Clause « 360 » : baguette magique du débiteur ?

Equipe VIVALDI
Equipe VIVALDI

 

Sources : CA PARIS, P5, ch 6, 7 avril 2016, n°15-2325,

CA PARIS, P5, ch 6, 12 mai 2016, n°15-00202,

CA PARIS, P5, ch 6, 12 mai 2016, n°15-01363.

 

I – PETITE HISTOIRE D’UN DERAPAGE JUDICIAIRE

 

I – 1.

 

Le feu prend avec l’adoption de l’article L313-1 al. 1er du Code de la consommation[1], et son pendant du même code, l’article R313-1, qui posent l’obligation pour tout offreur de crédit de faire figurer dans le contrat ou l’offre de crédit le Taux Effectif Global (ou TEG), tous les coûts obligatoires attachés à l’offre de prêt, permettant à l’emprunteur de connaître le coût réel de son crédit, et ainsi comparer les offres des établissements concurrents.

 

L’objectif poursuivi est louable en ce qu’il impose aux banquiers de jouer le jeu de la transparence tarifaire, ou de souffrir d’une déchéance totale ou partielle des intérêts contractuels[2].

 

Sans que l’on parvienne à identifier clairement la doctrine sous-jacente à la création de cette norme prétorienne, la Première Chambre civile de la Cour de Cassation va s’emparer des principes posés pour le TEG, pour l’appliquer à la clause lombarde, consistant à calculer les intérêts sur une année théorique de 360 jours au lieu de 365 jours.

 

I – 2.

 

Cette évolution est relativement récente puisque, par une décision qui est toujours d’actualité pour les professionnels, la Chambre commerciale de la Cour de cassation avait jugé, par un arrêt du 24 mars 2009[3] :

 

« Si le TEG doit être calculé sur la base de l’année civile, rien n’interdit aux parties à un prêt de convenir d’un taux d’intérêt conventionnel calculé sur une autre base ; dès lors, justifie légalement sa décision, la cour d’appel qui, ayant relevé qu’il était expressément mentionné dans l’acte de prêt que les intérêts conventionnels seraient calculés sur la base de 360 jours, retient que ces modalités, qui ont été librement convenues entre les parties, ne peuvent être remises en cause[4] »

 

Ce raisonnement rendu au vise des articles 1907 du Code civil et L.313-1, L.313-2 et R.313-1 du Code de la consommation était logique.

 

Tel n’est plus l’avis de la Chambre civile de la Cour de cassation, qui, à propos des crédits destinés aux non-professionnels, juge pour la première fois et par un arrêt de principe du 19 juin 2013[5] :

 

« En application combinée des articles 1907, alinéa 2, du code civil et L. 313-1, L. 313-2 et R. 313-1 du code de la consommation, le taux de l’intérêt conventionnel mentionné par écrit dans l’acte de prêt consenti à un consommateur ou un non-professionnel doit, comme le taux effectif global, sous peine de se voir substituer l’intérêt légal, être calculé sur la base de l’année civile (titrage et résumé). »

 

Cette position a été réaffirmée, par une décision du 17 juin 2015[6], et une autre du 15 juin 2016[7], qui apporte toutefois des précisions sur les recherches à opérer par les juridictions du fond, avant de prononcer la sanction. Ainsi, la Cour d’appel de Colmar est-elle censurée pour avoir prononcé la déchéance des intérêts contractuels alors :

 

« Qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme l’y invitait la banque, si le taux effectif global de chacun des prêts litigieux n’avait pas été calculé en fonction d’un mois normalisé de 30,41666 jours rapporté à la durée de l’année civile, ni mieux préciser en quoi la référence au taux de base bancaire rendait imprécises les modalités de calcul du taux d’intérêt variable stipulé dans les prêts consentis les 1er juin 2001 et 17 avril 2003, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés. »

 

Cette position de la Première Chambre civile, qui bénéficie au seul consommateur est troublante, en ce qu’elle conduit à l’application d’une norme totalement prétorienne assortie d’une sanction qui l’est tout autant. Or, le principe de séparation des pouvoirs devrait conduire les magistrats à appliquer la norme et non pas la créer.

