Source : Cass. civ. 3ème, 31 mars 2016, n°14-25.604, FS-P+B
I – Les faits
Une banque, titulaire d’une inscription d’hypothèque conventionnelle sur un immeuble appartenant à une SCI, lui délivre le 19 janvier 2005 un commandement aux fins de saisie immobilière, publié à la conservation des hypothèques le 22 février 2005, puis prorogé le 5 février 2008.
À la suite d’une adjudication non suivie du versement du prix, la banque engage une procédure de folle enchère. Une nouvelle adjudication est audiencée le 28 septembre 2010. Le 14 septembre 2010, un bail commercial conclu le 30 août 2006 est annexé au cahier des charges. L’adjudication n’a finalement pas lieu.
Par jugement du 21 janvier 2011, le juge de l’exécution refuse de proroger une nouvelle fois le commandement de payer, et constate la caducité du commandement. La banque assigne tout de même la SCI et la société preneuse en annulation du bail, ce qu’elle obtient en première instance. Le jugement est réformé sur appel de la société preneuse, la cour d’appel considérant :
– Que le commandement aux fins de saisie immobilière dont la caducité a été constatée, est privé rétroactivement de tous ses effets ;
– Que la banque ne démontre pas l’existence d’un préjudice résultant du seul fait de la conclusion du bail consenti le 30 août 2006 ;
– Et donc ne rapporte pas la preuve de ce que l’adjudication de l’immeuble n’a pas eu lieu du seul fait de la conclusion du bail.
La banque se pourvoie en cassation.
II – L’arrêt de cassation
L’arrêt d’appel est cassé au visa de l’article 1167 du Code civil, relatif à l’action paulienne. Elle reproche en effet aux juges du fond de ne pas avoir recherché “si les termes et conditions du bail ne constituaient pas, de la part du débiteur, un acte d’appauvrissement de nature à priver d’efficacité l’inscription hypothécaire conventionnelle de la banque sur l’immeuble“.
III – La portée de la décision
Cette solution est évidemment à approuver. La conclusion du bail commercial dans un immeuble hypothéqué est en soi parfaitement légale, puisque le constituant de l’hypothèque n’est pas privé pour autant de ses prérogatives de propriétaire. La seule limite réside dans la durée du bail : si elle est supérieure à douze ans (c’est-à-dire que le bail est soumis à publicité), le bail sera inopposable au créancier pour la période postérieure aux douze premières années.
L’existence d’un bail commercial peut dissuader de nombreux enchérisseurs potentiels, et diminuer fortement le montant de l’adjudication. Cette affirmation est d’autant plus vraie lorsque le propriétaire a conclu un bail commercial à des conditions financières bien en deçà des prix du marché.
En l’espèce, il est amusant de noter que, à réception du commandement valant saisie, le gérant de la SCI débitrice a conclu un bail de neuf ans avec une société … gérée par des membres de sa famille. De plus, ce bail a été conclu pour un loyer mensuel de 150 € TTC ce qui, même pour des locaux situés dans le centre d’un village picard comme Saint Riquier (1.200 habitants), est totalement dérisoire.
En d’autres termes, par ce grossier subterfuge, même l’immeuble vendu aux enchères publiques, l’ex-propriétaire aurait conservé indirectement la jouissance du bien, et au même loyer pour neuf ans. Sa malice ira jusqu’à se porter acquéreur de l’immeuble par l’intermédiaire d’une société créée pour l’occasion… qui n’en paiera pas le prix, de manière à retarder d’autant la procédure !
En outre, si l’adjudicataire souhaite évincer le preneur, après un premier bail à perte de neuf années, un risque de contentieux pèserait lourdement sur ses épaules, avec au final une indemnité conséquente nécessairement due au preneur.
Il importe donc bien pour les juges du fond de rechercher si le constituant de l’hypothèque n’a pas souhaité diminuer la valeur de l’immeuble grevé (ce qui est un acte d’appauvrissement), en vue de frauder les droits du créancier hypothécaire. En pareil cas, une action paulienne est possible, et bienvenue.
Thomas LAILLER
Vivaldi-Avocats