Caractérisation d’une situation de co-emploi au sein d’un groupe de sociétés par l’ingérence abusive dans la gestion économique et sociale de la filiale.

Christine MARTIN
Christine MARTIN - Avocat associée

  

Source : Cass Soc., 6 juillet 2016, n°15-15.481, FS-P+B

 

La filiale française d’un groupe de sociétés allemand a, dans le cadre d’un projet de restructuration de ses activités, fermé l’ensemble de ses points de vente préférant consacrer ses activités à la vente par internet, et, par suite, licencié l’ensemble des personnels travaillant dans les points de vente concernés dans le cadre d’une procédure de licenciement collectif pour motif économique assortie d’un PSE.

 

Soixante-cinq des salariés licenciés dans le cadre de cette fermeture ont saisi le Conseil de Prud’hommes, puis la Cour d’Appel de DOUAI, d’une demande d’annulation de leur licenciement, d’annulation du plan de sauvegarde de l’emploi et la condamnation in solidum de la filiale et deux sociétés du groupe aux fins de règlement de diverses sommes à titre d’indemnités et de dommages et intérêts.

 

En cause d’appel, la Cour d’Appel de DOUAI dans un arrêt du 30 janvier 2015, va condamner la filiale française, employeur ayant prononcé les licenciements, et les deux sociétés du groupe à verser aux salariés diverses indemnités du fait de la nullité du licenciement considérant que ces sociétés étaient dans une situation de co-emploi à l’égard des salariés.

 

Pour motiver sa décision, l’arrêt de la Cour d’Appel de DOUAI rappelle tout d’abord qu’en application de l’article L1221-1 du Code du Travail, hors l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être considérée comme co-employeur à l’égard du personnel employé par une autre que s’il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d’intérêts, d’activité et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière.

 

Par suite, la Cour d’Appel va examiner si les faits portés à sa connaissance peuvent caractériser une immixtion dans la gestion économique et sociale telle que précisée audit article.

 

La Cour va relever que la société filiale française ne disposait d’aucune autonomie dans la définition de sa politique commerciale puisque le groupe fixait sa vision et sa stratégie pour l’ensemble des sociétés du groupe et que la confusion d’intérêt d’activité et de direction était mise en évidence par la conclusion avec une des sociétés du groupe d’une convention de prestation de services et d’assistance particulière excédant un domaine purement technique, puisque les services consistaient en l’assistance et la coordination en matière de stratégie et de développement, qu’elles comprenaient également le contrôle de gestion ainsi que la mise en place d’un secrétariat général compétent en matière de ressources humaines, recrutement, formation et mobilité, de sorte que cette assistance proposée et mise en œuvre par la fonction « support » du groupe avait conduit à une véritable immixtion de cette dernière société dans la gestion économique et sociale de la filiale puisqu’elle entraînait le transfert des équipes ressources humaines et des équipes comptables de l’ensemble des sociétés du groupe dont la filiale française, qui se retrouvait ainsi totalement dépossédée de ses prérogatives notamment en matière de ressources humaines.

 

En suite de l’analyse précise qu’elle a faite des circonstances de faits, la Cour d’Appel considère que la situation de co-emploi était donc avérée. Elle condamne donc les sociétés in solidum à indemniser les salariés au titre de la nullité des licenciements prononcés.

 

Suite à cette décision, les sociétés concernées forment un pourvoi en cassation estimant les faits relevés insuffisants à caractériser une immixtion générale et permanente dans la gestion de la filiale.

 

Mais la Chambre Sociale ne va pas suivre les sociétés dans leur argumentation.

 

Elle relève au contraire que l’opération de réorganisation des sociétés du groupe, dont la société filiale faisait partie, n’avait pour autre objet que de faciliter la transformation de la société filiale et des autres sociétés du groupe en simple « business unit » relevant directement du groupe, que cette organisation a conduit à une immixtion des sociétés du groupe dans la gestion économique et sociale dans la filiale française par le transfert de ses équipes informatiques, comptables et surtout de ressources humaines notamment dans la formation, la mobilité et le recrutement de sorte que la filiale française était totalement dépossédée de son pouvoir de recrutement et qu’en outre la société avait du déléguer à une autre société du groupe tous les problèmes de nature contractuelle, administrative et financière dans le cadre d’une convention de prestation de services,

 

La Haute Cour en conclut que la Cour d’Appel a ainsi caractérisé, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d’intérêt, d’activité et de direction se manifestant par une immixtion des sociétés du groupe dans la gestion économique et sociale de la filiale française.

 

Par suite, la Chambre Sociale rejette les pourvois des sociétés.

 

Cet arrêt est l’un des trois arrêts rendu par la Cour de Cassation le même jour à savoir le 6 juillet 2016 sur la question du co-emploi, dont elle réaffirme que sa reconnaissance est liée à l’immixtion anormale d’une société dans la gestion économique et sociale d’une autre société appartenant au même groupe.

 

Christine MARTIN

Associée

Vivaldi-Avocats

 

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