SOURCE : 3ème civ, 9 juillet 2014, n°13-16655, Publié au Bulletin
En principe, seuls le bailleur et le preneur peuvent délivrer congé : Le défaut de pouvoir d’une partie constitue une irrégularité de fond affectant la validité de l’acte, qui encourt la nullité, sans que celui l’invoque n’ait à justifier d’un grief. Par conséquent, le congé délivré à la requête d’une personne qui n’est pas le bailleur est nul[1], tout comme le congé délivré au nom d’une personne décédée[2], ou encore le congé délivré par un seul des indivisaires[3].
La jurisprudence admet toutefois que l’irrégularité du congé puisse être couverte par l’intervention à l’instance de la personne qui aurait dû en être l’auteur : ainsi, l’acte introductif d’instance délivré par chaque indivisaire valide-t-elle l’irrégularité du congé délivré au nom de « l’indivision », qui n’a pas la personnalité morale[4].
Le véritable bailleur ou preneur, qui aurait dû être l’auteur du congé, a donc toutes latitudes pour couvrir, dans le cadre d’une procédure judiciaire, l’irrégularité d’un congé nul pour défaut de pouvoir. Cette possibilité lui est elle réservée, ou le destinataire d’un congé peut-il également faire reconnaître judiciairement que son bailleur (ou preneur) a couvert l’irrégularité du congé pour défaut de pouvoir par des actes postérieurs ?
En l’espèce, l’immeuble dans lequel un bail commercial est exploité est vendu à une société ayant le même dirigeant, lequel ne tire aucune conséquence de cette mutation : Il acquiesce à une cession de bail au nom de l’ancienne société puis délivre un congé refus de renouvellement avec offre d’indemnité d’éviction au preneur.
Lorsque le preneur sollicite le paiement de cette indemnité, ce dirigeant, qui ne peut plus se prévaloir de son droit de repentir depuis le départ des lieux du preneur, se retranche derrière la vente de l’immeuble et excipe du défaut de pouvoir de la société au nom de laquelle le congé a été délivré, et qui entraine sa nullité.
Le preneur ne conteste pas la nullité (absolue) de l’acte, mais soutient qu’en exécutant le congé, c’est-à-dire en facturant des « indemnités d’occupation » au lieu de « loyers » et en organisant un état des lieux contradictoire de sortie, l’acquéreur de l’immeuble avait couvert la nullité de l’acte.
La Cour de Pau retient, sans surprise, la nullité du congé délivré par une personne morale qui n’est pas le propriétaire des locaux. Mais les juges du fonds partagent la position du preneur : en exécutant le congé délivré indument par l’ancien propriétaire de l’immeuble, l’acquéreur a couvert l’irrégularité affectant l’acte, qui doit produire tous ces effets.
L’arrêt est confirmé par la Cour de cassation, qui rejette le pourvoi. Pour la Haute juridiction, aux termes de son attendu de principe, « le propriétaire des lieux loués couvre l’irrégularité de fond entachant un congé délivré par celui qui n’est plus le propriétaire des lieux loués s’il manifeste par des actes positifs son intention d’exécuter le congé ». En conséquence, en relevant que l’acquéreur avait émis des factures « d’indemnité d’occupation » et organisé un état des lieux de sortie, les juges du fonds ont pu en déduire que la nullité du congé pour défaut de pouvoir avait été couvert par cet acquéreur.
Pour la Cour de cassation, le destinataire du congé peut donc se prévaloir d’agissements de son cocontractant, ayant pour effet de couvrir l’irrégularité du congé.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il nous semble que cette jurisprudence de la Cour visant à régulariser des congés irréguliers pourraient être étendus aux congés délivrés au nom d’une personne décédée, si tant est que l’ensemble des héritiers exécutent le congé, ou agissent de concert en justice pour en couvrir la nullité.
Sylvain VERBRUGGHE
Vivaldi-Avocats
[1] 3ème civ, 29 septembre 1999, n° 98-11746, Bull civ III 1999 n° 190 p. 132
[2] 3ème civ, 19 mars 1997, n°95-16826
[3]3ème civ, 29 octobre 2013, n°12-18840
[4] 3ème civ, 3 novembre 2005, n°04-15381