Sort des créances non inscrites au plan de redressement : quand les « Gibis » viennent au secours des « Shadoks »

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

La Cour de Cassation avait encore à aborder la mésaventure d’un créancier ayant régulièrement déclaré sa créance au passif de la procédure collective d’un débiteur, laquelle, bien que non contestée, n’avait pourtant pas non plus été admise et donc intégrée dans le plan de redressement par voie de continuation. Ce créancier s’est trouvé fort dépourvu, lorsque le plan redressement est arrivé à son terme, sans que sa créance ne soit payée.

Source :Cass, com 14 septembre 2022 F-B n° 21-11.937 F – B

I –

Nous confessons que pour certains lecteurs, la référence aux Shadoks et au GIBIS peut paraître lointaine, s’agissant d’une série télévisée dont les diffusions originales se sont principalement déroulées à la fin des années 60 et tout au long des années 70. Pour ceux qui ne connaitraient pas cette série télévisée d’animation française, nous vous invitons, sans délai, à consulter sur les archives de l’INA. Les Shadoks sont une série qui relate les mésaventures de créatures anthropomorphes à l’apparence d’oiseaux rondouillards disposant pour tout vocabulaire de quatre mots monosyllabiques. Au fil des épisodes, ces êtres construisent des machines improbables qui ne fonctionnent pas, destinés à rejoindre la terre. Toutes ces machines obligent nos Shadocks à consacrer leur vie à pomper, la plupart du temps dans le vide.

Les Shadoks ont, cependant, comme antagonistes les Gibis, êtres bien supérieurs qui, par pitié, aident parfois les Shadoks dans leur entreprise (partagée par les Gibis) de rejoindre la terre.

Les créanciers à la procédure collective s’apparentent à ces Shadoks qui, tout en redoublant d’effort, dans leur entreprise qui n’est pas ici de rejoindre la terre mais d’être payés de leur créance, se retrouvent souvent tout aussi malheureux que démunis. Heureusement, le Gibi, Cour de Cassation, est parfois là pour lui montrer le chemin de la terre promise, enfin presque …

II –

C’est l’histoire, trop souvent racontée d’un créancier qui a régulièrement déclaré sa créance au passif de la procédure collective de son débiteur, laquelle créance n’a pas été contestée, ni déclarée irrecevable, ni fait l’objet d’une constatation d’instance en cours ayant pour effet de transférer à une autre Juridiction la fixation de sa créance au passif de la procédure collective et avait donc toute certitude d’apparaître sur la liste des créances prévues à l’article L.624-1 du Code de Commerce. Et c’est sur la base de cette liste que le plan de redressement par voie de continuation du débiteur est admis et payé jusqu’à son terme.

Mais voilà ; notre créancier Shadok découvre une décision de la Juridiction Consulaire ayant adopté le plan de redressement par voie de continuation, constatant l’extinction du plan de redressement par apurement des dettes moratoriées. Pour autant, notre créancier n’a jamais été payé. Il décide de mener son enquête.

Celle-ci le conduit tout droit à la liste de l’état des créances qui mentionne, à tort, que sa créance fait l’objet d’une instance en cours, dont le montant est à fixer par la Juridiction prétendument saisie de la difficulté, alors qu’elle aurait dû y apparaître comme définitivement admise et donc payée avec le plan.

Notre Shadok décide donc de faire tierce opposition contre le Jugement constatant l’extinction du passif moratorié, puisque précisément sa créance n’a pas été remboursée. Las ! la Cour d’Appel de PARIS le déclare irrecevable au motif qu’une telle décision est une mesure d’administration insusceptible de recours. C’est là qu’intervient notre Gibi Cassation qui, par une première décision du 08 septembre 2015[1], juge que la décision par laquelle le Tribunal constate la bonne exécution par le débiteur d’un plan de redressement judiciaire est susceptible d’affecter les droits des créanciers, de sorte qu’elle ne peut être qualifiée de mesure d’administration judiciaire.

L’Arrêt est donc cassé et notre Shadok se retrouve devant la Cour d’Appel de renvoi, espérant, cette fois, atteindre le paradis des créanciers qui, comme chacun le sait, leur permet d’être systématiquement payés de leur créance … pour autant qu’ils l’aient déclarées.

Las ! une fois encore, la méchante Cour d’Appel de PARIS, dans un Jugement du 10 novembre 2020, les déclare, à nouveau irrecevables au motif, cette fois, de la tardiveté de la tierce opposition à l’encontre de ladite décision.

Mais voilà à nouveau notre Gibi au secours de notre Shadok qui corrige sa machine destinée à essayer de récupérer son argent à l’aide d’une prose qu’il convient de citer, tant elle suscite l’émotion par sa lecture :

« Il résulte de l’article L. 621-79 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, que le plan de continuation doit prévoir le règlement de toutes les créances déclarées, même si elles sont contestées. Il en résulte que, lorsque le plan est arrivé à son terme, les créances déclarées qui n’ont pas été inscrites au plan peuvent être recouvrées par l’exercice, par le créancier, de son droit de poursuite individuelle. Par conséquent, doit être approuvée la cour d’appel qui, après avoir relevé, d’une part, que les jugements ayant arrêté puis modifié le plan de continuation, devenus irrévocables, ne pouvaient plus être remis en cause, d’autre part, que la procédure de vérification des créances n’était pas allée jusqu’à son terme, retient que le jugement constatant la bonne exécution du plan n’a pas affecté les droits, pour les créanciers ayant déclaré leurs créances sans que celles-ci aient été inscrites au plan, de faire reconnaître ces dernières et de les faire payer, de sorte qu’est irrecevable, faute d’intérêt, la tierce opposition formée par ces créanciers contre ce dernier jugement ».

