Traitement des micro-pratiques anti-concurrentielles, l’arrangement à la place d’un procès

Thomas Chinaglia

La Cour de cassation précise que, dans le cadre d’une micro-pratique anticoncurrentielle, la saisine de l’Autorité de la concurrence par la DGCCRF intervient in rem, de sorte que l’Autorité n’est pas liée par l’analyse préalable de la DGCCRF. Elle admet également que cette dernière peut proposer une transaction à une personne morale isolée au sein d’un groupe, afin de respecter sa compétence en matière de micro-PAC.

Cette décision renforce la coordination entre les deux institutions et incite les entreprises à privilégier la transaction devant la DGCCRF pour éviter des sanctions plus lourdes.

Com. 24 sept. 2025, FS-B, n° 23-13.733

I –

L’arrêt du 24 septembre rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation apporte des enseignements importants sur la procédure applicable aux micro-pratiques anticoncurrentielles (micro-PAC) et sur l’articulation entre la DGCCRF et l’Autorité de la concurrence.

En l’espèce, une société avait participé à un appel d’offres public en coordonnant certaines informations avec un concurrent, ce que la DGCCRF a analysé comme une entente. Après que la société a refusé la transaction proposée, la DGCCRF a saisi l’Autorité de la concurrence, qui a condamné non seulement la société concernée, mais aussi ses sociétés mères. La Cour de cassation a confirmé cette décision et en a profité pour clarifier la procédure applicable :

  • la saisine de l’Autorité est in rem, c’est-à-dire qu’elle se fait indépendamment de l’appréciation juridique initiale de la DGCCRF ;
  • la régularité de la saisine est appréciée de manière souple, ce qui facilite l’articulation entre les actions du ministre de l’Économie et celles de l’Autorité.

Cette décision illustre à la fois l’importance de la coordination entre les deux institutions et la portée pratique du traitement des micro-PAC, incitant les entreprises à considérer attentivement les offres de transaction pour éviter des sanctions étendues.

II –

En cas de refus d’une transaction proposée par la DGCCRF, celle-ci saisit l’Autorité de la concurrence in rem, ce qui confère à cette dernière une large marge d’appréciation sur l’ensemble de la situation. Cette procédure vise à éviter de surcharger l’Autorité avec des affaires de faible ampleur : la DGCCRF peut traiter directement les micro-pratiques anticoncurrentielles lorsque le chiffre d’affaires des entreprises concernées ne dépasse pas certains seuils (50 millions d’euros pour chaque entreprise, 200 millions d’euros cumulés).

Avant de commencer ses investigations et après leur achèvement, la DGCCRF doit informer l’Autorité, afin de lui permettre de se saisir de l’affaire si nécessaire. Lorsqu’elle n’est pas dessaisie, la DGCCRF dispose de deux moyens pour rétablir la concurrence : l’injonction de cesser les pratiques et la proposition de transaction. Si l’entreprise accepte, les poursuites s’arrêtent et la sanction pécuniaire est plafonnée entre 150 000 € et 5 % du chiffre d’affaires en France. En cas de refus, la DGCCRF doit saisir l’Autorité.

La chambre commerciale a clarifié que cette saisine est in rem, ce qui signifie que l’Autorité n’est pas liée par l’analyse ou les imputations de la DGCCRF. Elle peut confirmer ou infirmer l’existence d’une pratique anticoncurrentielle et déterminer librement les auteurs de l’infraction, même au-delà des personnes morales visées dans la transaction initiale. Cette décision souligne la portée considérable de la saisine in rem et le rôle central de l’Autorité dans l’appréciation finale des faits et de leurs auteurs.

La chambre commerciale a clarifié l’étendue de la saisine in rem de l’Autorité de la concurrence, qui fonde ses larges pouvoirs dans le cadre des micro-pratiques anticoncurrentielles (micro-PAC). Les textes législatifs sur l’articulation entre la DGCCRF et l’Autorité (articles L. 462-5 et L. 464-9 du code de commerce) restent peu précis, laissant planer l’hypothèse d’une saisine variable selon le contexte :

  • lorsque l’Autorité est saisie par le ministre avant toute évaluation, elle est incontestablement in rem, libre de qualifier les faits et d’identifier les auteurs de l’infraction ;
  • lorsque la saisine suit un refus de transaction, la DGCCRF a déjà effectué un travail préparatoire identifiant la pratique et les entreprises concernées, ce qui aurait pu justifier une saisine plus restreinte (in personam).

La chambre commerciale a écarté cette thèse et confirmé que la saisine demeure in rem, même après le refus de transaction. L’Autorité peut ainsi étendre la responsabilité à d’autres sociétés que celles initialement ciblées par la DGCCRF, comme cela a été le cas pour Santerne et ses sociétés mères.

Cette solution confère à l’Autorité une liberté considérable pour apprécier les faits et les imputations, mais repose sur une conception de l’entreprise à « géométrie variable » qui facilite la régularité de sa saisine tout en brouillant quelque peu la distinction entre l’évaluation préparatoire de la DGCCRF et l’action de l’Autorité.

III –

La chambre commerciale a validé la saisine in rem de l’Autorité de la concurrence, permettant d’imputer la pratique anticoncurrentielle non seulement à la filiale ayant commis l’infraction, mais également à ses sociétés mères. Cette solution, bien que favorable à l’efficacité de la répression, repose sur une conception de l’entreprise à « géométrie variable » qui confond la notion de personne morale et celle d’unité économique, créant un risque de recours excessif à la transaction. En l’espèce, la DGCCRF avait proposé une transaction à la seule filiale Santerne, alors que l’unité économique dont elle faisait partie dépassait les seuils de chiffre d’affaires prévus pour les micro-pratiques anticoncurrentielles, ce qui aurait normalement limité sa compétence. L’Autorité, saisie in rem, a néanmoins étendu la responsabilité à l’ensemble de l’unité économique, validant indirectement cette approche.

Cette pratique crée une tension importante pour les entreprises. Celles qui sont conscientes d’avoir commis une infraction peuvent être incitées à accepter la transaction proposée par la DGCCRF pour éviter des sanctions plus lourdes, tandis que celles de bonne foi, souhaitant contester l’infraction, se retrouvent dans une position délicate : refuser la transaction les expose à des poursuites étendues, alors qu’accepter peut limiter leur droit de défense et les conduire à régler une somme modique malgré l’absence de responsabilité avérée.

La décision illustre ainsi les difficultés générées par l’articulation entre la DGCCRF et l’Autorité et souligne la nécessité de respecter strictement les conditions de compétence prévues par la loi. Pour éviter toute manipulation procédurale et le risque de chantage à la transaction, il serait préférable de cantonner la procédure des micro-PAC aux seules hypothèses dans lesquelles l’unité économique concernée, et non seulement une personne morale isolée, respecte les seuils de chiffre d’affaires fixés par l’article L. 464-9 du code de commerce.

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