Pratique commerciale trompeuse et dénigrement : l’application YUKA dans le viseur des Tribunaux

Vianney DESSENNE
Vianney DESSENNE - Avocat

Source : Tribunal de commerce d’Aix-en-Provence, jugement du 13 septembre 2021

 

L’article L.121-2 du Code de la consommation définit une pratique commerciale trompeuse dès lors qu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, et portant notamment sur les caractéristiques essentielles du bien ou du service.

 

L’article L.121-3 du même code ajoute qu’une pratique commerciale doit être considérée comme trompeuse si elle omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle ou si elle n’indique pas sa véritable intention commerciale.

 

L’application Yuka est une application mobile ayant pour objet de fournir aux consommateurs des informations quant à la « qualité » des produits, notamment dans le secteur alimentaire.

 

Il se base sur trois critères, à savoir la qualité nutritionnelle, la présence d’additifs, le caractère biologique ou non du produit.

 

Une société spécialisée dans charcuterie industrielle a entendu contester la notation d’une gamme de ses produits effectuée par Yuka, compte tenu de la présence de nitrites, et l’a ainsi assignée devant le Tribunal de commerce d’Aix-en-Provence.

 

Dans son jugement du 13 septembre 2021, cette juridiction est venue affirmer que Yuka se livrait en l’espèce à des pratiques commerciales trompeuses au sens des articles précités.

 

Pour arriver à cette conclusion, les juges consulaires ont retenu que si Yuka revendiquait disposer d’un conseil scientifique, elle a manqué d’impartialité et de sens de la mesure dans ses présentations au regard de l’importante littérature scientifique contradictoire et rassurante d’organismes référents en matière de sécurité sanitaire et de santé publique, qu’elle a délibérément passé sous silence.

 

Le tribunal constate également que les informations accessibles au consommateur, à l’instant même de son acte d’achat depuis l’application mobile et faisant référence à des travaux scientifiques d’organismes référents, sont tout à la fois difficiles d’accès par des manipulations multiples, donc à contretemps, mais aussi dissuasives, inintelligibles donc ambiguës pour un consommateur moyen, et en outre parcellaires en ne citant souvent que le titre de l’étude, et incomplètes voire orientées en omettant d’autres sources tout aussi essentielles délivrant des informations pourtant substantielles rééquilibrant la vérité scientifique du message délivré.

 

Rappelant que, fort de 25 millions d’utilisateurs, l’application Yuka est susceptible d’avoir un impact sur les ventes et le comportement des consommateurs, Yuka n’a donc pas respecté les exigences professionnelles que le consommateur est en droit d’attendre.

 

Le tribunal a par ailleurs estimé que Yuka avait commis des actes de dénigrement en délivrant une information de nature à jeter un discrédit sur les produits de la société requérante, ne reposant pas sur une base factuelle suffisante et qui n’était pas présentée avec la mesure requise.

 

Un acte de dénigrement correspond en effet à la divulgation d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé, mettant en cause ses qualités pour en déconseiller fortement l’achat.

 

En l’espèce, l’ensemble des informations délivré au consommateur au moment de son achat, constitue selon le Tribunal un message d’alerte anxiogène portant  sur des affirmations graves caractérisant des informations qui jetteraient un discrédit sur les produits de la société demanderesse.

 

Le Tribunal retient de surcroit que l’application ne donne pas les moyens à l’industriel d’exercer un droit de réponse pour défendre ses produits.

Ainsi, Yuka est condamnée au versement de la somme de 25.000 €uros à titre de dommages-intérêts pour avoir indûment classé des produits de la requérante dans la catégorie « mauvais » en raison de la présence de nitrites et de les avoir évalués « à risque élevé », condamnation assortie de l’obligation de ne plus diffuser sous astreinte des contenues trompeurs ou dénigrants au regard des données scientifiques.

 

Ce jugement s’inscrit dans ceux déjà prononcés par le Tribunal de commerce de Paris du 25 mars 2021 et celui de Versailles du 5 mars 2020 condamnant Yuka pour des faits similaires.

 

Des appels ayant été interjetés à l’encontre de ces jugements, ces débats autour des pratiques de cette application à l’influence certaine et de la responsabilité qui en découle sont loin d’être terminés. Dossier à suivre donc.

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