Dans un arrêt du 20 mars 2025, la CJUE a eu l’occasion de préciser l’applicabilité des dispositions relatives à la protection du consommateur lorsque l’un des contractants est un jeune sportif qui s’engage à reverser 10 % à son cocontractant de ses revenus issus de son potentiel futur statut de sportif professionnel en contrepartie d’une assistance dans le développement de sa carrière.
Source : CJUE, 20 mars 2025, aff. C-365/23
I – Faits et procédure
Le 14 janvier 2009, un jeune espoir du basket letton âgé de 19 ans signe un contrat de services de soutien au développement sportif avec une entreprise spécialisé dans ce domaine, le contrat ayant été signé pour une durée de 15 ans.
En contrepartie de différents services ayant pour objectif le développement de la carrière du jeune basketteur (formation, entraînement, médecine du sport, accompagnement psychologique, assistance dans la conclusion de contrats entre le sportif et le club, marketing…), ce dernier s’engageait à reverser à l’entreprise une rémunération égale à 10 % de tous les revenus nets perçus pendant la durée du contrat (à condition que ces revenus soient supérieurs à 1.500 euros par mois).
Estimant que son cocontractant n’avait pas respecté la clause relative au versement desdits 10 %, l’entreprise saisit les juridictions lettones pour que le basketteur soit condamné au versement d’une somme de 1.6663.777,99 euros qui correspondrait à 10 % des revenus perçus par le basketteur de clubs sportifs durant la durée du contrat.
N’obtenant gain de cause ni en première instance ni en appel, les différentes juridictions estimant que la clause litigieuse était abusive, l’entreprise se pourvoit en cassation devant l’Augstākā tiesa, l’équivalent de la Cour de cassation, en arguant que les dispositions relatives à la protection des consommateurs n’étaient en l’espèce par pertinentes car le contrat relèverait de la catégorie des contrats de sportif « jeune espoir ».
La Haute Cour lettone relève qu’elle n’a jamais eu à se prononcer sur l’applicabilité de la protection des droits des consommateurs au domaine du sport. Elle relève également l’existence de nombreuses différences dans la juridpsurdence des Etats membres nécessitant de poser des questions préjudicielles : elle cite notamment la cour d’appel de Paris qui, dans un arrêt du 23 mai 2019[1], juge que dans un cas d’espèce très similaire le sportif agit en tant que consommateur et non en tant que professionnel, par opposition à un arrêt du 7 novembre 2020 rendu par le tribunal régional supérieur de Munich qui n’a pas appliqué les dispositions relatives à la protection des consommateurs.
La Cour suprême lettone décide de surseoir à statuer et de poser à la Cour de Justice de l’Union Européenne un certain nombre de questions préjudicielles.
II – Le caractère abusif de la clause litigieuse
Tout d’abord, la Cour considère que la directive 93/13 relative aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel exerçant une activité dans le domaine du développement des sportifs et un mineur « espoir » ayant la qualité de consommateur est applicable. En effet, dans un contrat conclu entre un professionnel exerçant dans le domaine du développement de la carrière de sportifs et un mineur « espoir » n’exerçant pas encore l’activité concernée à titre professionnel au moment de la conclusion du contrat, il faut se référer à la qualité des contractants selon qu’ils agissent ou non dans le cadre de leur activité professionnelle, et, le fait que ce dernier soit par la suite devenu un sportif professionnel ne peut remettre en cause la qualité de consommateur, qui doit être appréciée au moment de la conclusion du contrat en cause[2]. Sa qualification d’espoir dans l’activité sportive au sein de laquelle il est par la suite devenu professionnel n’a pas non plus la capacité de remettre en cause sa qualité au moment de la signature du contrat.
D’autre part, la Cour juge qu’une juridiction nationale ne peut apprécier le caractère abusif d’une clause telle que celle du cas d’espèce que si celle-ci n’est pas rédigée de façon claire et compréhensible. La Cour relève également qu’une réglementation nationale a la possibilité de prévoir l’appréciation du caractère abusive d’une telle clause.