 

            I – 3.

 

Pire encore, la Cour d’appel de Paris, dans ces arrêts commentés, élargit le champ des situations susceptibles de tomber sous le coup de la sanction prétorienne. Ainsi, la banque :

 

– Ne pourrait pas se prévaloir de l’accord des parties sur un intérêt conventionnel calculé sur 360 jours, au lieu de l’année civile, au regard du caractère d’ordre public des dispositions du Code de la consommation ;

 

– Ne pourrait pas soutenir ne pas avoir appliqué la clause incriminée, en calculant les intérêts sur la base de l’année civile, alors qu’elle n’en a pas informé les emprunteurs ;

 

– Devrait assurer une parfaite cohérence et transparence entre ce qu’elle écrit et son mode de calcul des intérêts conventionnels, en sa qualité de professionnel et rédacteur d’un contrat d’adhésion qu’elle soumet à la signature des emprunteurs.

 

On sent bien à l’analyse de ces décisions l’amalgame malheureux commis tant par les juges du fond, que la Première Chambre civile de la Cour de cassation, qui confondent calcul du TEG et détermination conventionnelle du taux d’intérêt, au point d’écrire, à tort, que le taux d’intérêt conventionnel… se calcule. Mais plus surprenant encore, est la sanction de la déchéance des intérêts conventionnels, qui peut avoir un sens en ce qui concerne la présentation d’un TEG inexact, alors que l’application de l‘année lombarde, limitée aux seules mensualités « brisées », est sans conséquence significative sur le coût du crédit.

 

Explication…

 

II – L’APPLICATION DE L’ANNEE LOMBARDE EST SANS CONSEQUENCE SIGNIFICATIVE SUR LE COUT DU CREDIT

 

            II – 1.

 

Pour comprendre le calcul des intérêts conventionnels, il est nécessaire de faire un peu de mathématiques.

 

Les intérêts dus mensuellement sont calculés comme suit :

 

Capital restant dû (CRD) x taux d’intérêt annuel / 12

 

Cette formule, mathématiquement, est strictement équivalente aux calculs suivants :

 

CRD x taux d’intérêt annuel x 30 / 360

 

Ou encore CRD x taux d’intérêt annuel x 30,41666 / 365

 

Exemple : Pour un prêt de 200.000 €, au taux annuel de 2 %, les intérêts dus pour la première mensualité s’élèvent à :


200.000 x 2 % / 12 = 333,33 €

 

On obtient le même résultat en calculant :

 

200.000 x 2 % x 30 / 360 = 333,33 €

 

Ou encore 200.000 x 2 % x 30,41666 / 365 = 333,33 €

 

C’est ici la démonstration que, le calcul des intérêts sur un mois complet est indépendant du référentiel annuel utilisé (360 ou 365 jours). Tout simplement, les intérêts sont calculés par fractions d’années, en l’occurrence des douzièmes.

 

            II – 2.

 

L’égalité mathématique est rompue pour les seuls intérêts intercalaires, c’est-à-dire ceux ne correspondant pas à un mois complet, soit la première et/ou la dernière mensualité du prêt lorsqu’elle ne correspond pas à un mois complet (par exemple un contrat prévoyant des mensualités prélevées tout les 5 de chaque mois lorsque la libération des fonds intervient le 20 du mois[8]).

 

Dans cette hypothèse, la formule de calcul qui sera utilisée pourra avoir un impact défavorable… ou favorable au consommateur, en fonction de la rédaction du contrat. Dans tous les cas (favorables ou défavorables), l’écart est minime : démonstration.

 

Les hypothèses sont les suivantes :

 

– Prêt de 200.000 € ;

 

– Au taux de 2% ;

 

– Dont les mensualités sont prélevées le 5 de chaque mois ;

 

– Dont la libération intervient le 20 janvier.

