Source : Cass.3ème Civ., 20 avril 2022, n°21-16.297
C’est ce que précise la Troisième Chambre Civile de la Cour de Cassation, dans cette décision, publiée au bulletin, comme suit :
«
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Agen, 10 mars 2021), M. [P] a confié à M. [I], architecte, assuré auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF), la maîtrise d’oeuvre des travaux de restauration d’un château endommagé par un incendie.
2. L’exécution d’une première phase de travaux a été confiée à la société Daci-bat, assurée auprès de la société GAN assurances IARD (la société GAN).
3. Les travaux ont débuté avant l’obtention du permis de construire. A la suite du rejet de la demande de permis de construire, le chantier a été arrêté.
4. M. [I] a notifié à M. [P] la résiliation du contrat de maîtrise d’oeuvre, pour perte de confiance.
5. Après expertise, M. [P] a assigné les constructeurs et leurs assureurs en indemnisation de ses préjudices.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens, sur le troisième moyen, pris en sa cinquième branche, et sur les quatrième et sixième moyens, ci-après annexés
6. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le troisième moyen, pris en ses première et troisième branches
Enoncé du moyen
7. M. [P] fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande d’indemnisation présentée au titre du passage en croix du refend et des têtes de murs, du trouble de jouissance et du surplus de loyers payés, consécutifs au retard du chantier et au titre d’un préjudice moral, alors :
« 1°/ qu’un architecte à qui est confiée une mission de maîtrise d’oeuvre complète est tenu d’assurer notamment le suivi du chantier et de surveiller le respect, par les entreprises intervenantes, des instructions et des délais qui leur ont été indiqués ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a considéré qu’aucun retard ne pouvait être imputé à faute à M. [I] dès lors que ce dernier n’avait pris aucun engagement en termes de délai et qu’aucun planning n’avait été mis en place avec les entreprises ; qu’en se prononçant ainsi, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si le retard puis l’arrêt du chantier résultaient notamment de l’engagement hasardeux par l’architecte de travaux avant l’obtention du permis de construire, d’un défaut de suivi du chantier qui avait notamment conduit aux désordres affectant les acrotères qu’il fallait refaire, et d’un manque de précision des travaux projetés, ce qui avait causé des blocages au printemps 2011 après le rejet de la première demande de permis de construire déposée, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1147 ancien du code civil, devenu l’article 1231-1 du même code ;
3°/ que l’architecte tenu d’une mission de maîtrise d’oeuvre complète est tenu de conseiller le maître de l’ouvrage sur la pertinence de l’enveloppe budgétaire consacrée aux travaux et, le cas échéant, de le mettre en garde sur l’impossibilité de parvenir à l’achèvement de la construction avec le budget envisagé ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a considéré que l’architecte avait été mis en difficulté par le choix de M. [P] de ne consacrer qu’un budget de 400 000 euros à l’opération de rénovation, dont M. [I] avait fini par constater qu’il était insuffisant pour y procéder ; qu’en se prononçant ainsi, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si l’architecte avait manqué à son devoir d’informer le maître de l’ouvrage sur le réalisme de l’enveloppe budgétaire qu’il entendait consacrer au chantier, compte tenu du projet envisagé, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1147 ancien du code civil, devenu l’article 1231-1 du même code. »
Réponse de la Cour
Vu l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
8. Selon ce texte, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.
9. Il est jugé que l’entrepreneur est soumis à l’obligation de livrer les travaux dans un délai raisonnable, même lorsque les devis ne mentionnent aucun délai d’exécution et qu’aucun planning n’a été fixé (3e Civ., 16 mars 2011, pourvoi n° 10-14.051, Bull. 2011, III, n° 35).
10. Pour rejeter les demandes d’indemnités formées par M. [P] pour les préjudices causés par l’arrêt du chantier, l’arrêt retient qu’il appartenait au maître de l’ouvrage de contracter avec un nouveau maître d’oeuvre après la rupture du contrat par M. [I], ce qu’il n’avait pas fait, générant par cette carence l’arrêt du chantier.
