Relevé d’office et respect du contradictoire : la vigilance s’impose au juge d’appel

Thomas Chinaglia

L’intimé dont les conclusions ont été déclarées irrecevables en appel par une décision passée en force de chose jugée ne peut, en principe, déposer de nouvelles conclusions devant la cour de renvoi. Toutefois, la procédure de renvoi après cassation ne constituant pas une instance nouvelle — l’instruction reprenant dans l’état où elle se trouvait avant la cassation —, cet intimé doit être autorisé à conclure sur le moyen relevé d’office, mais uniquement dans les limites de ce moyen.

Civ. 2ème, 11 sept. 2025, FS-B, n° 22-22.155

I –

La règle est ferme : irrecevable un jour, irrecevable toujours.

Dans cette affaire, un intimé, dont les conclusions avaient été jugées tardives en appel, tentait de plaider à nouveau devant la cour de renvoi après cassation. Mais la Cour de cassation confirme qu’une ordonnance d’irrecevabilité devenue définitive, faute de déféré, s’impose à la juridiction de renvoi. L’intéressé ne peut donc plus conclure dans la nouvelle instance, car le renvoi ne constitue pas une procédure autonome : il ne fait que reprendre l’instruction dans l’état où elle se trouvait avant la cassation.

Deux principes justifient cette solution. D’une part, l’autorité de chose jugée s’attache à l’ordonnance non contestée qui a déclaré les conclusions irrecevables. D’autre part, la procédure devant la cour de renvoi n’ouvre pas un nouveau délai pour conclure, l’instance se poursuivant sans interruption. Les délais prévus par l’article 1037-1 du code de procédure civile ne créent donc pas un « droit à la seconde chance ».

La Cour de cassation rappelle ainsi qu’une erreur procédurale commise en appel — notamment le non-respect des délais pour conclure — suit la partie tout au long du litige. Le renvoi après cassation n’efface pas les défaillances initiales : il ne rouvre pas le débat, mais oblige la cour de renvoi à statuer sur la base des conclusions régulièrement déposées devant la première cour d’appel. Autrement dit, l’irrecevabilité prononcée en appel survit à la cassation — et scelle définitivement le sort procédural de l’intimé.

II –

Cet arrêt du 11 septembre 2025 (n° 24-13.160), promis à la publication, marque une inflexion subtile mais importante dans la jurisprudence relative à l’irrecevabilité des conclusions de l’intimé après cassation. Tout en confirmant la règle de principe – irrecevable un jour, irrecevable toujours –, la Cour de cassation y introduit une exception fondée sur le respect du contradictoire et des droits de la défense, protégés par l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme.

La Cour rappelle d’abord avec insistance les principes établis : le renvoi après cassation ne crée pas une nouvelle instance, l’instruction reprend en l’état, et l’irrecevabilité des conclusions non contestée par déféré s’impose à la juridiction de renvoi. Cependant, elle précise que ces règles doivent s’articuler avec le principe d’égalité des armes : lorsqu’un moyen est relevé d’office, l’intimé, même frappé d’irrecevabilité, doit être mis en mesure d’y répondre. Il s’agit d’éviter qu’il soit placé dans une situation de désavantage manifeste face à son adversaire.

En l’espèce, la cour d’appel de renvoi avait respecté le contradictoire en invitant les parties à présenter leurs observations sur l’irrecevabilité. Mais la Cour de cassation estime que, puisque le moyen déterminant avait été relevé d’office, l’intimé devait pouvoir conclure à ce sujet, malgré l’irrecevabilité antérieure de ses écritures. Ce revirement nuancé ouvre une brèche dans la rigueur traditionnelle du contentieux d’appel : le silence procédural imposé à l’intimé n’est plus absolu lorsque le juge modifie les termes du débat.

La solution s’inscrit dans une logique de proportionnalité : la sanction procédurale ne saurait annihiler le droit fondamental à la défense. L’intimé reste donc irrecevable à conclure de manière générale, mais il recouvre la possibilité de répondre strictement au moyen nouveau soulevé d’office. Mieux encore, la Cour admet qu’il puisse, dans ce cadre limité, invoquer des moyens qui en découlent et même formuler des prétentions nouvelles liées à ce débat restreint, conformément à l’article 910-4, alinéa 2, du code de procédure civile.

En somme, cet arrêt humanise la rigueur de la procédure d’appel : il maintient la discipline procédurale tout en réaffirmant que le droit à un procès équitable prime lorsque la structure du débat change du fait du juge. L’intimé n’obtient pas un « droit à la seconde chance », mais la faculté – essentielle – de se défendre lorsque le juge ouvre un terrain nouveau.

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