La législation française relative à la réduction de prix est-elle conforme au droit européen ?

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

 

SOURCE : Cass crim, 9 septembre 2014, n°13-85927

 

La directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil («directive sur les pratiques commerciales déloyales») a été adoptée 11 mai 2005 afin d’uniformiser les législations des Etats membres en matière de pratiques commerciales déloyales vis-à-vis des consommateurs, législations dont les distinctions pouvaient entrainer des distorsions sensibles de concurrence et faire obstacle au bon fonctionnement du marché intérieur [1]

 

Elle définit en ses articles 5 à 9 les pratiques déloyales, trompeuses et agressives, devant être sanctionnées par les états membres. Ce dispositif est complété en annexe par une liste exhaustive de pratiques réputées déloyales. Par conséquent, une pratique commerciale ne peut être sanctionnée par les juridictions des Etats membres qu’au regard de la liste de pratique ou par une analyse individuelle du caractère «déloyal» de la pratique par référence aux dispositions des articles 5 à 9 de la directive.

 

En effet, aux termes de l’article 4 de la directive, cette appréciation est obligatoire, et aucune législation d’un Etat membre, même plus protectrice des intérêts du consommateur, ne peut prévoir de mesures plus restrictives que celles définies par la directive[2].

 

Il ressort de plusieurs décisions de la Cour de justice que le régime des réductions de prix est régi par les dispositions de la directive :

 

Selon l’ordonnance WAMO du 30 juin 2010[3], « la directive sur les pratiques commerciales déloyales (…) s’oppose à une disposition nationale, (…) qui prévoit une interdiction générale des annonces de réduction de prix (…) »

 

Selon la décision INNO du 15 décembre 2011[4] « les annonces de réduction de prix et celles suggérant une telle réduction, (…) constituent des pratiques commerciales au sens de l’article 2, sous d), de la directive sur les pratiques commerciales déloyales et sont, dès lors, soumises aux prescriptions édictées par cette dernière » ;

 

Selon la décision CE/ Royaume de Belgique, du 10 juillet 2014[5], les « annonces de réduction de prix, lesquelles constituent des pratiques commerciales, au sens de l’article 2, sous d), de la directive 2005/29, (…) relèvent, dès lors, du champ d’application de cette directive »

 

A l’instar de la Belgique[6], et de sa loi du 6 avril 2010[7], dont les articles 20, 21 et 29 ont été déclarés contraires aux dispositions de la directive 2005/29, la France dispose d’une réglementation plus restrictive concernant les annonces de réglementation des prix.

 

En effet, aux termes de l’article L113-3 du Code de la consommation,

 

« Tout vendeur de produit ou tout prestataire de services doit, par voie de marquage, d’étiquetage, d’affichage ou par tout autre procédé approprié, informer le consommateur sur les prix et les conditions particulières de la vente et de l’exécution des services, selon des modalités fixées par arrêtés du ministre chargé de l’économie, après consultation du Conseil national de la consommation. »

 

L’arrêté du 31 décembre 2008, pris en application de la loi[8], disposant en son article 1 que :

 

« Toute publicité à l’égard du consommateur comportant une annonce de réduction de prix doit (…) préciser :

 

        l’importance de la réduction soit en valeur absolue, soit en pourcentage par rapport au prix de référence défini à l’article 2 ; (…) »

 

Article 2 selon lequel :

 

« Le prix de référence visé par le présent arrêté ne peut excéder le prix le plus bas effectivement pratiqué par l’annonceur pour un article ou une prestation similaire, dans le même établissement de vente au détail ou site de vente à distance, au cours des trente derniers jours précédant le début de la publicité. Le prix de référence ainsi défini peut être conservé en cas de réductions de prix annoncées de manière successive au cours d’une même opération commerciale, dans la limite d’un mois à compter de la première annonce de réduction de prix, ou au cours d’une même période de soldes ou de liquidation. »

 

Sanctionné par l’article R113-1 du code de la consommation, comme une contravention de cinquième classe (1500 euros maximum[9]).

 

Poursuivie sur la base de cette législation, et condamnée par la Chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Bordeaux à 97 amendes de 75 € chacune (7275 €) et 35 amendes de 75 € chacune (2625 €), la société Cdiscount a excipé de l’illégalité l’arrêté de 2008 aux dispositions de la directive 2005/29/CE, moyen rejeté par les juges du fond, mais accueilli par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, pour laquelle le litige présente une question d’interprétation de la directive qui commande de saisir la CJUE.

 

L’article 20 de la loi belge du 6 avril 2010, sanctionnée par la CJUE, qui prévoyait qu’ 

 

« une entreprise ne peut, vis-à-vis du consommateur, procéder à l’annonce d’une réduction de prix par rapport au prix appliqué précédemment pour le même produit, que lorsque le nouveau prix est inférieur au prix de référence, qui est le prix le plus bas qu’elle a appliqué au cours du mois précédant le premier jour pour lequel le nouveau prix est annoncé. La charge de la preuve du respect de cette condition incombe à l’entreprise »

 

étant similaire aux dispositions de l’arrêté du 31 décembre 2008, la France peut raisonnablement s’attendre à une condamnation.

 

Sylvain VERBRUGGHE

Vivaldi-Avocats

 


[1]Directive 2005/29/CE

[2]CJUE, 23 avril 2009, C‑261/07 et C‑299/07, VTB-VAB et Galatea §52 ; CJUE, 14 janvier 2010, C-304/08, Plus Warenhandelsgesellschaft §41 ; CJUE, 9 novembre 2010, C‑540/08, Mediaprint Zeitungs- und Zeitschriftenverlag ; CJUE, 30 juin 2011, C-288/10, WAMO, §33.

[3]CJUE, 30 juin 2011, préc.

[4]CJUE, 15 décembre 2011, C-126/11, INNO, §30                

[5]CJUE , 10 juillet 2014, C-421/12, CE/Royaume de Belgique,

[6]CJUE, 10 juillet 2014, préc.

[7]Loi du 6 avril 2010 relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur,

[8]Arrêté du 31 décembre 2008 relatif aux annonces de réduction de prix à l’égard du consommateur

[9]Article 131-13 du Code pénal

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