Le recours en droit commun du salarié contre le tiers responsable de son d’accident du travail

Patricia VIANE CAUVAIN
Patricia VIANE CAUVAIN - Avocat

 

Source :Cass. 2e civ., 4 avr. 2013, n° 12-13.921, F-P+B, M. C.

 

I – la decision

 

Lorsque la lésion dont est atteint l’assuré social est imputable à une personne autre que l’employeur ou ses préposés, la victime ou ses ayants droit conserve contre l’auteur de l’accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun dans la mesure où ce préjudice n’est pas réparé en application de la législation sur les accidents du travail.

 

En  l’espèce, un salarié est victime d’une chute alors qu’il effectuait des travaux sous-traités par une première société tiers aux fins d’exécuter un contrat de maintenance au sein d’une usine exploitée par une autre deuxième tiers donneuse d’ordre. Cet accident est pris en charge par la caisse primaire d’assurance maladie au titre de la législation professionnelle, laquelle a sollicité la donneuse d’ordre en remboursement des sommes versées au salarié victime. Cette dernière refuse, et la CPAM saisit les juridictions en référé, qui la condamnent au remboursement des sommes provisionnées par la CPAM. La société appelle en conséquence sa société d’assurance en garantie, et cette dernière attrait l’ensemble des parties devant le tribunal de grande instance. Parallèlement, le salarié sollicite la condamnation de la société donneuse d’ordre en réparation de son entier dommage sur le fondement du droit commun, considérant que les sommes provisionnées par la CPAM ne sont pas suffisantes à couvrir la réparation intégrale de ses préjudices.

 

La cour d’appel[1]déboute le salarié de sa demande au motif qu’il découle, selon elle, de l’article L. 454-1 du Code de la sécurité sociale que :

 

– « la victime d’un accident du travail ne peut engager une action contre un tiers qu’elle prétend responsable du dommage qu’elle subit que dans la mesure où, après avoir saisi le tribunal des affaires de la sécurité sociale d’une action dirigée contre son employeur, elle n’a été indemnisée qu’imparfaitement de son préjudice ou dans la mesure où les indemnités dont elle réclame le paiement ne sont pas versées en application de la législation sur les accidents du travail »

 

La  cour d’appel en déduit ainsi que, le dommage subi par le salarié résultant d’un accident du travail et que le tribunal des affaires de sécurité sociale n’ayant pas été saisi, il n’est pas démontré que les indemnités sollicitées ne sont pas susceptibles d’être versées dans le cadre de la législation sur le travail.

 

La Cour de cassation sanctionne la décision de la cour d’appel. Elle rappelle, au visa de ce même article L. 454-1 du Code de la sécurité sociale, que lorsque :

 

« la lésion dont est atteint l’assuré social est imputable à une personne autre que l’employeur ou ses préposés, la victime ou ses ayants droit conserve contre l’auteur de l’accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n’est pas réparé par application des dispositions du Livre IV du Code de la sécurité sociale ».

 

Elle juge ainsi que ce texte ne subordonne pas le recours de la victime contre le tiers à l’exercice préalable d’un recours contre l’employeur devant les juridictions de la sécurité sociale. La voie du recours en réparation de droit commun devait donc lui demeurer ouverte.

 

Révolutionnaire ? pas vraiment. Cette décision qui bénéficiera des honneurs de la publication n’est en fait que le prolongement de décisions de l’assemblées plénières de 1988 (infra) que la Cour d’appel de bordeaux  aurait du mieux méditer. Vivaldi-Chronos profite de l’occasion pour effectuer un bref rappel des règles qui régissent les recours contre les tiers à l’origine totale ou partielle d’un accident du travail

 

II – les recours contre les tiers à l’origine (totale ou partielle ) d’un accident du travail

  

II – 1 : Recours du salarié en cas partage de responsabilité ente le tiers et l’employeur

 

Lorsque la responsabilité d’un accident du travail est partagée entre l’employeur et un tiers étranger à l’entreprise, l’employeur ne saurait être attrait par son salarié devant la juridiction civile de droit commun, l’article L 451-1 du Code de la sécurité sociale interdisant une telle action.

 

Par contre, la victime ou ses ayants droit conservent le droit de demander au tiers partiellement responsable, devant les juridictions de droit commun, l’indemnisation de la partie du préjudice non réparée par les prestations de sécurité sociale.

 

 L’assemblée plénière de la Cour de cassation, dans trois arrêts du 22 décembre 1988[2] a jugé

 

“que la victime d’un accident du travail, en cas de partage de responsabilité de cet accident entre l’employeur ou son préposé et un tiers étranger à l’entreprise, est en droit d’obtenir de ce tiers, dans les conditions du droit commun, la réparation de son entier dommage dans la mesure où celui-ci n’est pas indemnisé par les prestations de sécurité sociale”.

