Faire travailler d’anciens salariés devenus auto-entrepreneurs en les maintenant dans un lien de subordination juridique permanente : attention danger !

Christine MARTIN
Christine MARTIN - Avocat associée

 

SOURCE : Cass crim., 15 décembre 2015, Arrêt n° 14-85.638, FS-P+B (n° 5552).

 

Une société exerçant une activité de téléprospection avait fait l’objet d’une enquête de l’inspection du travail courant de l’année 2011, à l’issue de laquelle la gérante de droit de la société, ainsi que le gérant de fait avaient été poursuivis du chef de travail dissimulé pour avoir employé certains anciens salariés sous le statut d’auto-entrepreneurs en vue de poursuivre, pour le compte de la société, l’activité de prospection téléphonique.

 

Ayant été déclarés coupables des faits d’exécution d’un travail dissimulé par un Arrêt de la Cour d’Appel d’AMIENS, Chambre Correctionnelle, en date du 02 juillet 2014, laquelle avait condamné tant la société que la gérante de droit et le gérant de fait à des peines d’amendes, les prévenus se sont pourvus en Cassation.

 

A l’appui de leur pourvoi, ils reprochent à la Cour d’Appel de n’avoir pas caractérisé l’existence d’un lien de subordination juridique permanent de la société sur les auto-entrepreneurs ou d’un pouvoir disciplinaire autre que celui purement hypothétique consistant en la résiliation du contrat par les prévenus.

 

Mais la Chambre Criminelle va relever qu’il ressort du mémoire produit par les prévenus que :

 

       Les modalités d’exécution du travail accompli par les auto-entrepreneurs pour la société étaient largement imposées par celle-ci, que de surcroît la société établissait elle-même les factures dont elle était débitrice à l’égard des auto-entrepreneurs ;

 

       Les anciens salariés devenus auto-entrepreneurs avaient conservé exactement les mêmes fonctions assorties des mêmes modalités d’exécution du travail, qu’il existait une concordance exacte entre la date de création de l’auto-entreprise et de la date du début de la mission accomplie pour le compte de la société ;

 

       Les auto-entrepreneurs travaillaient exclusivement pour le compte de la société dans le cadre d’un contrat type commun à tous et selon un mode de rémunération identique et imposé par la société, ce qui les plaçait manifestement dans une situation de dépendance économique et de précarité ;

 

       Les critères d’absence de pouvoir disciplinaire de l’employeur ne sauraient résulter de l’absence de mention expresse dans le contrat liant les parties, dès lors que l’éventuelle sanction consistait en la résiliation du contrat ;

 

La Chambre Criminelle considère que les Premiers Juges ont pu conclure que l’ensemble de ces indices faisait ressortir que la société avait détourné de son objet le statut d’auto-entrepreneur, uniquement dans le but reconnu d’échapper au paiement des charges sociales salariales et qu’en outre les anciens salariés devenus auto-entrepreneurs avaient continué de travailler dans les locaux de l’entreprise, non seulement pour faire du travail de téléprospection, mais encore des taches de secrétariat ou d’accueil, sans rapport avec l’objet même du mandat, que cela démontre au contraire que les personnes concernées étaient en réalité sous la dépendance totale de la société qui pouvait leur imposer l’accomplissement de tâches sans rapport avec l’objet du contrat.

 

Le caractère intentionnel du délit de travail dissimulé par défaut de déclaration préalable à l’embauche était donc établi.

 

La Chambre Criminelle en conclut qu’il résulte que sous le couvert de mandat établi entre la société et plusieurs de ses anciens salariés ayant pris le statut d’auto-entrepreneur, ces derniers fournissaient, en réalité, à la société des prestations dans des conditions qui les plaçaient dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celle-ci et que les prévenus ont donc commis l’infraction de travail dissimulé pour le compte de la société, de sorte que la Cour d’Appel a justifié sa décision.

 

Par suite, la Chambre Criminelle rejette le pourvoi.

 

Christine MARTIN

Associée

Vivaldi-Avocats

 

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