Aux termes de trois arrêts rendus coup sur coup, et amenés à la plus large des publications, la troisième chambre civile opère un important revirement de jurisprudence en matière de restitution des locaux en mauvais état, à tout le moins non conforme avec les stipulations du bail ou avec les règles légales, et exige désormais la démonstration par le bailleur d’un préjudice en lien de causalité avec le désordre allégué.
SOURCE : Cass. civ 3ème, 27 juin 2024, n°22-21272, n°22-24502 et n°22-10298, FS – B
Les trois arrêts rendus le 27 juin 2024 s’inscrivent dans une évolution jurisprudentielle dont les prémices naissent avec l’arrêt du 29 janvier 2002[1], aux termes duquel la Cour a affirmé, dans une espèce relative à une vente des locaux précédemment loués sans que le bailleur n’ait effectué de travaux, que l’indemnisation de ce dernier à raison de l’inexécution par le preneur des réparations locatives prévues au bail, n’était subordonnée ni à l’exécution de ces réparations ni la justification d’un préjudice.
Dans un second temps, aux termes d’un arrêt rendu en assemblée plénière le 3 décembre 2003[2], la Cour de cassation est revenue sur sa position, en conditionnant l’allocation des dommages et intérêts, à la démonstration par le bailleur d’un préjudice en lien de causalité avec le désordre allégué (faute – préjudice et lien de causalité) :
« Des dommages et intérêts ne peuvent être alloués que si le juge, au moment où il statue, constate qu’il est résulté un préjudice de la faute contractuelle ».
Dans l’arrêt du 3 décembre 2003, la Cour faisait grief au bailleur de solliciter des dommages et intérêts sans rapporter la preuve d’un préjudice, lequel ne prétendait ni avoir réalisé des travaux ou contribué à l’aménagement du nouveau preneur, ni avoir dû consentir un bail à des conditions plus défavorables que si l’état des lieux avait été différent.
Dans ses arrêts du 27 juin 2024 commentés, et après quelques secousses jurisprudentielles et doctrinales[3], la Haute Cour réaffirme le principe érigé dans sa jurisprudence antérieure de 2003, au visa des articles 1147 et 1149 (anciens) et 1732 du Code civil, dont il est respectivement rappelé les stipulations :
« Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part ».
« Les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après ».
« Il [le preneur] répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa jouissance, à moins qu’il ne prouve qu’elles ont eu lieu sans sa faute ».
Titrages et résumés des arrêts du 27 juin 2024 :
Il résulte de la combinaison de ces textes, et du principe de la réparation intégrale du préjudice, que le preneur qui restitue les locaux dans un état non conforme à ses obligations découlant de la loi ou du contrat, commet un manquement contractuel et doit réparer le préjudice éventuellement subi de ce chef par le bailleur.
Ce préjudice peut comprendre le coût de la remise en état des locaux, sans que son indemnisation ne soit subordonnée à l’exécution des réparations ou à l’engagement effectif des dépenses.
Tenu d’évaluer le préjudice à la date à laquelle il statue, le juge doit prendre en compte, lorsqu’elles sont invoquées, les circonstances postérieures à la libération des locaux, telles la relocation, la vente ou la démolition.
- Dès lors, doit être censuré l’arrêt qui condamne un locataire à payer au bailleur des dommages-intérêts équivalents au coût de la remise en état des locaux précédemment loués au seul motif de l’inexécution des réparations par le locataire, sans constater qu’un préjudice pour le bailleur était résulté de sa faute contractuelle, alors que ce dernier invoquait une relocation rapide des locaux sans que le bailleur ait effectué de travaux et à des conditions plus favorables (pourvoi n°22-24502) ;
- Dès lors, doit être approuvé l’arrêt qui rejette la demande de dommages-intérêts du bailleur, fondée sur une restitution en mauvais état des locaux, aux motifs qu’il ne prouve pas avoir subi de préjudice alors qu’il avait vendu les locaux loués trois mois après leur restitution sans effectuer de travaux et qu’il ne justifiait pas d’une dépréciation de leur prix à la revente en lien avec les manquements du locataire (pourvoi n°22-10298) ;
- Dès lors, doit être censuré, l’arrêt qui condamne un locataire à payer au bailleur des dommages-intérêts équivalents au coût de la remise en état des locaux précédemment loués au seul motif de l’inexécution des réparations par le locataire, sans constater qu’un préjudice pour le bailleur était résulté de sa faute contractuelle, alors que ce dernier invoquait une revente des locaux aux fins de leur destruction sans que le bailleur ait effectué de travaux de remise en état ni n’ait subi de dévalorisation du prix de vente (pourvoi n°22-21272).
Quid du préjudice et l’offre probatoire supérieure ?
Dans la majorité des cas, le bailleur subit un préjudice équivalent au coût de la remise en état des locaux. En vertu du principe de la libre affectation des dommages et intérêts, l’indemnisation de ce préjudice n’est pas subordonnée à l’exécution des réparations ou à l’engagement effectif de dépenses. En conséquence, le plus souvent, il suffira au bailleur d’établir l’existence des dégradations locatives et le coût de la remise en état pour justifier de son préjudice et obtenir des dommages et intérêts équivalents à ce coût[4].
D’autres circonstances peuvent permettre au bailleur de quantifier son préjudice. Le bailleur peut en effet demander la réparation d’autres préjudices, tels un préjudice d’immobilisation de son bien, un préjudice de moins-value à la revente ou de relocation dans des conditions défavorables par rapport à ce qu’il aurait pu obtenir si les locaux avaient été restitués en bon état[5] (franchise de loyers accordée au nouveau locataire pour remise en état des locaux dégradés[6] / baisse de loyer).
En ce sens, les pourvois sont significatifs. Ainsi dans les deux arrêts de cassation (pourvois n°22-21272 et n°22-24502), les juges du fond avaient fait droit à la demande indemnitaire des bailleurs en jugeant que les circonstances postérieures à la restitution des locaux invoquées par les preneurs pour s’opposer aux demandes indemnitaires (revente après restitution pour l’un, et relocation et réaménagement par un nouvel occupant pour l’autre), étaient sans incidence sur l’existence du préjudice subi par les bailleurs, nécessairement équivalent au coût des réparations locatives.
Sanction : Censure des deux arrêts de Cour d’appel motivée par l’absence de démonstration d’un préjudice pour le bailleur fondé sur la responsabilité contractuelle.
Enfin, dans la dernière affaire (pourvoi n° 22-10.298), les locaux loués avaient été revendus dans les trois mois après leur restitution. La Cour de cassation a considéré que le bailleur, qui n’avait réalisé aucun travaux, ne justifiait pas avoir préjudice de moins-value à la revente du bien en lien avec les manquement du locataire, comme l’avait jugé par ailleurs la Cour d’appel.
[1] Cass. civ 3ème, 29 janvier 2002, n°99-20768, Inédit
[2] Cass. civ 3ème, 3 décembre 2003, n°02-18033, FS – PB
[3] En ce sens, Cass. civ 3ème, 25 janvier 2006, n°04-20726, Inédit ou encore Cass. civ 3ème, 7 janvier 2021, n°19-23269, Inédit
[4] https://www.courdecassation.fr/publications/lettre-de-la-troisieme-chambre-civile/ndeg14-juillet-2024/baux-commerciaux#publication-page
[5] https://www.courdecassation.fr/publications/lettre-de-la-troisieme-chambre-civile/ndeg14-juillet-2024/baux-commerciaux#publication-page
[6] Cass. civ 3ème, 25 octobre 2018, n°16-17172, Inédit