C’est une réalité fréquemment évoquée, le numérique et l’« intelligence » artificielle (pour faire court) sont des sources considérables de productivité et de compétitivité. De plus le concept de « digital Workplace » est au cœur des enjeux du travail à distance, renforcé par la covid.
Se pose donc la question du devenir du travail et des emplois. Derrière cette question il y a celles de l’intelligence collective et des motivations des humains concernés. Rappelons que le travail salarié est basé sur une transaction. Les personnes apportent des compétences pour réaliser des activités (individuelles et collectives), et reçoivent des rémunérations, quantités monétaires, fonction des contrats, des temps considérés, et d’éventuels autres facteurs.
Sans aborder ici les aspects non monétaires de la rétribution – qui peuvent être essentiels – observons que la rémunération renvoie en général à des emplois prédéfinis, et donc une hiérarchie (classification conventionnelle…), et parfois à des objectifs précisant ou s’ajoutant à ces emplois. En fonction des secteurs et degrés de maturité, le digital impacte les emplois, en fait disparaitre et apparaitre de nouveaux, et modifie le contenu de plusieurs autres. Automatisation, algorithmes, robots, capteurs, internet des objets (IoT), industrie 4.0, … Cela fait l’objet d’études plus ou moins inquiétantes ou enthousiasmantes selon les points de vue.
La reconnaissance au centre de l’action
Cependant il y a aussi des activités et façons de faire « non prédéfinies », dont l’importance est accentuée par les mutations du numérique. Elles relèvent principalement de la créativité et de la transversalité, et s’inscrivent dans des modes de travail collaboratifs ne pouvant ou ne devant pas faire l’objet de consignes précises. Pour les réaliser le travailleur humain est supposé exercer une autonomie « appropriée », c’est-à-dire tenant compte de ce qu’il sait de la stratégie et des finalités de l’organisation. C’est aussi souvent sur ce plan que se révèle l’intérêt des « soft skills » (compétences socio émotionnelles), notamment pour ce qui concerne les relations clients, la recherche et l’innovation.
Certains de ces apports sont potentiellement cruciaux, et il est risqué de les laisser durablement sans « reconnaissance », qui n’est pas forcément une récompense monétaire. Ayant eu à connaitre plusieurs systèmes de rétribution (en tant que consultant, drh, maitre d’ouvrage ou enseignant), j’ai pu constater les dégâts considérables quand il n’y a pas de cohérence entre ce qui est devenu nécessaire – initiatives, modes de travail plus transversaux, agilité…- et ce qui est concrètement rétribué du fait de règles désuètes ou d’usages qu’on n’ose pas dénoncer.
Pour résumer, le digital n’impacte pas que les emplois en tant que tels, et dans certains cas il accentue surtout l’importance de modes d’action et de coopération non prédéfinis.
Même s’il est essentiel de prévenir et gérer au mieux les conséquences en termes d’emploi, il y a un risque à se focaliser sur cette unique dimension, car cela conduit à minorer la mutation profonde sous-jacente, qui n’est pas seulement un sujet de grh mais bien de stratégie et de gouvernance.
Il y aurait beaucoup à dire, et des études passionnantes à mener sur ces enjeux, et vos réactions et suggestions dans ce sens seront les bienvenues.
Franck Maes, partenaire Vivaldi Avocats
Conseil de direction et enseignant au groupe EDHEC (ancien DRH)