Bail commercial, trouble de jouissance paisible du locataire, incendie imputable à un autre locataire et réparation du préjudice subi

Alexandre BOULICAUT
Alexandre BOULICAUT - Juriste

Le bailleur est tenu, au visa du 3° de l’article 1719 du Code civil de « faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ». Cette obligation essentielle vise non seulement les propres agissements du bailleur, mais également tous les troubles émanant d’une personne dont le bailleur devrait répondre, comme un colocataire dans l’hypothèse où un même immeuble appartenant à un même propriétaire serait pris à bail par différents locataires. Dernière illustration jurisprudentielle en date, l’arrêt du 6 juillet 2022. 

SOURCE : Cass. civ 3ème, 6 juillet 2022, n°21-18162, Inédit

I –

Prise au pied de la lettre, la stipulation de faire jouir paisiblement le locataire de la chose louée pendant la durée du bail, oblige le bailleur à s’abstenir de toute action pouvant être source de trouble au locataire. La jurisprudence est venue étendre cette garantie de jouissance paisible aux perturbations causées à un locataire par les agissements d’autres locataires d’un même immeuble pris à bail, comme par exemple à un incendie qui aurait pris naissance chez un autre locataire du même bailleur.

Dans le cas d’espèce objet du présent CHRONOS, un véhicule appartenant à un locataire d’un immeuble donné à bail appartenant à un seul et même bailleur, stationné au sous-sol prend feu. L’incendie et les fumées consécutives se propagent à l’ensemble de l’immeuble et endommagent les locaux occupés par le locataire requérant au sixième étage qui assigne son bailleur en indemnisation de ses préjudices au visa des dispositions du 3° l’article 1719 du Code civil.

En cause d’appel, la Cour le déboute de sa demande aux motifs que le bailleur n’aurait pas manqué à ses obligations de délivrance et de jouissance paisible par le locataire des lieux loués.

Le locataire se pourvoit en cassation.

Bien lui en a pris ! La Haute juridiction censure l’arrêt d’appel aux motifs qu’ :

« Il résulte de ce texte [article 1719, 3° du Code civil] que le bailleur est tenu, pendant la durée du bail, par la nature du contrat et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière, de garantir au preneur la jouissance paisible des locaux, ce qui le rend responsable des troubles qui y sont apportés et qu’il ne peut s’en exonérer qu’en cas de force majeure ».

II –

La solution dégagée par la troisième chambre dans son arrêt du 6 juillet 2022, inédit, s’inscrit dans le droit fil d’une jurisprudence constante en la matière. Ainsi, la troisième chambre civile a pu juger dans ses titrages et résumés littéralement repris, à propos d’un incendie ayant pris naissance chez un des locataires d’un immeuble donné à bail par un même bailleur, que :

« Le bailleur étant responsable envers le preneur des troubles de jouissance causés par les autres locataires, il doit répondre des conséquences dommageables pour ses preneurs d’un incendie survenu chez un de ses locataires et ne peut s’exonérer de cette responsabilité qu’en cas de force majeure »[1].

Les lecteurs habitués et avertis de CHRONOS seraient peut être tentés d’opposer à l’argumentaire développé par la Cour, l’article 1725 du Code civil au visa duquel :

« Le bailleur n’est pas tenu de garantir le preneur du trouble que des tiers apportent par voies de fait à sa jouissance, sans prétendre d’ailleurs aucun droit sur la chose louée ; sauf au preneur à les poursuivre en son nom personnel ».

Toutefois, au cas qui nous préoccupe, un colocataire ne saurait être considéré comme « un tiers » au sens dudit article[2].

Dans ces conditions, seule la force majeure pourrait permettre au bailleur de s’exonérer[3], ce qui suppose que soit rapportée la preuve des éléments constitutifs de la force majeure[4], à savoir :

  • Un événement extérieur aux parties (qui échappe à tout contrôle du débiteur) ;
  • Un événement imprévisible (qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat) ;
  • Un événement irrésistible, c’est-à-dire un événement inévitable (dont les effets ne sauraient être évités par des mesures appropriées) et insurmontable (qui empêche l’exécution par le débiteur de son obligation

Cette solution est pour CHRONOS avant tout protectrice des intérêts financiers du locataire victime du trouble. Elle lui permet d’être indemnisé par une personne dont la solvabilité est en règle générale plus « gageante » que celle d’un locataire lambda.

Une fois le locataire indemnisé par la compagnie d’assurances du bailleur, il appartiendra à ce dernier de se retourner contre l’auteur du trouble, la responsabilité du bailleur ne saurait en tout état de cause exclure celle du locataire à l’origine du trouble[5]


[1] Cass. civ 3ème, 19 mai 2004, n°02-19730, FS -B

[2] Cass. civ 3ème, 16 novembre 1994, n°93-11184, FS – B

[3] Cass. civ 3ème, 9 octobre 1974, n°73-11721, FS – B

[4] Cf article 1218 du Code civil

[5] Cass. civ 1ère, 18 juillet 1961, n°60-10086, FS – B

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