11. Il retient, ensuite, que M. [I] n’était pas chargé d’une mission d’ordonnancement, pilotage et coordination du chantier, qu’il n’avait pris aucun engagement en termes de délais, qu’aucun planning particulier n’avait été mis en place avec les entreprises, qu’il ne résultait d’aucune pièce ou d’aucun échange que M. [P] entendait disposer de l’immeuble reconstruit à une date particulière et que l’expertise avait mis en évidence que l’architecte avait été mis en difficulté par le choix du maître de l’ouvrage de ne consacrer qu’un budget de 400 000 euros à l’opération de rénovation, dont M. [I] avait fini par constater qu’il était insuffisant pour y procéder, alors que le maître de l’ouvrage avait reçu une indemnité d’assurance de 555 467 euros après l’incendie.
12. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si l’arrêt du chantier n’avait pas pour cause le commencement des travaux par l’architecte avant l’obtention d’un permis de construire, un manque de précision des travaux à réaliser et un manquement de l’architecte à son obligation d’informer le maître de l’ouvrage, avant le début des travaux, de l’inadéquation entre le budget alloué et le projet retenu, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le cinquième moyen
Enoncé du moyen
13. M. [P] fait grief à l’arrêt de dire que la garantie de la MAF n’était pas acquise et de rejeter les demandes présentées à son encontre, alors « que constitue une exclusion indirecte de garantie la clause par laquelle le champ de la garantie est limité aux conséquences pécuniaires des responsabilités spécifiques de la profession d’architecte, encourues dans l’exercice de celle-ci, telle qu’elle est définie par la législation et la réglementation en vigueur à la date de l’exécution de ses prestations, ce qui exclut la prise en charge des dommages résultant d’une méconnaissance par l’architecte des règles d’urbanisme ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a écarté la garantie de la MAF en retenant que M. [I] n’avait pas exercé la profession d’architecte dans des conditions normales, puisqu’il avait débuté le chantier sans avoir obtenu le permis de construire, et qu’en travaillant dans de telles conditions, il avait exercé son activité dans le cadre, non pas d’une exclusion de garantie, mais d’un risque non couvert par l’assureur, le contrat garantissant M. [I] uniquement « contre les conséquences pécuniaires des responsabilités spécifiques de sa profession d’architecte, qu’il encourt dans l’exercice de celle-ci, telle qu’elle est définie par la législation et la réglementation en vigueur à la date de l’exécution de ses prestations ; qu’en écartant la qualification d’exclusion indirecte de garantie s’agissant de cette clause, la cour d’appel a violé l’article L. 113-1 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu l’article L. 113-1 du code des assurances :
14. Il résulte de ce texte que la clause, qui prive l’assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque, constitue une clause d’exclusion de garantie.
15. Pour rejeter les demandes formées contre la MAF, l’arrêt relève que le contrat d’assurance contient une clause selon laquelle il a pour objet de garantir l’adhérent contre les conséquences pécuniaires des responsabilités spécifiques de sa profession d’architecte, qu’il encourt dans l’exercice de celle-ci, telle qu’elle est définie par la législation et la réglementation en vigueur à la date de l’exécution de ses prestations.
16. Il retient qu’en commençant les travaux avant l’obtention d’un permis de construire, M. [I] s’est rendu complice d’une infraction pénale, en contravention avec l’article 12 du décret n° 80-217 du 20 mars 1980 devenu le code de déontologie des architectes, de sorte qu’il a exercé son activité dans le cadre, non pas d’une exclusion de garantie, mais d’un risque non couvert par l’assureur.
17. En statuant ainsi, alors que l’exécution des travaux en violation des règles d’urbanisme imposant l’obtention d’une autorisation de construire constituait une circonstance particulière de la réalisation du risque, de sorte que l’assureur invoquait une exclusion de garantie, la cour d’appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il rejette les demandes d’indemnisation de M. [P] au titre du passage en croix du refend et des crêtes de murs, du trouble de jouissance, du surplus de loyers payés et du préjudice moral et en ce qu’il dit que la garantie de la Mutuelle des architectes français n’est pas acquise et rejette les demandes présentées contre elle, l’arrêt rendu le 10 mars 2021, entre les parties, par la cour d’appel d’Agen ;… »