Durée du travail : requalification des astreintes en permanences constituant un temps de travail effectif

Christine MARTIN
Christine MARTIN - Avocat associée

La requalification est encourue si le salarié au cours des périodes d’astreintes est soumis à des contraintes d’une intensité telle qu’il ne pouvait vaquer à des occupations personnelles tant que ses services professionnels n’étaient pas requis

SOURCE : Arrêt de la Chambre Sociale de la Cour de cassation du 26 octobre 2022, n°21-14.178 (F-S-B +R, cassation).

Une société ayant pour activité le dépannage de véhicules légers et poids lourds intervenant à la demande de particuliers, professionnels et compagnies d’assurance et d’assistance, a embauché comme dépanneur un salarié dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée à compter du 12 décembre 1988.

Outre son temps de travail habituel, le salarié était soumis à des astreintes de 15 jours tous les 15 jours.

Le salarié a saisi, le 10 décembre 2015, le Conseil de Prud’hommes aux fins de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail soutenant avoir été victime d’une situation de harcèlement et reprochant à son employeur d’avoir failli à son obligation de sécurité et ne pas avoir été rempli de ses droits au titre de l’exécution de son contrat de travail et notamment du paiement de ses heures supplémentaires.

Le salarié va finalement être licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 27 juin 2017.

Débouté par les premiers Juges, il forme appel devant la Cour d’Appel d’AMIENS, laquelle dans un arrêt du 27 janvier 2021 va également rejeter l’ensemble de ses demandes et en particulier les demandes relatives aux astreintes.

La Cour va souligner que les dépanneurs de la société étaient tenus de se tenir en permanence ou à proximité immédiate des ou dans les locaux de l’entreprise, en dehors des heures et jours d’ouverture, afin de répondre sans délai à toute demande d’intervention.

Elle souligne qu’il était constitué des équipes de trois ou quatre dépanneurs munis d’un téléphone qui intervenaient à la demande du dispatcheur qui lui, contrairement aux autres salariés, était spécialement affecté à la réception continue des appels d’urgences.

La Cour d’Appel en conclu qu’une telle organisation permettait de dire que ces périodes étaient des astreintes, pour lesquelles les salariés bénéficient d’une compensation financière en l’espèce une commission de 3% du chiffre d’affaires HT, et non pas des permanences constituant un temps de travail effectif.

Ensuite de cette décision, le salarié forme un pourvoi en cassation.

A l’appui de ce pourvoi, il reproche à l’arrêt d’appel de l’avoir débouté de ses demandes notamment au titre des heures supplémentaires, sans avoir recherché si au regard des suggestions auxquelles il était effectivement soumis au cours des périodes litigieuses, il n’était pas en permanence à la disposition de son employeur et s’il pouvait ou non vaquer librement à ses occupations personnelles.

Et bien lui en a pris, puisque d’une part, au visa des dispositions des articles L.3121-1 et L.3121-5 du Code du Travail, et, d’autre part, au visa de la notion de temps de travail effectif au sens de la directive européenne 2003/88 aux termes de laquelle, relève de la notion de temps de travail effectif l’intégralité des périodes de garde y compris celles sous régime d’astreintes au cours desquelles les contraintes imposées au travailleur sont d’une nature telle qu’elles affectent objectivement et très significativement la faculté pour ce dernier de gérer librement au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités et de consacrer ce temps à ses propres intérêts.

Inversement lorsque les contraintes imposées au travailleur au cours d’une période de garde déterminée n’atteignent pas un tel degré d’intensité et lui permettent de gérer son temps et de se consacrer à ses propres intérêts sans contraintes majeures, seul le temps lié à la prestation de travail qui est, le cas échéant, effectivement réalisée au cours d’une telle période constitue du temps de travail au sens de l’application de la directive 2003/88.

Par suite, la Chambre Sociale de la Haute Cour censure l’arrêt d’appel pour avoir considéré que le temps pendant lequel les dépanneurs de la société étaient tenus de se tenir en permanence ou à proximité immédiate des ou dans les locaux de l’entreprise en dehors des heures et jours d’ouverture afin de répondre sans délai à toute demande d’intervention et que le travail était constitué d’équipe de trois ou quatre dépanneurs munis d’un téléphone qui intervenaient à la demande du dispatcheur, lequel contrairement aux autres salariés était spécialement affecté à la réception continue des appels d’urgence, que ce temps de travail était des astreintes et non pas des permanences constituant un temps de travail effectif.

Par suite, en omettant de vérifier si le salarié avait été soumis au cours de ces périodes d’astreintes à des contraintes d’une intensité telle qu’elles avaient affecté, objectivement et très significativement, sa faculté de gérer librement au cours de ces périodes le temps pendant lequel ses services professionnels n’étaient pas sollicités et de vaquer à des occupations personnelles, la Cour d’Appel a privé sa décision de base légale.

Par suite, la Chambre Sociale de la Haute Cour casse et annule l’arrêt d’appel.

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