Réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives : Chapitre IV – Le redressement judiciaire

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

 

Sources : Ord. n° 2014-326 du 12 mars 2014 JO 14 mars 2014 Rapp. président de la République JO 14 mars 2014

 

I – Ouverture et déroulement du redressement judiciaire

 

Art L. 631-3-1 nouveau

 

Après l’article L. 631-3 du Code de commerce, il est inséré un article L. 631-3-1, selon lequel “lorsqu’il est porté à la connaissance du président du tribunal, des éléments faisant apparaître que le débiteur est en état de cessation des paiements, il en informe le ministère public par une note exposant de façon neutre les faits objectifs de nature à motiver la saisine du tribunal”.

 

La même formule se retrouve en liquidation judiciaire, avec, après l’article L. 640-3 , l’insertion d’un nouvel article L. 640-3-1 rédigé de la même manière (avec toutefois en plus la référence à l’article L. 640-1 relatif à la double condition nécessaire pour ouvrir une liquidation judiciaire : état de cessation des paiements et redressement manifestement impossible).

 

Art L631-4 et L631-5 modifiés

 

Pour tenir compte de la décision n° 2012-286 QPC du 7 décembre 2012, du Conseil constitutionnel qui a déclaré contraire à la constitution la possibilité pour le tribunal de se saisir d’office d’une ouverture d’une procédure collective ou d’une extension de la procédure ouverte au bénéfice du débiteur contre des entités en relation capitalistique avec lui, le mot « se saisir d’office »  est supprimé du texte.

 

En d’autres termes le tribunal ne peut plus se saisir d’office de son mouvement d’affaire que ce soit pour l’ouverture ou l’extension de la procédure collective.

 

Art L. 631-8 modifié

 

Le projet envisageait d’ajouter le texte ci-après : « le tribunal fixe la date de cessation des paiements ». L’ordonnance a oté cette adjonction, ce qui regrettable puisque les incidences du report de la date de cessation des paiements sont mal maitrisées par le débiteur, et parfois même par ses conseils.

 

On relèvera toutefois que la Cour de cassation juge que le tribunal qui examine une demande de sanction personnelle ou patrimoniale contre le débiteur n’est pas tenu par la date de cessation des paiement initialement retenue. En d’autres termes, dans les procédures de sanction, il appartient à la juridiction saisie de fixer sa propre date de cessation des paiements. [1]

  

Le gouvernement a en définitive étendu la possibilité pour le tribunal de reporter la date de cessation des paiements à la sauvegarde accélérée (L628-1 et suivants)

 

Art L. 631-9 modifié

 

Le débiteur en redressement peut désormais, comme en sauvegarde, suggérer au tribunal le nom d’un administrateur.

 

A l’inverse, le ministère public ne peut plus proposer le nom d’un mandataire de justice.

 

Quant au créancier poursuivant, il peut suggérer le nom d’un mandataire de justice.

 

Art L. 631-9-1 nouveau

 

Autre pierre dans le jardin de la cession forcée de l’entreprise, le tribunal, par ce texte nouveau peut, à la demande de l’administrateur et lorsque les capitaux propres sont inférieurs à la moitié du capital social ou qu’il a été ordonné une augmentation de capital en faveur de personnes qui se sont engagées à exécuter le plan, désigner « un mandataire chargé de convoquer l’assemblée compétente et de voter à la place du ou des associés ou actionnaires opposants lorsque le projet de plan prévoit, en faveur d’une ou plusieurs personnes qui s’engagent à respecter le plan, une modification du capital ou des cessions de parts sociales, de titres de capital ou de valeurs mobilières donnant accès au capital ».

 

Rappelons à cet égard que l’article 1844 du Code civil dispose que tout associé a le droit de participer aux décisions collectives. La Cour de cassation dans son arrêt d’HEM [2]  sanctionne pour ce motif une assemblée générale excluant un associé qui n’avait pas pu participer à la délibération ayant conduit à son exclusion au motif que les dispositions statutaires privaient de droit de vote l’associé menacé d’exclusion.

