Qu’est-ce que vaut une étude d’administrateur judiciaire ?

Frédéric VAUVILLÉ
Frédéric VAUVILLÉ

 

 

SOURCE : 1ère civ, 28 mai 2014, n°13-14884, Publié au Bulletin

 

Deux époux mariés le 7 février 1975 sous le régime légal divorcent le 10 avril 2007.

 

L’épouse fait grief à l’arrêt d’appel, statuant sur les difficultés nées de la liquidation du régime matrimonial, de confirmer le jugement en ce qu’il a dit que l’étude d’administrateur judiciaire de son mari est dépourvue de caractère patrimonial et par conséquent ne doit pas figurer à la masse active de la communauté et en ce qu’il l’a déboutée de sa demande afférente aux produits de l’étude ; elle soutient que 1°/ l’absence de droit de présentation et de clientèle attachés à la fonction d’administrateur ne suffit pas à exclure toute valeur patrimoniale de l’étude d’administrateur et qu’en déduisant de cette seule absence que l’étude ne constituait pas un élément d’actif de la communauté, la cour d’appel a violé les articles 815 et suivants du code civil, ainsi que les articles 1401 et suivants du même code ;

 

2°/ que la cour d’appel a constaté que l’administrateur peut exercer d’autres missions que celles confiées par la juridiction et que cela génère pour l’étude un revenu supplémentaire, ainsi d’ailleurs que l’établissent les comptes d’exploitation qui font apparaître une rubrique « divers mandats » avec un solde de 96 182 euros au 31 décembre 2003, de 35 351 euros au 31 décembre 2004 et de 71 361 euros au 31 décembre 2006, et qu’en s’abstenant de tirer les conséquences légales de ses constatations d’où résultait une patrimonialité de l’étude faisant de celle-ci un élément d’actif de la communauté, la cour d’appel a violé les articles 815 et suivants du code civil, ainsi que les articles 1401 et suivants du même code ;3°/ qu’à supposer même que l’étude litigieuse soit dépourvue de valeur patrimoniale, elle n’en constitue pas moins un bien commun dont les fruits et revenus, conformément à l’article 815-10, alinéa 2, du code civil, accroissent à l’indivision et qu’en décidant du contraire, la cour d’appel a violé cette dernière disposition, ensemble l’article 1401 du code civil.

 

Le pourvoi de la femme sera rejeté : attendu qu’ayant retenu à bon droit que les tâches à accomplir par un administrateur judiciaire ne constituent que l’exécution de mandats de justice, conformément à l’article L. 811-1, alinéa 1er, du code de commerce, et qu’il n’existe pas de droit de présentation et de clientèle attachés à la fonction, peu important son exercice à titre individuel ou sous forme de société, quelle qu’en soit la forme, et peu important l’accomplissement par l’administrateur de missions limitativement énumérées et qualifiées d’accessoires par l’article L. 811-10, alinéa 3, du même code, la cour d’appel en a exactement déduit que l’étude de M. X… ne représentait pas une valeur patrimoniale devant être inscrite à l’actif de la communauté et, partant, ayant généré des fruits et revenus pour l’indivision post-communautaire.

 

Qu’est-ce que vaut une étude d’administrateur judiciaire ? Rien répond la Cour de cassation. La solution n’étonnera pas les initiés (1) même si elle crée une curieuse disparité au sein des professionnels libéraux qui divorcent (2).

 

1- Ce n’est pas la première fois que l’on se demande en jurisprudence ce que vaut une étude d’administrateur judiciaire. La question s’est posée il y a quelques années à propos d’un syndic qui s’était engagé à céder sa charge et à ne plus accepter sa désignation comme syndic dès l’inscription de son successeur. La Cour répondra au visa de l’article 1128 du Code civil relative aux choses hors commerce que « les tâches à accomplir par les syndics et administrateurs judiciaires ne constituent que l’exécution de mandats de justice, qui ne sont pas des choses dans le commerce et ne peuvent pas faire l’objet d’une convention ; qu’en l’absence de tout droit de présentation prévu par les textes et à défaut de clientèle attachée aux fonctions de syndic ou d’administrateur judiciaire toute personne… peut obtenir son inscription sur la liste de la Cour d’appel et avoir ainsi vocation à être désignée comme syndic ou administrateur judiciaire, sans avoir à faire l’objet d’une présentation au tribunal de commerce » (civ.1ère 20 mars 1984 D. 20 mars 1986 note D. Carbonnier).

 

La solution a été présentée comme traditionnelle et remontant au XIX siècle : administrateurs et mandataires « ne sont pas des fonctionnaires publics et pas davantage des officiers ministériels. Ils n’ont aucune charge et donc aucun droit de présentation. Il s’agit donc d’auxiliaires de justice » (Les  mandataires de justice par B. Soinne litec n° 160). De ce point de vue, l’arrêt du 28 mai n’étonne donc pas, même si l’on note qu’il ne vise plus l’article 1128.

 

On soulignera tout de même l’argument de l’épouse invoquant « d’autres missions que celles confiées par la juridiction », ce que prévoit en effet l’article L 811-10 du code de commerce qui vise l’activité de consultation, de liquidateur amiable, d’expert judiciaire et de séquestre amiable ou judiciaire, tout en précisant qu’elles « ne peuvent être exercées qu’à titre accessoire ». Selon la Cour de cassation, « peu importe », comme si l’absence de patrimonialité du principal imposait celle de l’accessoire.

