Droit du numérique : peut-on revendre un contenu numérique téléchargé ?

Victoria GODEFROOD BERRA
Victoria GODEFROOD BERRA

Source : TGI de Paris, 17 septembre 2019, RG 16/01008

 

I – LES FAITS

 

La société VALVE est une société américaine qui propose via la plate-forme « STEAM » un service de distribution en ligne de contenus numériques tels que des jeux vidéo qu’elle développe, des logiciels, du matériel informatique (notamment des manettes de jeux) ainsi que des films et des séries télévisées.

 

Ces contenus numériques sont téléchargeables sur l’ordinateur de l’utilisateur qui a souscrit un abonnement avec STEAM au moyen de conditions générales d’utilisation (CGU) de la plateforme.

 

La mise à disposition en ligne de jeux vidéo et des services associés sont assurés par la société VALVE, unique cocontractant des souscripteurs de la plateforme STEAM.

 

En décembre 2015, UFC-Que Choisir a assigné VALVE devant le TGI de Paris en raison de plusieurs clauses des CGU jugées abusives et notamment la clause 1.C, selon laquelle aucun des utilisateurs de STEAM « n’est autorisé à vendre ou facturer le droit d’utiliser des Souscriptions », c’est-à-dire du contenu hébergé sur la plateforme.

 

II – LA POSITION DES JUGES DU PREMIER DEGRE BASEE SUR LE DROIT EUROPEEN

 

II – 1. Retour sur le principe d’épuisement du droit de distribution

 

La décision du TGI de Paris a essentiellement été motivée par le principe de l’épuisement du droit de distribution.

 

Pour mémoire, le principe d’épuisement du droit, consacré par la Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, établit qu’une fois une œuvre vendue une première fois avec l’autorisation de l’auteur, ce dernier n’a plus de contrôle sur les reventes suivantes.

 

Autrement dit, la vente des exemplaires de l’œuvre ne peut plus être interdite et cela que l’œuvre soit dématérialisée ou non.

 

Ainsi, les considérants 29 et 30 de la Directive précitée expose que :

 

« (29) La question de l’épuisement du droit ne se pose pas dans le cas des services, en particulier lorsqu’il s’agit de services en ligne. Cette considération vaut également pour la copie physique d’une œuvre ou d’un autre objet réalisée par l’utilisateur d’un tel service avec le consentement du titulaire du droit. Il en va par conséquent de même pour la location et le prêt de l’original de l’œuvre ou de copies de celle-ci, qui sont par nature des services. Contrairement aux CD-ROM ou aux CD-I, pour lesquels la propriété intellectuelle est incorporée dans un support physique, à savoir une marchandise, tout service en ligne constitue en fait un acte devant être soumis à autorisation dès lors que le droit d’auteur ou le droit voisin en dispose ainsi.

 

(30) Les droits visés dans la présente directive peuvent être transférés, cédés ou donnés en licence contractuelle, sans préjudice des dispositions législatives nationales pertinentes sur le droit d’auteur et les droits voisins ».

 

L’abonnement / la souscription effectués par l’utilisateur constitue en réalité un achat dès lors que le jeu est mis à la disposition de celui-ci de manière illimitée. Les juges du premier degré en déduisent que les utilisateurs de la plateforme deviennent pleinement propriétaires des jeux achetés sur celle-ci au point de pouvoir en disposer librement.

 

II – 2. Sanctions prononcées

 

La clause litigieuse a donc été déclarée illicite et par conséquent réputée non écrite par le TGI de Paris.

 

Conséquence directe : l’accord (CGU) signé entre STEAM et ses utilisateurs reste valable, mais que la clause interdisant la revente d’un jeu est sans effet de sorte qu’il devient impossible pour la plateforme de s’en prévaloir.

 

D’autres clauses (quatorze) illégales ont été en outre déclarées comme abusives par la juridiction. Par exemple, le fait pour la plateforme de s’octroyer le droit de conserver les fonds de ses utilisateurs lorsque ces derniers la quittaient.

 

Le TGI demande à VALVE de modifier ses conditions d’utilisation et de verser 30 000 € à UFC-QUE CHOISIR, mais surtout devra modifier ses CGU de sorte à permettre à ses abonnés de revendre les contenus numériques acquis.

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