Durée excessive d’une procédure de liquidation judiciaire et art 6 et 1 du protocole additionnel n°1 de la CEDSH

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

 

Source : CEDH, 5 juin 2014, n° 63648/12, M. c/ France

 

I-

 

Dans une décision du 5 juin dernier, la Cour EDH, relevant que « le Gouvernement français a, dans sa déclaration, reconnu sans équivoque qu’en l’espèce, la durée de la procédure de liquidation judiciaire était excessive au regard des exigences de délai raisonnable au sens de l’article 6, § 1 de la Convention et que l’impossibilité pour le requérant d’exercer une action en réparation du dommage causé par la durée de la procédure de liquidation judiciaire avait porté atteinte à ses droits garantis par les articles 6, § 1 et 13 », a considéré « qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête » et par conséquent décide qu’« il y a lieu (…) de rayer la requête du rôle ».

 

Le requérant est un ressortissant français qui a fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire puis de liquidation judiciaire. 24 ans plus tard, la procédure est toujours pendante. Invoquant l’article 6, § 1 de la Convention EDH (droit à un procès équitable dans un délai raisonnable), il dénonce la durée excessive de liquidation judiciaire à son encontre et se plaint de l’interdiction qui lui est faite en conséquence d’agir en justice pour engager la responsabilité de l’État. Dans une déclaration unilatérale, le Gouvernement français :

 

« reconnaît, qu’en l’espèce, d’une part, la durée de la procédure de liquidation judiciaire dont le requérant, débiteur, a été l’objet a été excessive au regard des exigences du délai raisonnable posées par l’article 6, § 1 de la Convention et, d’autre part, que l’impossibilité pour le requérant d’exercer une action en réparation du dommage causé par la durée de la procédure de liquidation a porté atteinte à ses droits garantis par les articles 6, § 1 et 13 de la Convention »

 

Et

 

« offre de [lui] verser (…) la somme globale de 15 300 euros » en réparation de son préjudice. Par une lettre du 15 novembre 2013, le Gouvernement en a informé la Cour et l’a, en outre, invitée à rayer la requête du rôle en application de l’article 37 de la Convention.

 

La Cour rappelle que « dans certaines circonstances, il peut être indiqué de rayer une requête du rôle en vertu de l’article 37, § 1 c) [« pour tout autre motif dont la Cour constate l’existence, il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête »] sur la base d’une déclaration unilatérale du gouvernement défendeur même si le requérant souhaite que l’examen de l’affaire se poursuive ». Après avoir examiné ladite déclaration formelle et constaté que le Gouvernement a, tant reconnu l’existence des violations alléguées, que proposé des modalités de redressement approprié, elle en prend acte et décide de rayer la requête du rôle.

 

II-

 

Deux enseignements sont à tirer de ces décisions :

 

1-Une procédure de liquidation judiciaire trop longue peut être sanctionnée

 

au visa de l’article 6 de la CESDH ainsi rédigé :

 

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendu équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial (..) »

 

Mais surtout de l’article 1 du protocole additionnel n°1 ainsi rédigé :

 

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

 

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes ».

 

Ce sera le tribunal de Grande Instance territorialement compétant dans le ressort du tribunal de commerce qui a ouvert la procédure. Et si la procédure est ouverte par une juridiction civile … la même juridiction ; ce qui peut poser des problèmes d’impartialité sauf à la juridiction à « dépayser » la procédure.

 

La France ne fait pas pour autant œuvre de repentance puisque la CEDSH l’avait sanctionné pour les mêmes motifs en 2011[1].Dans cette affaire, les juges de Strasbourg avaient recherché si l’ingérence liée au dessaisissement du débiteur pour les besoins de la liquidation était proportionnée et si elle avait su “ménager un juste équilibre » entre les impératifs de l’intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu“.

 

Ainsi après avoir rappelé que “la limitation du droit du requérant au respect de ses biens » n’est pas critiquable en soi, compte tenu notamment du but légitime visé et de la marge d’appréciation autorisée par le second alinéa de l’article premier du protocole additionnel n°1 (droit de propriété) la charge excessive quant à la limitation de la possibilité pour le débiteur de disposer de ses biens , notamment à la lumière de la durée d’une procédure est sanctionnable [2].

 

Ainsi la cour avait elle jugé que la durée excessive de la procédure ayant été constatée :

 

“la limitation du droit du requérant au respect de ses biens n’était pas justifiée tout au long de la procédure dès lors que, nonobstant le fait qu’en principe, la privation de l’administration et de la disponibilité des biens est une mesure nécessaire afin d’atteindre le but poursuivi, cette nécessité s’amenuise avec le temps”. Elle y voit une “rupture de l’équilibre à ménager entre l’intérêt général au paiement des créanciers de la faillite et l’intérêt individuel du requérant au respect de ses biens”.

 

et en avait déduit que l’ingérence dans le droit du requérant au respect de ses biens n’est pas proportionnée au but légitime poursuivi.

 

2-Les dommages intérêts ne peuvent être symboliques

 

La Cour a jugé que 15.000 € de réparation pour 24 ans de procédure étais satisfactoire. La décision de retrait ne précise pas si le débiteur a jugé que le paiement de cette somme réparait utilement son préjudice.

 

La décision ne précise pas non plus si la clôture aurait pu s’éteindre par extinction du passif ou si la réparation indemnise simplement la perte des droits économiques pendant 24 ans.

 

En tous cas 600 € par an semble être une réparation dérisoire compte tenu des contraintes et entraves que génère pour le débiteur l’ouverture d’une telle procédure.

 

Eric DELFLY

Vivaldi-avocats


[1] Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), Tétu c/ France, arrêt rendu le 22 sept. 2011, req. n° 60983/09

[2]Luordo c/ Italie, req. n° 32190/96, § 70,

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