Après l’arrêt du 7 mai 2025[1] qui permettait à la Cour de cassation d’affirmer l’autonomie de l’action ut singuli et qui avait fait l’objet d’un précédent article Chronos, la Cour de cassation a rendu un nouvel arrêt le 18 juin 2025 concernant l’action ut singuli relatif au moment où doit s’apprécier la qualité d’associé permettant à ce dernier d’exercer l’action ut singuli.
Source : Cass. com., 18 juin 2025, n°22-16.781, publié au bulletin
I –
En 2009, l’actionnaire d’une société assigne les dirigeants de la société sur le fondement de l’action ut singuli et de l’article L. 225-252 du Code de commerce.
Dix ans plus tard, la société décide d’une réduction de capital par voie d’annulation de la totalité des actions détenues par l’actionnaire ayant introduit l’action précitée, qu’elle lui avait rachetées.
Dans le cadre de la procédure à l’encontre des dirigeants, ceux-ci soulèvent alors une fin de non-recevoir en raison de la perte de la qualité à agir de l’actionnaire demanderesse.
Dans un arrêt rendu le 10 mars 2022 par la Cour d’appel de Paris, l’actionnaire est déclarée irrecevable : la perte de la qualité d’actionnaire aurait rendu son action irrecevable.
L’actionnaire forme alors un pourvoi en cassation et la Cour de cassation ne suit pas le raisonnement des juges du fond.
II –
Il convient de rappeler que l’action ut singuli permet à un associé ou à un actionnaire d’exercer, au nom de la société et dans son intérêt, une action en réparation du préjudice causé par les dirigeants, l’appréciation de la qualité d’associé est donc centrale quant à la recevabilité de cette action.
En combinant les articles 31 (intérêt à agir) et 122 (fin de non-recevoir) du Code de procédure civile ainsi que celui du Code de commerce relatif à l’action ut singuli, la Cour de cassation juge que la qualité d’associé nécessaire à l’action ut singuli doit s’apprécier au moment de l’introduction de l’instance.
En conséquence, la perte de la qualité d’associé en cours d’instance n’a aucune incidence sur la poursuite de l’action de celle-ci par l’ancien actionnaire.
« Il résulte de la combinaison des articles 31 et 122 du code de procédure civile et L. 225-252 du code de commerce que la qualité d’associé nécessaire à l’exercice de l’action ut singuli s’apprécie lors de la demande introductive d’instance, de sorte que la perte ultérieure de cette qualité est sans incidence sur la poursuite de l’action par celui qui l’a initiée. »
III –
L’arrêt de la Cour de cassation, qui va à l’encontre de certaines décisions qui considéraient que l’action ut singuli impliquait que l’associé conserve sa qualité pendant toute l’instance[2] amène d’autres interrogations quant à l’appréciation de la qualité d’associé permettant d’introduire l’action ut singuli : un ancien actionnaire, qui aurait perdu cette qualité, pourrait-il introduire cette action pour un préjudice né lorsqu’il était encore actionnaire ?
En d’autres termes, si la qualité d’associé doit s’apprécier au moment de l’introduction de l’instance uniquement, on peut légitimement s’interroger sur le faire de savoir si l’action ut singuli pourrait être ouverte après la perte de la qualité d’associé mais pour un préjudice intervenu lorsqu’était possédée cette qualité ? Cette interrogation trouverait d’autant plus de force dans l’hypothèse où les faits préjudiciables reprochés aux dirigeants n’auraient été découverts que postérieurement à la perte de qualité d’associé.
En l’état de la jurisprudence, rien n’est moins sûr : la Cour de cassation et les juridictions d’appel rappellent que l’action ut singuli est irrecevable si le demandeur n’est plus actionnaire à la date d’introduction de l’instance, même si le préjudice est antérieur à la perte de la qualité d’actionnaire.
Cette exclusion d’un ancien actionnaire de l’action ut singuli vise à garantir que seule une personne ayant un intérêt direct à la défense du patrimoine social puisse agir. Ce mécanisme s’explique par le caractère exceptionnel du droit d’agir au nom de la société sans mandat de représentation, ce qui commande une application stricte des dispositions relatives à l’action sociale, même si avec l’arrêt du 18 juin 2025, la condition de conservation de la qualité d’associé durant l’instance n’est plus nécessaire.
[1] Cass. Com., 7 mai 2025, 23-15.931, publié au bulletin
[2] Cour d’appel de Paris – Pôle 05 ch. 09, 10 mars 2022 / n° 13/18511