L’affaire Ryanair / Opodo ou la difficile mise œuvre du droit sui generis du producteur de bases de données

Virginie PERDRIEUX
Virginie PERDRIEUX

  

SOURCE : Cass. Com., 10 février 2015, n°12-26.023, aff. Société Ryanair Limited c/ Société Opodo

 

La loi n°98-536 du 1er juillet 1998, issue d’une directive européenne, a introduit dans le Code de la propriété intellectuelle (articles L.342-1 et suivants) un droit qualifié de « sui generis » pour protéger les producteurs de bases de données contre l’appropriation par des tiers de tout ou partie du contenu de leur base.

 

L’objectif de cette loi s’inscrit dans une logique économique, visant à protéger l’investissement consenti pour la création et la gestion d’une base de données, afin d’offrir à son producteur une rentabilité des coûts de collecte et de traitement des informations.

 

Cependant, afin d’éviter qu’un tel droit n’entrave le développement des créations et n’aboutisse à des réservations de marchés, le Législateur a entendu l’encadrer par des conditions d’application strictes, édictées à l’article L.341-1 du Code de la propriété intellectuelles, comme suit :

 

« le producteur d’une base de données (…) bénéficie d’une protection du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d’un investissement financier, matériel ou humain substantiel ».

 

Tout le problème réside dans la notion de substantialité de l’investissement, dont les contours restent vagues et sujets à de graves incertitudes juridiques.

 

Le présent arrêt a la vertu d’apporter des précisions quant à la démonstration de la preuve des investissements substantiels réalisés par le producteur de base de données, telle qu’exigée par les Cours et Tribunaux

 

Après avoir retenu que la Cour d’appel avait, à bon droit, qualifié de base de données les informations relatives aux vols, horaires, disponibilités et tarifs réunies par la société Ryanair en un ensemble de données organisées et structurées de manière à pouvoir être facilement consultées et utilisées par les internautes et qu’il importait peu que cette base fût dédiée à son activité principale, la Cour de cassation confirme l’arrêt de la Cour d’appel, en ce qu’il a :

 

« exclu du champ de l’investissement entrant dans la constitution, la vérification ou la présentation du contenu de ladite base, tant le coût des logiciels destinés à assurer le fonctionnement du système de gestion commerciale que les dépenses relatives à l’application informatique de la billetterie (…) ».

 

Ainsi, la société Ryanair se voit refuser toute protection au titre du droit sui generis, au motif que la preuve des investissements qu’elle rapporte, soit 15 millions d’euros sur quatre ans pour la mise en place et le fonctionnement de son système informatique de billetterie et son logiciel de gestion commerciale, selon un rapport d’expert informatique, ne concernerait pas directement la constitution, la vérification et la présentation de sa base de données.

 

La Cour de cassation s’aligne ainsi sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union Européenne, laquelle, par un arrêt du 9 novembre 2004 (CJCE, 9 nov. 2004, aff. C-203/02, The British Horceracing Board Ltd e.a. c/ William Hill Organization Ltd), avait déjà précisé que :

 

la notion d’investissement lié à la vérification du contenu de la base de données (…) doit être comprise comme visant les moyens consacrés, en vue d’assurer la fiabilité de l’information contenue dans ladite base, au contrôle de l’exactitude des éléments recherchés, lors de la constitution de cette base ainsi que pendant la période de fonctionnement de celle-ci.

 

Les moyens consacrés à des opérations de vérification au cours de la phase de création des données ou d’autres éléments par la suite rassemblés dans une base de données (…) ne relèvent pas de cette notion ».

 

Il revient donc au producteur de bases de données, qui souhaite bénéficier du droit sui generis, de faire preuve de prudence dans la constitution de ses preuves et de bien différencier ses investissements liés au simple fonctionnement de sa base de données de ceux liés à la collecte des éléments la composant, à leur vérification et à leur rassemblement en un ensemble ordonné.

 

Virginie PERDRIEUX

Vivaldi-Avocats

 

 

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