 

Il n’en reste pas moins que selon les meilleurs auteurs, les professionnels concernés sont des professionnels libéraux et exploitent une entreprise (sur cette approche voir B. Soine précité n° 160).  En cas de divorce, ce ne sont toutefois par des professionnels libéraux comme les autres.

 

2- Soit un professionnel libéral commun en biens qui divorce et qui naturellement continue d’exercer son activité durant la procédure de divorce et la procédure de liquidation, bref, durant l’indivision post-communautaire qui peut durer plus ou moins longtemps.

 

Si en cas de divorce contentieux, le divorce produira en principe effet dans les rapports entre époux au jour de l’ordonnance de non-conciliation, le fonds libéral figurera dans la masse indivise et verra le cas échéant sa valeur augmenter si durant la procédure, le professionnel développe sa clientèle.

 

Si au jour de l’ONC, la clientèle vaut 80 mais 100 au jour du partage, c’est cette somme de 100 qu’il faudra faire figurer à l’actif.

 

On sait ainsi que par un arrêt du 12 janvier 1994, il a été jugé à propos d’un chirurgien-dentiste, que le droit de présentation constitue une valeur patrimoniale qui doit être portée à l’actif de la communauté et estimée au jour du partage et que l’indivision post-communautaire s’accroit de la plus-value de cet élément, sous réserve de l’attribution à l’indivisaire gérant de la rémunération de son travail, conformément à l’article 815-12 du Code civil (Cass. 1ère civ. 12 janvier 1994, Bull. civ. I, n° 10. D. 1994, page 311 note R. Cabrillac).

 

La consécration en jurisprudence du fonds libéral n’y a rien changé ; ainsi, dans un arrêt du 2 mai 2001, a t-il été jugé, à propos d’un médecin, que « la clientèle d’un époux exerçant une profession libérale, de même que les matériels et les locaux, l’ensemble formant un fonds d’exercice libéral, doivent être portés à l’actif de la communauté pour leur valeur patrimoniale estimée au jour du partage ; il en résulte que l’indivision post-communautaire s’accroit de la plus-value de cette clientèle sous réserve de l’attribution à l’indivisaire gérant de la rémunération de son travail, conformément à l’article 815-12 du Code civil » (RJPF 2001-11/33 note Vauvillé ; adde toujours à propos d’un médecin : Cass. civ. 1ère 19 fév. 2002 RJPF 2002-5/25 note Vauvillé).

 

Ce n’est pas tout : S’agissant des revenus tirés de l’exercice de l’activité libérale, il faut également faire jouer le droit de l’indivision et en particulier l’article 815-10 du Code civil qui prévoit que les fruits et les revenus des biens indivis accroissent à l’indivision.

 

La Cour de cassation en a déduit hier à titre d’exemple que la valeur des parts d’une SCP titulaire d’une charge d’huissier constituant un bien dépendant de la communauté, une cour d’appel en a justement déduit que les fruits et revenus de ce bien perçus par le mari en sa qualité d’associé pendant l’indivision avaient accru à l’indivision (Civ. 1ère 10 février 1998, Bull. civ. I, n° 47). Bref, les bénéfices comme les plus-values ont vocation à tomber dans la masse indivise et en conséquence à être partagés par moitié.

 

Reste à tenir compte comme le dit la Cour de cassation de l’attribution à l’indivisaire gérant de la rémunération de son travail conformément à l’article 815-12 du Code civil qui prévoit que l’indivisaire qui gère un bien indivis a droit à la rémunération de son activité.

 

Si l’on raisonne concrètement, on a le sentiment que sur un plan mathématique, les opérations s’annulent. En effet, si par exemple, l’on ajoute 100 à la masse indivise au titre des bénéfices nets et si l’on déduit la même somme au titre de la rémunération, il s‘avère que les deux opérations finalement s’annulent. Encore faut-il que la rémunération soit égale aux bénéfices nets de l’exploitation.

 

En pratique, les juges du fond semblent admettre que le montant de l’indemnité est similaire à celui des bénéfices perçus par l’indivisaire pendant la période d’indivision (Pau, 9 nov . 1993, RG n°93/4185 ; TGI LYON 8 janv. 2004 RG n° 02/02541). Il doit donc y avoir en l’espèce deux mouvements de valeurs qui s’annulent.

 

Seule cette solution répond à l’impératif d’équité qui impose de reconnaitre une indemnité de gestion, puisque les revenus professionnels de l’autre époux, par exemple salarié, sont évidemment hors indivision. De plus, n’est-ce pas cohérent de mettre fin à la logique de partage qui anime le régime de communauté, plutôt que de la maintenir par le biais des règles de l’indivision ?

 

Cette délicate question ne se posera pas en l’espèce : en l’absence de fonds libéral, les revenus ne sauraient tomber dans l’indivision ; ils resteront donc personnels au professionnel qui n’aura pas à se demander si le juge acceptera de compenser ses revenus (au demeurant largement en tête de ceux que perçoivent les professionnels dit réglementés : v. le fameux rapport de l’IGF) et son indemnité d’indivisaire gérant.

 

Frédéric Vauvillé

Professeur à l’Université de Lille-II

Conseiller scientifique du Cridon Nord-Est

Avocat associé au barreau de Lille

Vivaldi-Avocats

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