SOURCE : Cass.3ème Civ., 8 mars 2018 n°16-29.083
C’est ce que précise la Seconde Chambre Civile de la Cour de Cassation, dans cette décision, inédite, comme suit :
« …
Attendu, selon l’arrêt attaqué et les productions, que Mme X…, veuve Y…, qui a souscrit auprès de la société Filia MAIF (l’assureur) un contrat d’assurance couvrant les dommages aux biens incluant la garantie catastrophe naturelle, a déclaré, le 30 septembre 2003, un sinistre consistant en des fissures et des tassements apparus sur sa maison située à La Ronde ; que les mouvements différentiels de terrain consécutifs à la sécheresse ayant sévi dans cette commune au cours de l’été 2003 ont été classés catastrophe naturelle par arrêté du 25 août 2004 publié au journal officiel le lendemain ; qu’après avoir, le 7 octobre 2004, désigné un expert, le cabinet Aria aux droits duquel se trouve la société Aria Eurexo, l’assureur a dénié sa garantie en se prévalant des conclusions de l’expert imputant les désordres à des défauts de construction ; que, le 10 janvier 2008, l’assureur a cependant désigné à nouveau l’expert, qui a maintenu ses conclusions ; que, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 22 juin 2009, l’avocat de Mme X… a demandé à l’assureur de revoir sa position ; que celui-ci n’y ayant pas consenti, Mme X… l’a assigné en référé à fin d’expertise, le 27 janvier 2010, puis, après dépôt du rapport d’expertise, le 24 avril 2012, elle-même et son fils M. Cyrille Y…, devenu nu-propriétaire de l’immeuble (les consorts Y…) ont, le 19 juin 2013, assigné l’assureur en exécution du contrat et en responsabilité et l’expert en responsabilité ;
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
(…)
Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche :
Vu l’article L. 114-2 du code des assurances ;
Attendu que, pour déclarer irrecevable comme prescrite la demande des consorts Y… tendant à l’exécution du contrat d’assurance, l’arrêt énonce que, dans le délai de deux ans suivant le 10 janvier 2008, il ne peut être opposé à l’assureur un nouvel acte interruptif de prescription ;
Qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si la lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 22 juin 2009 par laquelle le conseil des consorts Y… demandait à l’assureur de revoir sa position de non-garantie ne constituait pas une demande de l’assuré à l’assureur concernant le règlement de l’indemnité susceptible d’interrompre la prescription, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;
Et sur le deuxième moyen :
(…)
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la troisième branche du premier moyen :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 28 octobre 2016, entre les parties, par la cour d’appel de Poitiers ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Bordeaux ; … »
Pour mémoire, l’article L 114-1 alinéa 1 du Code des Assurances dispose :
« Toutes actions dérivant d’un contrat d’assurance sont prescrites par deux ans, à compter de l’évènement qui y donne naissance… »
L’article L 114-2 du Code des Assurances précise quant à lui :
« La prescription est interrompue par une des causes ordinaires d’interruption de la prescription et par la désignation d’experts à la suite d’un sinistre. L’interruption de la prescription de l’action peut, en, outre, résulter de l’envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception adressée par l’assureur à l’assuré en ce qui concerne l’action en paiement de la prime et par l’assuré à l’assureur en ce qui concerne le règlement de l’indemnité. »
La jurisprudence est amenée régulièrement à se prononcer sur la valeur interruptive de prescription de LRAR adressées entre assureur et assuré.
Au cas d’espèce, la Seconde Chambre Civile a estimé que la LRAR adressée par l’assuré à l’assureur lui demandant de revoir sa position de non-garantie, avait un tel effet car portant sur le règlement de l’indemnité
Rappelons par ailleurs, que la jurisprudence considère que la prescription biennale est inopposable par l’assureur à l’assuré, pour manquement aux dispositions de l’article R112-1 du Code des Assurances, si la police d’assurance ne comporte pas les causes interruptives de la prescription en droit des assurances comme de droit commun.
En effet, aux termes des dispositions de l’article R112-1 du Code des assurances, les polices d’assurance doivent rappeler les dispositions de la loi concernant la prescription des actions dérivant du contrat d’assurance.
L’inobservation de ces dispositions est sanctionnée par l’inopposabilité à l’assuré du délai de prescription biennal prévu par l’article L114-1 du même code.
A ce titre, la jurisprudence exige pour que la prescription biennale puisse être invoquée par l’assureur à l’encontre de l’assuré, que l’assureur démontre avoir remis à l’assuré[1] une police :
Reproduisant l’ensemble des dispositions de l’article L114-1 (et notamment la prescription biennale proprement dite ainsi que les différents points de départ du délai de la prescription biennale figurant aux alinéas 2 et 3 de l’article L114-1 du Code des assurances[2]) et L114-2 du Code des assurances (les causes d’interruption de la prescription biennale prévue à l’article L114-2 du Code des assurances[3]) ;
Reproduisant également, suivant un Arrêt de la seconde Chambre Civile de la Cour de Cassation en date du 18 avril 2013[4], les causes ordinaires d’interruption de la prescription c’est-à-dire : reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait ; demande en justice même en référé ; acte d’exécution forcée.
