Cass. 3e civ., 13 févr. 2025, n° 23-21.136, n° 92 D
Pour engager la responsabilité du maître de l’ouvrage sur le fondement d’une immixtion fautive, il est nécessaire de prouver à la fois sa compétence notoire et des interventions actives de sa part dans la conception ou l’exécution des travaux.
Dans une affaire concernant un immeuble en copropriété construit en Nouvelle-Calédonie, le syndicat des copropriétaires a poursuivi le maître de l’ouvrage et les constructeurs en responsabilité décennale pour des infiltrations d’eau affectant le bâtiment. Les juges du fond, après avoir reconnu le caractère décennal des dommages, ont condamné solidairement le maître de l’ouvrage et les constructeurs. Ils ont également estimé que le maître de l’ouvrage devait supporter une part de responsabilité en raison de son immixtion fautive.
La Cour de cassation a annulé cette décision. Pour justifier la condamnation du maître de l’ouvrage à garantir l’architecte à hauteur de 45 % des dommages, la cour d’appel avait retenu que :
- L’architecte pouvait voir sa responsabilité atténuée en présence d’une immixtion fautive du maître de l’ouvrage, à condition que celui-ci soit notoirement compétent.
- Le maître de l’ouvrage, ayant déjà réalisé deux projets immobiliers dans la région, connaissait les effets du climat sur le béton et l’importance de l’étanchéité.
Cependant, la Cour de cassation a estimé que ces éléments ne suffisaient pas à établir une véritable immixtion fautive. En effet, la cour d’appel n’avait pas démontré de manière précise que le maître de l’ouvrage était intervenu activement dans la conception ou l’exécution des travaux, ni prouvé sa compétence notoire alors même qu’il avait été précédemment qualifié de « profane en la matière ».
La Haute juridiction rappelle ainsi que la responsabilité du maître de l’ouvrage ne peut être engagée qu’en cas de faute caractérisée, notamment une immixtion avérée ou une prise de risque délibérée. L’immixtion fautive ne peut être retenue qu’en présence de deux conditions cumulatives :
- Une compétence notoire du maître de l’ouvrage, établie par des éléments concrets.
- Des actes positifs d’intervention dans la conception ou l’exécution des travaux.
Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante (Cass. 3e civ., 13 févr. 2020, n° 19-10.294 ; Cass. 3e civ., 16 nov. 2022, n° 21-11.589 ; Cass. 3e civ., 23 sept. 2020, n° 19-19.207), qui encadre strictement la possibilité de retenir une immixtion fautive du maître de l’ouvrage en matière de responsabilité décennale.