L’article 123-5-1 du Code de commerce permet à tout intéressé, de faire enjoindre, en référé et sous astreinte, au dirigeant de toute personne morale, de publier les pièces (comptes sociaux par exemple) et actes au registre du commerce et des sociétés lorsqu’il existe une obligation législative ou réglementaire de le faire, la question s’est posée de sa potentielle prescription.
Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 25 janvier 2023, 21-17.592, Publié au bulletin
I – Le cas d’espèce
Lors d’une assemblée générale, une société modifie son objet social, mais les statuts publiés auprès du greffe du Tribunal de commerce n’intègrent pas totalement le nouvel objet social.
En principe, le dirigeant dispose d’un délai d’un mois pour déposer les modifications auprès du greffe[1]
Au cas d’espèce, c’est plusieurs années après qu’une action en référé est introduite à son encontre, pour faire enjoindre au gérant de procéder au dépôt des statuts intégrant cette modification et aux formalités afférentes
II – La procédure de « référé-injonction »
Cette action est prévue par l’article L. 123-5-1 du Code de commerce, lequel dispose :
« A la demande de tout intéressé ou du ministère public, le président du tribunal, statuant en référé, peut enjoindre sous astreinte au dirigeant de toute personne morale de procéder au dépôt des pièces et actes au registre du commerce et des sociétés auquel celle-ci est tenue par des dispositions législatives ou réglementaires.
Le président peut, dans les mêmes conditions et à cette même fin, désigner un mandataire chargé d’effectuer ces formalités ».
Cette procédure permet par exemple aux sociétés d’exiger d’une autre personne morale, la publication des comptes annuels lorsque ceux-ci ne sont pas publiés spontanément.
Même si, pour une partie des entreprises qui respectent les conditions de seuils fixées par le Code de commerce[2], les comptes annuels[3] ou les Comptes de résultat[4] peuvent bénéficier de la confidentialité[5] autorisée par le législateur, par transmission simultanée de la déclaration de confidentialité au greffe, cette injonction de faire, peut concerner une importante partie des sociétés françaises pour les comptes annuels, ou autres pièces à déposer au RCS.
Les juges de la Cour d’Appel du Douaisis[6] ont à l’époque considéré que l’instauration de cette procédure confortait justement l’intention du législateur de dépénaliser le dépôt des comptes annuels visé par l’article L232-22 du Code de commerce. Les anciennes dispositions qui permettaient de prévoir une sanction pénale en cas de faut de publicité des comptes ont été en effet abrogées mais l’obligation de déposer les pièces et actes au registre du commerce et des sociétés est sanctionnée différemment : Ce sont les autres sociétés qui peuvent contraindre directement un dirigeant, sous astreinte, de publier les documents rendus obligatoires par la loi.
III – Le débat judiciaire
Dans cette procédure, les juges du fond déclarent l’action irrecevable pour être largement prescrite.
La singularité du cas d’espèce, est en effet que l’assemblée générale ayant modifié l’objet social a été organisée en 1993, et la demande en référé introduite une trentaine d’année plus tard….
Les demandeurs ont été déboutés de leur action par les juges du fond, et leur en font grief en se fondant sur deux arguments :
- Fausse application de l’article L110-4 du Code de commerce, lequel prévoit en son premier alinéa, une prescription par 5 ans :
« I.- Les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes. »
- La fausse application de l’article 2224 du Code civil, bien connu en matière de prescription, qui prévoit également une prescription par 5 ans :
« Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
Les juges du fond ont donc imaginé que l’obligation de publier les documents obligatoires au registre du commerce et des sociétés pouvait s’éteindre par prescription…
Que nenni ! La Cour de cassation considère que l’obligation de publication des inscriptions au RCS, ou modifications opérées sur les pièces d’ores et déjà déposées, par actes ou délibérations ont vocation à être portées à la connaissance du public, c’est la même, l’objectif du législateur [7]. Ainsi :
« 9. Cette obligation, destinée à l’information des tiers, perdure pendant toute la vie de la personne morale.
10. Il s’ensuit que l’action prévue à l’article L. 123-5-1 du code de commerce (…) n’est pas soumise au délai de prescription prévue par l’article 2224 du code civil. »
Les juges de la Haute Cour écartent donc la prescription quinquennale de droit commun pour considérer que le référé injonction de faire de l’article L123-5-1 du Code de commerce est imprescriptible.
La Cour d’Appel, qui avait considéré qu’en l’absence de dispositions dérogatoires, le délai de prescription de droit commun avait vocation à s’appliquer, soit jusqu’en 1998 seulement, a violé les textes visés.
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[1] Article R123-105 du Code de commerce
[2] Article 123-16, par renvoi à l’article D123-200
[3] Pour les très petites entreprises
[4] Pour les petites entreprises
[5] Article R123-111-1
[6] CA DOUAI (6ème Ch) du 3 décembre 2004, N°04/00834
[7] Articles L123-5-1 et R123-105 du Code de commerce