Cette obligation d’information s’inscrit dans le devoir général d’information de l’assureur qui lui impose de porter à la connaissance des assurés une disposition qui est commune à tous les contrats d’assurance[5].
Cette jurisprudence fait écrire aujourd’hui à la doctrine que :
« Le champ d’application de la prescription biennale déjà limité par les effets de la désignation d’un expert depuis la réforme du 17 juin 2008, risque avec cette nouvelle décision de voir son domaine réduit à peau de chagrin. »[6] ;
Ou encore « autant dire que la prescription biennale risque de devenir lettre morte pour le passé dans la mesure où en pratique l’intégralité des dispositions est rarement rappelée aux termes des polices, et pour l’avenir, depuis que l’article 2239 du Code Civil réformant la prescription est venu consacrer le principe selon lequel la prescription est suspendue lorsque le Juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès[7] ;
Ou enfin « l’article R112-1 du Code des assurances, dans sa version actuelle dispose « les polices d’assurance relevant des branches 1 à 17 de l’article R231-1 doivent (…) rappeler (…) la prescription des actions dérivant du contrat d’assurance. »
1. Un problème s’est posé en cas de manquement à cette obligation. Pratiquement pas sanctionnés à l’origine en jurisprudence, ils sont aujourd’hui littéralement traqués par la Cour de Cassation, de sorte que les concepteurs de police ne doivent pas lésiner sur le contenu des clauses… »[8].
La Cour d’Appel de Douai applique régulièrement cette jurisprudence notamment dans un arrêt en date du 21 septembre 2017 (RG n° 13/04058) :
« …
Que le syndicat des copropriétaires soutient que c’est à tort que le tribunal a retenu la prescription biennale invoquée, en première instance, par les assureurs dommages ouvrage sur le fondement de l’article L.114-1 du code des assurances, au motif que l’action, au fond, du syndicat aurait été engagée plus de deux ans après l’ordonnance de référé du 24 juillet 2003, dès lors que les assureurs dommages-ouvrage qui excipaient, à l’époque, cette prescription et à qui incombait corrélativement la charge d’établir le bien-fondé de cette fin de non-recevoir, ne justifiaient pas de l’opposabilité du délai de prescription biennale au syndicat ;
Que le syndicat des copropriétaires sollicite donc, de la cour, qu’elle réforme le jugement de ce chef et le dise recevable à agir ;
Attendu que selon l’article L. 114-1, alinéa 1, du code des assurances :
« Toutes actions dérivant d’un contrat d’assurance sont prescrites par deux ans à compter de l’événement qui y donne naissance.»;
Que l’action en paiement de l’indemnité due à la suite d’un sinistre, exercée par l’assuré contre son assureur, dérivant du contrat d’assurance, est soumise à la prescription biennale.
(…)
…l’assureur est tenu de rappeler dans le contrat d’assurance, sous peine d’inopposabilité à l’assuré du délai de prescription édicté par l’article L. 114-1 du même code, les différents points de départ du délai de la prescription biennale prévus à l’article L. 114-2 de ce code ;
Attendu, en l’espèce, qu’il ressort des éléments produits aux débats et sans contestation de leur part dans les écritures échangées devant la cour, que les assureurs dommages ouvrages ne démontrent pas que leur police reproduit, l’intégralité des dispositions relatives à la prescription biennale ni les causes ordinaires d’interruption de ladite prescription ;
Qu’ainsi, eu égard à l’inopposabilité du délai de prescription édicté par l’article L. 114-1 à l’égard du syndicat des copropriétaires, il y a lieu de le dire recevable en son action contre les assureurs dommages-ouvrage
(…)
Que la prescription de droit commun invoquée par les assureurs dommages-ouvrage est inapplicable en l’espèce ;
Qu’il résulte des articles L.112-2, L.114-1 et L.114-2 du code des assurances que le délai de prescription biennale des actions dérivant du contrat d’assurance a un caractère d’ordre public ;… »
Kathia BEULQUE
Vivaldi-Avocats
[1] Cass. 2ème Civ. 30 juin 2011 n°10-23.223
[2] Cass. 2ème Civ. 28 avril 2011 n°10-16.403
[3] Cass. 2ème Civ. 03 septembre 2009 n°08-13.094
Cass. 3ème Civ. 28 avril 2011 n°10-07.269
Cass. 3ème Civ. 18 octobre 2011 n°10-19.171
Cass. 3ème Civ. 16 novembre 2011 n°10-25.246
[4] Cass. 2ème Civ. 18 avril 2013 n°12-19.519
[5] Cass. 2ème Civ. 17 mars 2011 n°10-15.067
[6] Revue construction urbanisme n°7 juillet 2013 « article R112-1 et rappel des causes ordinaires d’interruption » par Marie-Laure PAGES DE VARENNE
[7] Construction urbanisme n°1 janvier 2012 commentaire 14 « prescription et non respect des dispositions de l’article R112-1 du Code des assurances » par Marie-Laure PAGES DE VARENNE
[8] Responsabilité civile et assurance n°1 janvier 2012 formule 1 « clause relative à la prescription biennale dans une police d’assurance dommages » par Hubert GROUTEL