 

 Au contraire, en vertu des articles L. 451-1 et L. 452-5 du code de la sécurité sociale, sauf si la faute de l’employeur est intentionnelle, le tiers étranger à l’entreprise condamné à réparer l’entier dommage de la victime d’un accident du travail n’a de recours ni contre l’employeur ou ses préposés, ni contre leur assureur[3]

 

La caisse primaire d’assurance maladie, en revanche, peut se retourner contre le tiers responsable pour obtenir le remboursement des sommes versées, la victime étant tenue de l’appeler en déclaration de jugement commun[4]. Il peut alors se poser, devant la juridiction civile de droit commun, saisie d’une telle réclamation de la Caisse, la question de déterminer la part de responsabilité qui incombe au tiers, et celle qui incombe à l’employeur, dans la réalisation du dommage.

 

Face à l’interdiction de la  victime d’agir contre l’employeur selon les règles de droit commun, les  décisions rendues aboutissaient à statuer sur un éventuel partage de responsabilité, à la seule lumière des arguments fournis par le tiers, sans avoir recueilli les explications de l’employeur.

 

C’est la raison pour laquelle  modifiant cette jurisprudence au bénéfice du tiers appelé par la victime devant les juridictions de droit commun , la 2ème chambre civile, par un arrêt du 25 novembre 2004[5], rendu dans sa formation plénière, a approuvé une cour d’appel qui a décidé qu’une société dont la responsabilité était mise en jeu en qualité de tiers responsable d’un accident reconnu comme accident du travail ne pouvait invoquer une faute de l’employeur, celui ci n’ayant pas été appelé en la cause, au motif

 

 “qu’en cas d’action de la victime d’un accident du travail contre le tiers responsable devant la juridiction de droit commun, il ne peut être statué sur l’éventuelle responsabilité de l’employeur sans que celui-ci ait été appelé en déclaration de jugement commun »

 

Synthèse :

 

Le salarié ne peut attraire son employeur que devant le TASS

Il peut en revanche, en appelant la CPAM à la procédure, assigner le tiers coresponsable de l’accident devant les juridictions de droit commun

Le tiers responsable ne pourra s’exonérer partiellement de sa responsabilité  en excipant la faute de l’employeur que si ce dernier est appelé à la procédure

           

II – 2 Le recours de l’employeur contre le tiers responsable   

  

L’action de l’employeur contre le tiers responsable a pour objet d’obtenir la réparation du préjudice subi en raison de l’accident du travail survenu à son salarié.

 

L’employeur peut se faire rembourser par le tiers auteur du dommage :

 

  • les salaires, maintenu à la victime de l’accident du travail en vertu de conventions collectives ou accords particuliers, et les charges sociales de ces salaires[6].

 

  • Une partie de ses dépenses en cas de partage de responsabilité avec le tiers [7]

 

Dans tous les cas la CPAM devra être appelée à la procédure

 

De surcroit  ce recours contre le tiers peut permettre de réduire sa cotisation AT/MP[8]  en cas de faute exclusive du tiers ou partagée .

 

 

Patricia Viane Cauvain

Vivaldi-avocats



[1] CA Bordeaux, 23 nov. 2011, n° 10/2037

[2]Cass Ass Plén 22 décembre 1988pourvois n° 84-13.614, n° 85-17.473 et n° 86-91.864),

[3]  Cass Ass Plén , 31 octobre 1991, pourvois n° 88-19.689, n° 88-17.449 et n° 89-11.514.

[4] L’article L. 454-1 du Code de la sécurité sociale, dans son alinéa 4, prévoit à ce sujet que “si la responsabilité du tiers est partagée avec l’employeur, la caisse ne peut poursuivre un remboursement que dans la mesure où les indemnités dues par elle en vertu du présent livre dépassent celles qui auraient été mises à la charge de l’employeur en vertu du droit commun”.

[5] Cass 2 eme  civ  25 novembre 2004 (pourvoi n° 02-14.018)

[6]Ass. plén., 30-04-1964, n° 62-11.135, Cass. soc., 24-06-1965, n° 64-12.145

[7] Cass. soc., 18-01-1996, n° 93-15675,

[8] La CPAM estime qu’un recours contre tiers, avec 100% de responsabilité d’un tiers, permet de diminuer le taux de cotisation AT/MP de 0,04% en moyenne, soit une économie de cotisation d’environ 7 000€ pour une entreprise de 250 salariés avec un taux de cotisation AT/MP de 2,80%.

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