 

Les intérêts intercalaires, correspondant à la mensualité « brisée », courent donc du 20 janvier, date de libération des fonds, au 5 février, date du premier prélèvement contractuel, soit 16 jours calendaires.

 

Selon les contrats :

 

– les intérêts intercalaires pourront être calculés selon le nombre de jours réels (ici 16) ou selon un mois dit « notionnel » de 30 jours (le mois de janvier, comme tous les mois de l’année, sera réputé être un mois de 30 jours) ;

 

– Et la référence annuelle pourra être sur 360 ou 365 jours.

 

La combinaison de ces deux paramètres donnera le tableau suivant :

  

Base

Nombre de jours réels / 360

Base nombre de jours sur un mois notionnel de 30 jours / 360 Base nombre de jours réel / 365 Base nombre de jours sur un mois notionnel de 30 jours / 365

200.000 x 2 % x 16 / 360

= 177,77 €

200.000 x 2 % x 15[9] / 360

= 166,66 €

200.000 x 2 % x 16 / 365

= 175,34 €

200.000 x 2 % x 15 / 365

= 164,38 €

Ecart défavorable au client

– 2,43 €

Ecart favorable au client

+ 8,68 €

Ecart favorable au client

+ 10,96 €

 

La question qui vient naturellement à l’esprit est : cet écart est-il à ce point déterminant, que s’il avait été connu du consommateur lors de l’émission de l’offre, il aurait négocié autrement, ou contracté avec une autre banque ? Une réponse négative s’impose, avec d’autant plus d’évidence, pour des crédits immobiliers contractés sur des durées de 15 à 20 ans.

 

Et par ricochet, on peut se demander s’il est légitime ou même équitable de sanctionner par la déchéance des intérêts l’application d’une clause 360 aux intérêts intercalaires.

 

Rien ne semble justifier, en droit, comme en fait, une sanction aussi disproportionnée.

 

III – UN AMALGAME INAPPROPRIE ENTRE LES SANCTIONS APPLICABLES AU TEG ERRONE ET A L’ANNEE LOMBARDE

 

            III – 1.

 

On ne rappellera jamais assez que la sanction applicable au TEG erroné a pour objet d’introduire une loyauté et une transparence dans l’annonce du coût total du crédit lors de l’émission de l‘offre de prêt. Cette sanction conduit :

– A la déchéance des intérêts contractuels dans la proportion décidée par le juge pour les offres de crédit immobilier[10] ;

 

– La déchéance totale des intérêts contractuels pour les crédits à la consommation[11] ;

 

Le Code de la consommation reste silencieux sur la sanction applicable à un calcul des intérêts sur 360 jours. Soutenir que l’application de l’année lombarde a nécessairement un impact sur le coût total du crédit, et donc sur le TEG, ce qui justifierait une transposition de la sanction, et relèverait de la méconnaissance des modes de détermination du TEG. En effet, le taux nominal du prêt doit être incorporé dans le TEG. Ce taux est fixé contractuellement, et n’est pas calculé !

 

Plus clairement dit, à la date de l’émission de l’offre, le banquier n’est pas en mesure de déterminer l’existence, et éventuellement le montant de la période intercalaire, qui dépendra de la date d’acceptation de l’offre, et par ricochet de la date de libération des fonds.

 

Le calcul d’intérêts intercalaires n’intervient en pratique qu’au stade de l’exécution du contrat, et non au stade de sa formation. Par définition, il est absent du calcul du TEG, de sorte qu’il n’est pas cohérent d’appliquer les sanctions du TEG erroné à la clause lombarde.

 

            III – 2.

 

A l’aune de ces explications se dessinent deux moyens de défense du consommateur conformes au droit contractuel et à la jurisprudence qui l’applique.

 

Le premier consisterait, au visa de l’article 1147 du Code civil (désormais article 1217 du Code civil), à faire grief à la banque d’un manquement à son obligation légale de calculer les intérêts intercalaires sur 365 jours. La banque pourrait être, par référence à l’exemple précité, condamnée à payer une somme de 2,43 € à son client, dans une des hypothèses de calcul sur les quatre examinées.

