – SANCTIONS DE L’OBSOLESCENCE PROGRAMMEE 

 

            II-1. Suite à une action au pénal

 

La loi Hamon du 17 mars 2014 présente les prémices de l’obsolescence programmée avec l’obligation pour les fabricants et constructeurs d’informer les consommateurs de la disponibilité sur le marché des pièces détachées indispensables à l’utilisation des biens qu’ils achètent[2].

 

Moins d’un an et demi plus tard, la loi sur la transition énergétique du 17 août 2015 codifie et définit dans le code de la consommation la pratique de l’obsolescence programmée comme « le recours à des techniques par lesquelles le responsable de la mise sur le marché d’un produit vise à en réduire délibérément la durée de vie pour en augmenter le taux de remplacement »[3].

 

Concernant la qualification juridique de l’obsolescence programmée, le Code de la consommation la considère comme une fraude et la classe dans les délits de tromperie.

 

Concernant la procédure, lorsque cette pratique est subie, elle peut donner lieu à une plainte déposée devant le Procureur de la République qui juge s’il y a lieu d’y donner suite notamment en ouvrant une enquête. S’agissant de tromperie en matière de consommation, l’enquête est menée par la DGCCRF. L’action pénale alors ouverte permet de mettre en œuvre des moyens d’investigation importants, notamment grâce aux pouvoirs des agents de la DGCCRF (perquisitions, auditions, expertises, etc.).

 

Concernant les sanctions, le Code de la consommation prévoit que le délit d’obsolescence programmée sera pénalement sanctionné :

 

d’une peine de deux ans d’emprisonnement ; et

 

d’une amende de 300 000 euros ; le montant de l’amende peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du délit, à 5 % du chiffre d’affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits[4].

 

Concernant la preuve du délit d’obsolescence programmée, il faut tout d’abord qu’un lien contractuel existe entre l’auteur et la victime du délit (achat d’un bien ou d’une prestation de service).

Puis, il est nécessaire d’identifier un élément matériel et un élément moral au délit. La tromperie doit porter sur les qualités substantielles du produit, c’est-à-dire sur un élément qui a déterminé le consentement de l’acheteur, sans lequel il n’aurait pas contracté. L’élément moral implique de démontrer l’intention impliquant la mauvaise foi de l’auteur de la tromperie qui peut être déduite de toute action, allégation ou présentation susceptible de masquer la réalité du bien ou de la prestation de service.

 

En l’espèce, si la preuve de l’élément matériel semble évidente, celle de l’intention délibérée du fabricant de réduire la durée de vie de ses produits s’avère moins aisée. L’enjeu de la bataille contre les fabricants réside donc dans la preuve de l’élément moral.

 

            II-2. Suite à une action civile

 

L’action pénale n’empêche pas une action civile, certes moins démonstratrice en termes de forces, mais qui peut néanmoins s’avérer économiquement réparatrice à l’égard des consommateurs.

 

C’est encore une fois la loi Hamon qui introduit dans le droit français la class action avec l’article L623-1 du Code de la consommation. Par cette action, une association de défense des consommateurs représentative au niveau national et agréée peut « agir devant une juridiction civile afin d’obtenir la réparation des préjudices individuels subis par des consommateurs placés dans une situation similaire ou identique et ayant pour cause commune un manquement d’un ou des mêmes professionnels à leurs obligations légales ou contractuelles ». Toutefois, la « class action à la française » présente certaines limites notamment en ce qu’elle « ne peut porter que sur la réparation des préjudices patrimoniaux résultant des dommages matériels subis par les consommateurs »[5].

 

A ce jour, HOP n’exclut pas de doubler ses plaintes d’une action de groupe cette fois au civil, ce d’autant plus que la bataille pénale risque d’être assez difficile, la preuve de l’élément moral du délit n’étant pas simple à établir.

 

Il ressort de l’ensemble de ces éléments que quelle que soit l’issue des enquêtes actuellement menées, les deux marques mises en cause ne ressortiront pas indemnes de ces affaires en raison du coup (médiatique) porté à leur image. Prendre le risque de tromper le consommateur, c’est prendre un risque réputationnel de taille. EPSON, APPLE, INTEL, SAMSUNG, à qui le tour ?

 

Victoria GODEFROOD-BERRA

Vivaldi-Avocats



[1] Plainte de HOP déposée contre APPLE : https://fr.scribd.com/document/367959494/Plainte-Apple-obsolescence-programme-e-27-12-17

[2] Article L111-4 du Code de la consommation.

[3] Article L. 441-2 du Code de la consommation.

[4] Article L. 454-6 du Code de la consommation.

[5] Article L623-2 du Code de la consommation.

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