 

Il est difficile de ne pas faire un rapprochement de cette jurisprudence avec cette modification de texte qui, en substituant un administrateur aux associés les prive sans nul doute de leur droit de vote.

 

Certes, dans les hypothèses d’abus d’égalité / minorité la Cour de cassation a-t-elle autorisé la désignation d’un mandataire ad hoc à l’effet de se substituer à l’associé dont l’abus est sanctionné, mais le mandataire ad hoc reste libre de son vote.

 

Ici l’administrateur est désigné, et le sens du vote lui est donné.

 

La constitutionalité de cette modification pourrait être discutée au regard de l’article 17 de la DDHC, mais également de l’article 1er du protocole additionnel de la CESDH. QPC à suivre donc.

 

Art L. 631-14 modifié

 

Le texte maintien la possibilité pour l’administrateur judiciaire de négocier des délais de paiement avec les créanciers, après s’être assuré qu’il disposera des fonds nécessaires au regard des documents prévisionnels.

 

Art L. 631-19 modifié

 

Instaurant une véritable révolution, le texte modifié dispose qu’en cas de modification du capital social ou de cession des droits sociaux prévue dans le projet de plan ou dans le plan, les clauses d’agrément (à la différence de la procédure de sauvegarde) sont réputées non écrites.

 

Cette neutralisation des clauses d’agrément est faite en contrariété avec une jurisprudence constante de la Cour de cassation [3] , qui jugeait, a propos de la loi de 1985, que « L’administrateur de la procédure collective, chargé de passer tous les actes nécessaires à la réalisation de la cession de l’entreprise du débiteur, s’il doit, en vertu du plan de cession, vendre les actions d’une société détenues par ce dernier, est tenu de respecter la clause des statuts de la société imposant l’agrément préalable du conseil d’administration. »

 

On peut là encore se demander si la neutralisation des dispositions statutaires est bien conforme à la DDHC et à la CESDH.

 

Art L. 631-22 modifié

 

L’ancien texte ainsi rédigé « à la demande de l’administrateur, le tribunal peut ordonner la cession totale ou partielle de l’entreprise si le débiteur est dans l’impossibilité d’en assurer lui-même le redressement » est désormais réécrit comme suit : « à la demande de l’administrateur, le tribunal peut ordonner la cession totale ou partielle de l’entreprise si le ou les plans proposés apparaissent manifestement insusceptibles de permettre le redressement de l’entreprise ou en l’absence d’un tel plan ».

 

II – Nullité de certains actes

 

Art L. 632-1 modifié

 

Rentre désormais dans le cadre des nullités de plein droit (alinéa 12) « la déclaration d’insaisissabilité faite par le débiteur en application de l’article L. 526-1 » faite en période suspecte.

 

Ces modifications sont plus que bienvenues et permettront à la procédure collective de régler le sort des immeubles déclarés insaisissables préalablement à l’ouverture d’une procédure collective.

 

Or sur ce point la jurisprudence, ferme mais incompréhensible de la Cour de cassation, ne permet pas au mandataire judiciaire d’appréhender un immeuble objet d’une déclaration d’insaisissabilité, alors même qu’une partie des créances déclarées au passif de la procédure collective est née antérieurement à la déclaration d’insaisissabilité [4]. 

 

Ces dispositions entrent en vigueur pour les procédures ouvertes à partir du 1er juillet 2014.

 

Eric DELFLY

Vivaldi-Avocats


[1]Cass com., 31 mai 2011, n°10-17684.

[2]Cass com., 23 octobre 2007, n°06-16537

[3] Cass.com, 31 janvier 1995, n°91-20735, Bull civ IV n°31

[4] Cf article vivaldi chronos Le banquier, son client en procédure collective, son immeuble frappé d’insaisissabilité : la « valse à deux temps » 

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