Nos Gibis viennent de transformer une machine qui perd (rejet du pourvoi) en une machine qui gagne (possibilité de recouvrer sa créance malgré un Jugement constatant l’apurement du passif). Que doit comprendre notre malheureux Shadok ?

  • En premier lieu, il doit toujours avoir déclaré sa créance au passif de la procédure collective de son débiteur dans les formes et délais prévus par la loi ;
  • En second lieu, il devra être patient, puisque même si toutes les créances déclarées à une procédure collective doivent être soumises au plan de continuation[2], l’absence de sa créance déclarée, pour des raisons indépendantes de sa volonté, c’est-à-dire qui ne lui sont pas imputables, a pour effet de maintenir la suspension des poursuites individuelles[3], laquelle ne prend fin qu’une fois le plan arrivé à son terme.
  • En troisième lieu, et c’est tout l’intérêt de la décision commentée, que se passe-t-il   lorsque le plan est arrivé à son terme ? les créances déclarées qui n’ont pas été inscrites peuvent-elles être recouvrées par le titulaire sans formalité préalable ? Le théorème semble facile à apprendre, mais plus difficile à mettre en application. En effet, s’agissant d’un droit prétorien (autrement appelé conseil de Gibi) le chemin pour parvenir à l’admission de la créance du créancier, Shadok n’est pas nécessairement balisé par le Code de Commerce. Il faut vraisemblablement s’inspirer du dispositif posé à l’article L.643-11 du Code de Commerce sur la reprise du droit de poursuite des créanciers après la clôture des opérations de liquidation judiciaire qui devrait consister à saisir le Président du Tribunal de Commerce lequel, normalement, statue par Ordonnance après avoir dûment appelé le débiteur à l’ancienne procédure collective. La décision à intervenir aura une double qualité, savoir : (i) elle vaudra admission de la créance au passif de la procédure collective puisque, sans nul doute, la créance ne figure pas sur la liste des créances admises et (ii) vaudra titre exécutoire puisque l’Ordonnance condamnera le débiteur à payer.

Avis aux créanciers Shadoks, qui imbus de leur présomption, imagineraient disposer d’un titre exécutoire de par la loi (administration fiscale et sociale), à raison d’une dette constatée dans un acte notarié ou même d’une précédente décision de justice ayant force de chose jugée. Ces titres n’ont aucune valeur sur la planète des Shadoks. Seule l’Ordonnance constatant l’admission de la créance précédemment déclarée au passif de la procédure collective et la condamnation du débiteur au paiement de cette somme vaut titre exécutoire.

Toute tentative de saisie attribution qui ne respecterait pas ce formalisme serait vouée à l’échec.

III –

Pour aller plus loin, on peut ajouter que cette situation doit être examinée sous un angle différent depuis l’Ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 qui, par son article L.626-10 du Code de Commerce, autorise la conception d’un plan de redressement par voie de continuation en ne prenant en compte que les créances non contestées. Et pour le coup, cette possibilité, assez logique au demeurant, d’organiser un moratoire sur les seules créances admises par le débiteur ou judiciairement par une décision définitive à la date à laquelle est arrêté le plan de redressement, prend tout son sens pour le débiteur, ce qui n’est pas le cas pour notre créancier Shadok dont la situation va encore se complexifier …

En effet, aux créanciers dont la créance non contestée n’apparaît pas sur l’état des créances déclarées, vont s’ajouter tous les créanciers dont la créance n’était pas définitivement admise à la date de l’adoption du plan, mais qui vont faire l’objet d’une admission postérieure, celles admises par une Juridiction du second degré ayant infirmé la décision des Juridictions Consulaires rejetant la créance déclarée, et celles dont la fixation au passif a été ordonnée par une Juridiction autre que la Juridiction Consulaire et postérieurement à l’adoption du plan.

Notre créancier Shadok se retrouvera dans la même situation que celle commentée. Il devra attendre son tour, c’est-à-dire l’extinction du passif moratorié pour pouvoir exercer son droit de poursuite individuel contre le débiteur.

De la même manière, il devra solliciter et obtenir du Président du Tribunal de Commerce ayant traité la procédure collective, un titre exécutoire.

Alors Mesdames et Messieurs les créanciers, vous savez ce qu’il vous reste à faire dans de telles situations : pompez !

Eric DELFLY

VIVALDI-AVOCATS


[1] Cass. Com. 08 septembre 2015 n° 14-11.993 publié au Bulletin

[2] Cass. Com. 18 mai 2022 n° 19-25.796

[3] Cass. Com. 29 avril 2014 n° 12-24.628

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