Le service public local aérien se paie l’île de beauté

Harald MIQUET
Harald MIQUET

 

Sources :

Tribunal administratif de Bastia, 12 janvier 2017, n°1501218

Tribunal administratif de Bastia, 12 janvier 2017, n°1500312

 

Coup double pour le Tribunal administratif de Bastia qui rejette les requêtes de la société Rayanair tendant à l’annulation :

 

– de la convention conclue le 22 octobre 2015 entre la collectivité territoriale de Corse et un groupement composé par plusieurs compagnies aériennes, sociétés Air Corsica, Air France et Hop !reliant le continent à l’ile de beauté (requête n° 15-1218) ;

 

– de la délibération par laquelle l’assemblée de Corse a approuvé les nouvelles obligations de service public imposées sur les services publics aériens réguliers entre Paris-Orly, Marseille et Nice d’une part et Ajaccio, Bastia, Calvi et Figari d’autre part (requête n° 15-312).

 

On passera rapidement sur les moyens invoqués au soutien de l’annulation de la première requête. Le Tribunal a en effet rejeté ce recours pour irrecevabilité sur les prémisses de la jurisprudence Département du Tarn-et-Garonne aux termes de laquelle les tiers agissant en qualité de concurrent évincé de la conclusion d’un contrat administratif ne peuvent ainsi, à l’appui d’un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d’ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.

 

En appliquant cette jurisprudence aux faits de l’espèce, le Tribunal relève que la société Ryannair Ltd, bien qu’exploitant une ligne aérienne entre Beauvais-Tillé et Figari, n’a pas été candidate pour l’attribution de la délégation de service public en litige et par conséquent ne justifie pas être lésée dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la passation de la convention.

 

On s’attardera en revanche sur les moyens au fond soulevés dans la seconde requête relatifs à la qualification juridique des faits par l’administration caractérisant l’intérêt public local lequel résulte du défaut d’initiative privée.

 

La motivation en droit du jugement articule les dispositions applicables du règlement européen[1] portant les principes généraux applicables aux obligations de service public, et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne afférente ainsi que les dispositions du Code général des collectivités territoriales (L. 4424-19 du CGCT[2]) qui rappellent que la Collectivité territoriale de Corse est à l’initiative de la définition de l’intérêt local en matière de transport visant à atténuer les contraintes de l’insularité.

 

Mais l’intérêt de cette décision, résulte plus spécifiquement dans la partie applicative du syllogisme juridique et les critères retenus par la juridiction qui caractérisent l’insuffisance d’initiative privée propre à justifier la mise en œuvre d’un service public local de transport aérien.

 

Le Tribunal relève d’abord l’insuffisance de l’initiative privée par la discontinuité de l’offre en ce que la ligne Paris-Figari est certes exploitée par Ryanair Ltd et une autre compagnie mais que cette exploitation, n’est ouverte que de mars à octobre pour trois vols hebdomadaires.

 

La notion de continuité est un critère « classique » de l’analyse des principes généraux applicables aux obligations de services publics au sens de l’article 16 du règlement n°1008/2008 du 24 septembre 2008[1] , avec les critères de prix ou de capacité minimale du transporteur aérien.

 

Le second critère caractérisant l’insuffisance d’initiative privée est plus original puisqu’il tient à la desserte de la ligne faisant l’objet du service public. Le Tribunal relève que la ligne Paris-Figari dessert non pas un aéroport parisien mais « l’aéroport de Beauvais-Tillé, distant de plus de 100 kilomètres de Paris-Orly ».

 

On ne s’étonnera pas du fait que ce service public local aérien, compte tenu de sa nature intrinsèque, rayonne bien au delà de Figari et ses hameaux jusqu’au lieu de sa desserte de la ligne dans l’hexagone. Très logiquement, il est certain que le désenclavement d’un territoire par transport aérien ne vaut que si sa desserte est libre d’enclave.

 

On relèvera en revanche l’originalité de l’appréciation factuelle faite par le Tribunal qui considère que l’éloignement de l’Aéroport de Beauvais-Tillé, caractérise également l’insuffisance d’initiative privée susceptible de créer « l’existence d’un besoin réel de service public ».

 

Il est donc intéressant de faire le constat que l’interventionnisme public local en matière de soutien au transport aérien, peut s’exprimer par d’autres biais que par celui de faibles taxes sur les aéroports secondaires qu’affectionnent particulièrement les compagnies low cost, avec comme contre partie l’engagement des avionneurs à transporter un nombre minimum de passagers par an. Ce pacte faustien peut aussi être concurrencé par une initiative publique associée à des opérateurs économiques dont les offres calibrées à l’aune de l’insuffisance de l’initiative privée répondent avec plus d’acuité aux besoins des consommateurs, également usagers d’un service public de transport aérien.

 

Harald MIQUET

Vivaldi Avocats



[1] RÈGLEMENT (CE) N o 1008/2008 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 24 septembre 2008 établissant des règles communes pour l’exploitation de services aériens dans la Communauté

[2]   L. 4424-19 du CGCT dispose : «Des obligations de service public sont imposées par la collectivité́ territoriale de Corse sur certaines liaisons aériennes ou maritimes pour assurer le principe de continuité́ territoriale. Ces obligations ont pour objet, dans le cadre adapté à chaque mode de transport, de fournir des services passagers ou fret suffisants en termes de continuité́, régularité, fréquence, qualité́ et prix et, le cas échéant, de capacité́, pour atténuer les contraintes liées à l’insularité́ et faciliter ainsi le développement économique de l’île, l’aménagement équilibré́ du territoire insulaire et le développement des échanges économiques et humains entre l’île et la France continentale. Lorsque la collectivité́ territoriale de Corse décide de soumettre des liaisons de desserte aérienne à des obligations de service public, elle peut, dans le respect des procédures de publicité́ applicables, désigner pour l’exploitation de ces liaisons des compagnies aériennes titulaires d’une licence d’exploitation de transporteur aérien délivrée par un Etat membre de l’Union européenne ou partie à l’Espace économique européen (…) »

 

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