Le Bailleur peut-il subordonner à une augmentation de loyer son accord à la réalisation de travaux du preneur ?

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

 

SOURCE : 3ème civ, 25 février 2016, n°14-25087, Inédit.

 

Le preneur à bail commercial d’un OPAC sollicite de son bailleur l’autorisation de réaliser des travaux portant sur la vitrine des locaux.

 

L’OPAC, relevant que ces travaux vont augmenter de 22 m² la surface commerciale des locaux, subordonne son autorisation à une augmentation de loyer, outre le respect des règles d’urbanisme.

 

Si le locataire accepte le principe d’une réévaluation du loyer, celui-ci refuse le quantum proposé par le bailleur, et au terme de discussions infructueuses, à réception des autorisations administratives, procède à la réalisation des travaux.

 

L’OPAC enjoint le preneur à remettre les lieux en l’état, puis lui fait délivrer un commandement de faire visant la clause résolutoire, auquel le preneur fait opposition.

 

La Cour d’appel de LYON, à l’instar des premiers juges, constate la résiliation du bail, faute pour le preneur d’avoir remis les lieux en l’état au titre de travaux réalisé sans l’accord du bailleur.

 

Le preneur se pourvoi en cassation au visa de l’article L145-15 du Code de commerce, estimant que le bailleur ne peut subordonner son accord à la réalisation de travaux à une augmentation de loyer, sans violer les dispositions d’ordre public relative au renouvellement du bail et à la fixation du prix du loyer renouvelé.

 

Plus précisément, l’article L145-15 du Code de commerce dispose que

 

« Sont réputés non écrits, quelle qu’en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui ont pour effet de faire échec au droit de renouvellement institué par le présent chapitre ou aux dispositions des articles L. 145-4, L. 145-37 à L. 145-41, (…) »

 

La Cour de cassation relève la pertinence de la question à laquelle la Cour d’appel de Lyon n’avait pas répondu, et en conséquence casse l’arrêt pour manque de base légale.

 

L’affaire est renvoyée devant la Cour d’appel de LYON autrement composée.

 

Les juges lyonnais s’attacheront donc à déterminer si le refus du bailleur à la réalisation de travaux en raison du refus du locataire d’accepter un loyer revalorisé est conforme aux dispositions de l’article L145-15 du Code de commerce.

 

S’agissant de la contrariété de l’ « offre » du bailleur au droit au renouvellement du bail, l’argument nous échappe :

 

En effet, ni le refus du bailleur à la réalisation des travaux, ni l’acceptation forcée par le locataire n’ont a priori d’incidence sur le renouvellement du bail dont le loyer sera fixé à la valeur locative, si cette revalorisation du loyer relève d’une modification des obligations des parties, ou les travaux d’une modification des caractéristiques des locaux sans amélioration. A défaut, le loyer du bail renouvelé sera simplement plafonné par référence au loyer initialement fixé.

 

Surabondamment, les dispositions des articles L145-33 et 34 régissant les modalités de fixation du loyer du bail renouvelé ne sont pas d’ordre public.

 

S’agissant de la contrariété de l’ « offre » du bailleur au droit à la révision du loyer du bail, l’argument semble sérieux :

 

L’article L145-15 du Code de commerce proscrit toute entorse aux dispositions des articles L145-37 à 39 du Code de commerce, relatifs à la révision légale du loyer, ainsi repris :

 

« Les loyers des baux d’immeubles ou de locaux régis par les dispositions du présent chapitre, renouvelés ou non, peuvent être révisés à la demande de l’une ou de l’autre des parties sous les réserves prévues aux articles L. 145-38 et L. 145-39 et dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat. »

 

« La demande en révision ne peut être formée que trois ans au moins après la date d’entrée en jouissance du locataire ou après le point de départ du bail renouvelé. La révision du loyer prend effet à compter de la date de la demande en révision.

De nouvelles demandes peuvent être formées tous les trois ans à compter du jour où le nouveau prix sera applicable. (…) »

 

« En outre, et par dérogation à l’article L. 145-38, si le bail est assorti d’une clause d’échelle mobile, la révision peut être demandée chaque fois que, par le jeu de cette clause, le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d’un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire. »

 

Il résulte de ces textes et de la jurisprudence y afférente que la fixation d’un nouveau loyer par avenant reporte à la date d’effet de cette fixation tant le point de départ triennal de la demande de révision légale[1] que celui de la révision spéciale de l’article L145-39 (qui vise le prix fixé contractuellement).

 

En subordonnant la réalisation de travaux à une augmentation de loyer, que certain appelleront « équité » et d’autres « chantage », le bailleur ne fait-il pas échec, ou du moins ne retarde-t-il pas, à la faveur d’un arrangement prenant sa source dans une stipulation contractuelle, le droit du preneur d’obtenir la révision de son loyer ?

 

A ce sujet, une cour d’appel (Paris)[2] a déjà pu déclarer nulle une clause d’un bail selon laquelle « en cas de suppression de tout ou partie des impôts ou taxes mis à la charge du preneur selon les stipulations ci-dessus, une somme égale au montant de la part remboursée par celui-ci sera ajoutée au loyer de plein droit ou immédiatement », les juges parisiens estimant cette clause contraire aux dispositions d’ordre public de l’article L145-38 du Code de commerce. A l’instar de cette clause de revalorisation automatique du loyer, le refus du bailleur encourt la nullité.

 

La Cour d’appel de LYON tranchera.

 

Sylvain VERBRUGGHE

Vivaldi-Avocats

 


[1] 3ème civ, 26 novembre 1986, 85-14.399, Publié au Bulletin

[2] Sous 3ème civ, 3 février 2010, 08-21.333, Publié au bulletin. L’arrêt de la Cour d’appel de Paris est toutefois censuré sur le fondement de la prescription.

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