La clause litigieuse, qui prévoit qu’en contrepartie d’une prestation de services de soutien au développement sportif et à la carrière, un sportif s’engage à payer au prestataire une rémunération égale à 10 % des revenus qu’il percevra au cours des quinze années suivant la conclusion de ce contrat, sans que le consommateur n’ait été destinataire de l’ensemble des informations nécessaires lui permettant d’évaluer les conséquences économiques de son engagement, n’est pas rédigée de façon claire et compréhensible.
De plus, la clause ne créerait pas de déséquilibre significatif au détriment du consommateur, un tel déséquilibre devant s’apprécier au regard, notamment, « des règles applicables dans le droit national en l’absence d’accord des parties, des pratiques de marché loyales et équitables à la date de conclusion du contrat en matière de rémunération dans le domaine sportif concerné ainsi que de toutes les circonstances qui entourent la conclusion dudit contrat de même que de toutes les autres clauses de celui-ci ou d’un autre contrat dont il dépend ».
Enfin, la juridiction nationale qui constaterait le caractère abusif de la clause ne peut pas réduire le montant dû par le consommateur, le basketteur mineur, à hauteur des frais effectivement engagés par son cocontractant, le professionnel du développement de carrière sportive, étant précisé que le fait que le cocontractant ait été mineur au moment de la conclusion du contrat doit être pris en compte dans l’appréciation du caractère abusif de la clause.
En résumé, au moment de la conclusion du contrat, le sportif contractant étant mineur et simplement « espoir », il convient d’appliquer les dispositions relatives à la protection des consommateurs. La clause litigieuse, du fait d’une rédaction ni claire ni compréhensible résultat d’un défaut d’informations quant aux conséquences financières d’un tel engagement peut donc être considérée comme abusive. Mais ce caractère abusif ne saurait réduire le montant dû par le consommateur aux seuls frais engagés par le professionnel.
III – Pour aller plus loin
En France, le Code du sport protège particulièrement les mineurs sportifs et interdit une quelconque rémunération d’agent relative à un contrat impliquant un sportif mineur, selon l’article L. 222-5 dudit Code :
« L’article L. 7124-9 du code du travail s’applique aux rémunérations de toute nature perçues pour l’exercice d’une activité sportive par des enfants de seize ans et moins soumis à l’obligation scolaire.
La conclusion d’un contrat soit relatif à l’exercice d’une activité sportive par un mineur, soit dont la cause est l’exercice d’une activité sportive par un mineur ne donne lieu à aucune rémunération ou indemnité ni à l’octroi de quelque avantage que ce soit au bénéfice d’une personne physique ou morale mettant en rapport les parties intéressées à la conclusion d’un de ces contrats ou d’une personne physique ou morale agissant au nom et pour le compte du mineur.
Les conventions écrites en exécution desquelles une personne physique ou morale met en rapport les parties intéressées à la conclusion d’un de ces contrats ou agit au nom et pour le compte du mineur mentionnent l’interdiction prévue au deuxième alinéa. La personne physique ou morale partie à une telle convention la transmet à la fédération délégataire compétente. Cette fédération édicte également les règles relatives à la communication des contrats relatifs à l’exercice d’une activité sportive par un mineur.
Toute convention contraire au présent article est nulle. »
Un agent sport peut néanmoins tout à fait représenter un sportif mineur, mais il ne pourra en tirer aucune rémunération ni aucun avantage, étant précisé que la minorité est ici fixé à 16 ans.
[1] CA Paris, Pôle 2 – chambre 2, 23 mai 2019, n°16/02277
[2] Arrêts CJUE, 9 juillet 2020, SC Raiffeisen Bank SA contre JB et BRD Groupe Société Générale SA contre KC, C‑698/18 et C‑699/18