Source : Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 17 novembre 2021, 20-20.965, Inédit

Dans un arrêt rendu le 17 novembre 2021, la Cour de cassation condamne, sur le fondement de l’abus de droit, les auteurs d’une offre d’achat qui avaient assigné le propriétaire en vente forcée dès lors que, manifestement, la vente n’était pas parfaite, le propriétaire n’ayant jamais accepté la proposition d’achat dans le délai requis.

Cette décision peut paraître sévère de prime abord puisque le demandeur au pourvoi a été condamné à verser au défendeur une somme de 20.000 € à titre de dommages-intérêts mais à la lecture des faits et du déroulement de la procédure, il apparait que l’action de l’offrant était manifestement vouée à l’échec et que celui-ci s’était obstiné en interjetant appel du premier jugement qui l’avait totalement débouté alors même que, juridiquement, la vente forcée ne pouvait pas être ordonnée.

I.

Il s’agissait d’un couple ayant fait une proposition d’achat sur une propriété et son mobilier.

Considérant qu’un accord avait été passé, ces derniers ont assigné les propriétaires en vente forcée et paiement de dommages-intérêts.

En 1ère instance ainsi qu’en appel, leurs demandes sont rejetées dans la mesure où l’offre n’a pas été acceptée dans le délai relativement court qu’ils avaient eux-mêmes fixés.

Au-delà de cela, les propriétaires avaient plus tard reconnu par mail que les parties se trouvaient en phase de négociation précontractuelle.

Dans le cadre de ces négociations, les offrants étaient revenus sur leur offre initiale non acceptée.

Cette seconde offre n’a toujours pas été acceptée par les propriétaires qui ont fini par rompre toutes négociations.

II.

C’est donc très logiquement que les juges de la Cour de cassation en ont déduit « Mme [I] n’avait jamais émis, même de manière implicite ou ambiguë, la volonté d’accepter l’offre d’achat du 16 août 2015 et que la modification de l’offre par M. et Mme [T] démontrait bien qu’il n’y avait jamais eu d’accord sur la chose et sur le prix ».

Cette décision est conforme aux dispositions de l’article 1583 du Code civil : « Elle [la vente] est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé ».

En l’espèce, il ne pouvait y avoir accord sur la chose et sur le prix dès lors que l’offre d’achat n’a jamais été expressément acceptée par les propriétaires.

Si l’acceptation peut résulter d’une déclaration ou d’un comportement non équivoque de son auteur, en revanche, en principe, le silence ne vaut pas acceptation.[1]

Il en aurait été tout autrement si les vendeurs avaient accepté l’offre initiale.

III.

Pour justifier la condamnation des demandeurs au paiement de dommages-intérêts pour abus de droit d’ester en justice, la Cour de cassation confirme la motivation de l’arrêt rendu par la Cour d’Appel qui mérite d’être repise in extenso :

« La cour d’appel, qui a retenu, par motifs propres, que le recours avait été formé en appel par M. et Mme [T], en pleine connaissance du caractère manifestement voué à l’échec de leurs prétentions, que cette persistance à maintenir des demandes juridiquement insoutenables ne pouvait exprimer qu’une intention de nuire à l’intimée en exerçant sur elle des pressions notamment par l’insinuation de tentative de fraude fiscale et en abusant de la générosité dont elle avait fait preuve en mettant gracieusement à leur disposition, pendant les vacances, la propriété litigieuse pour en tirer des arguments fallacieux en faveur de leur thèse, a procédé à la recherche prétendument omise, en retenant, par motifs adoptés, que M. et Mme [T] ayant modifié au cours de l’instance leur offre du 16 août 2015, cette modification démontrait l’absence d’accord sur la chose et le prix entre les parties, de sorte que leur moyen ne pouvait être sérieux. »

Ce sont donc les circonstances très précises de fait qui ont motivé la Cour de cassation à confirmer l’arrêt de la Cour d’appel.

Il faut bien reconnaître que les procédures en vente forcée sont parfois mises en œuvre sans motif sérieux afin de faire pression sur le propriétaire, notamment en entravant de cette manière la vente effective de son bien, toute action judiciaire étant susceptible de dissuader tout acquéreur sérieux intéressé par l’acquisition de l’immeuble.

Au regard de cette décision, toute action en vente forcée devra être murement réfléchie pour ne pas dégénérer en abus de droit et s’exposer à une condamnation en paiement de dommages-intérêts.

[1] Articles 1113 et 1120 du Code civil

Amandine ROGLIN

Avocat au Barreau de Lille

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