 

Pour les trois autres, aucun préjudice ne pourra être établi.

 

Le second s’appuierait sur un vice du consentement, provoqué par un manquement de la banque à son obligation de conseil et d’information, qui aurait dû attirer l’attention du consommateur sur l’application de l’année lombarde aux intérêts intercalaires. L’expérience montre toutefois qu’une grande partie des contrats font référence à un calcul sur 360 jours, de sorte que dans cette hypothèse, il est difficile de rapporter un défaut d’information. Lorsque la clause 360 n’apparait pas expressément dans l’offre, le vice du consentement ne peut être rapporté que si le client fait la démonstration qu’il n’aurait pas contracté, si le mode de calcul des intérêts intercalaires avait été porté à sa connaissance[12]. En revenant à l’exemple précité, est-il sérieux de soutenir qu’un emprunteur sur 20 ans n’aurait pas contracté, s’il avait eu connaissance d’un écart sur le coût de son crédit de… 2,43 €.

 

Il semble à l’équipe de Vivaldi-Chronos que les banques subissent un « contentieux d’aubaine », qui ne repose sur aucune logique de sauvegarde de l’ordre public économique, ni sur aucun fondement juridique.

 

Affaire à suivre donc, puisque les trois arrêts commentés ont fait l’objet de pourvois en cassation, de sorte que la position de la Première Chambre civile est attendue avec impatience.

 

L’équipe du pôle Banque / Bourse / Crédit de Vivaldi-Avocats

 

Eric DELFLY

Etienne CHARBONNEL

Jacques-Eric MARTINOT

Thomas LAILLER

 


[1] le législateur a posé comme une obligation, la stipulation de ce TEG, qui figure à l’article L.313-2 du Code de la Consommation :

« Le taux effectif global déterminé comme à l’article L.313-1 doit être mentionné dans tout écrit constatant un contrat de prêt régi par la présente section […]. »

 

L’article L 313-1, quant à lui, liste l’ensemble des frais et coûts qui doivent figurer dans le calcul du TEG :

« Dans tous les cas, pour la détermination du taux effectif global du prêt, comme pour celle du taux effectif pris comme référence, sont ajoutés aux intérêts les frais, commissions ou rémunérations de toute nature, directs ou indirects, y compris ceux qui sont payés ou dus à des intermédiaires intervenus de quelque manière que ce soit dans l’octroi du prêt, même si ces frais, commissions ou rémunérations correspondent à des débours réels […]. »

[2] Voir par exemple :

       Cass. 1ère Civ 19 septembre 2007, Pourvoi n°06-16.964 ;

       Cass Com. 30 octobre 2012, Pourvoi n°11-23.034 ;

       Cass 1ère Civ 13 mars 2007, Pourvoi n°05-20.111 ;

       Plus récemment : Cass. 1ère Civ, 15 octobre 2014, Pourvoi n°13-16.555

[3] Cass. Com. 24 mars 2009, n°08-12530, publié au bulletin

[4] A noter : cette décision est à rapprocher d’une autre de la même chambre en date du 17 janvier 2006 (n°04-11100, également publié au bulletin)

[5] Cass. Civ. 1ère, 19 juin 2013, n°12-16651

[6] Cass. Civ. 1ère, 17 juin 2015, n°14-14326

[7] Cass. Civ 1ère, 15 juin 2016, n°15-16498

[8] En général, la dernière mensualité est complète, sauf en cas de remboursement anticipé ou de déchéance du terme, auquel cas il faut calculer les intérêts en fonction de la durée exacte

[9] C’est-à-dire 10 jours du 20 au 30 janvier, et 5 jours du 1er au 5 février. Dans cette hypothèse, le 31 janvier n’existe pas.

[10] Article L.312-33 du Code de la consommation, par renvoi à l’article de l’article L.312-8 du même code

[11] Article L.311-48 du Code de la consommation

[12] Un tel fondement reposerait sur le dol défini et sanctionné sur l’article 1116 ancien du Code civil, désormais 1137 et 1138 du Code civil

 

 

 

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