Bail d’habitation et action en nullité / réparation du locataire

Amandine Roglin
Amandine Roglin

Ne s’oppose pas à l’autorité de la chose jugée l’action en dommages-intérêts intentée par un locataire après une action en nullité d’un congé-vente frauduleux.

Source : Cass. 2e civ., 19 mai 2022, n° 20-23.529, n° 509 F-B

En l’espèce, le propriétaire d’un appartement a délivré un congé pour vente à sa locataire.

Estimant ce congé nul pour prix de vente manifestement excessif, la locataire a assigné la bailleresse devant un tribunal d’instance pour obtenir notamment la nullité du congé et le paiement de dommages-intérêts en réparation d’un préjudice de jouissance.

Un jugement, confirmé par un arrêt d’une cour d’appel, a rejeté ces demandes.

Quelques années plus tard, la locataire a à nouveau assigné la propriétaire de l’appartement devant un tribunal d’instance afin d’obtenir l’indemnisation des préjudices découlant du congé frauduleusement délivré.

La propriétaire a soulevé une fin de non-recevoir tirée du principe de l’autorité de la chose jugée.

Les juges du fond suivent la propriétaire et ont considéré que l’action de la locataire était irrecevable en application du principe de l’autorité de la chose jugée.

La locataire forme un pourvoi en cassation.

Les juges de la Cour de cassation cassent et annulent l’arrêt rendu par la Cour d’appel au motif :

« Vu les articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile :

Il résulte du premier de ces textes que s’il incombe au demandeur de présenter dès l’instance relative à la première demande l’ensemble des moyens qu’il estime être de nature à fonder celle-ci, il n’est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits.

Pour déclarer irrecevables les demandes présentées par Mme [T], comme se heurtant à l’autorité de chose jugée de l’arrêt du 4 juillet 2014, l’arrêt retient que celle-ci a déjà saisi le tribunal d’instance de Marseille d’une demande tendant à voir prononcer la nullité du congé et qu’elle a été déboutée de cette demande par arrêt confirmatif du 4 juillet 2014 et qu’au regard de l’autorité de chose jugée attachée à cet arrêt, ses demandes qui tendent notamment à obtenir le prononcé de la nullité du congé, dont est invoqué le caractère frauduleux, doivent être déclarées irrecevables.

En statuant ainsi, alors que l’action tendant à obtenir la nullité du congé et l’indemnisation des troubles de jouissance subis durant l’occupation du logement n’avait pas le même objet que l’action en réparation des préjudices subis du fait de la délivrance frauduleuse du congé pour vendre, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Cet arrêt s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence qui distingue le principe de concentration des moyens, consacré en 2006 par l’arrêt Césaréo, de l’Assemblée plénière (Cass. ass. plén., 7 juill. 2006, n° 04-10.672), de celui de concentration des demandes.

La position de la Cour de cassation dans le cadre de l’arrêt commenté peut sembler contraire à l’objectif poursuivi par le principe de l’autorité de la chose jugée : éviter que des décisions ne viennent se contredire.

En effet, comment imaginer qu’un juge puisse statuer sur l’indemnisation du locataire suite au congé qui lui a été notifié par son bailleur sans préalablement statuer sur la validité de ce congé ?

En l’espèce, la situation est encore plus atypique puisqu’un premier juge a déjà statué sur la validité de ce congé. En l’occurrence, la locataire a été déboutée.

Permettre à un 2ème juge de statuer sur les conséquences de ce congé n’est-il pas en quelque sorte donner l’autorisation de remettre en cause la 1ère décision ?

Concrètement, pour déterminer si la locataire a subi un préjudice, le juge ne devra-t-il pas examiner la validité du congé ? Or, en application du principe de la concentration des moyens, la locataire ne pourra pas invoquer d’autres causes de nullité. L’existence d’un préjudice et son indemnisation supposent un congé nul. Et celui-ci ne l’est pas.

Selon certains spécialistes, la solution se justifierait par l’étendue de l’autorité de la chose jugée. Le rejet de la fraude n’aurait figuré que dans les motifs du jugement et de l’arrêt le confirmant, et non dans leur dispositif, permettant ainsi une nouvelle demande.

Quoi qu’il en soit, il est à noter que dans la présente affaire, la seconde action tendait à obtenir non seulement la nullité du congé mais aussi l’indemnisation d’un préjudice de jouissance subi durant l’occupation du logement, cette demande additionnelle peut potentiellement expliquer la position de la Cour de cassation.

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