Déclaration Notariée d’Insaisissabilité (DNI) sur un immeuble indivis : le liquidateur judiciaire d’un indivisaire ne peut pas provoquer la licitation partage

Thomas LAILLER
Thomas LAILLER

 

Source : Cass. com. 14 mars 2018, n°16-27.302, F-P+B+I

 

I – Bref rappel des termes du débat

 

Dès sa mise en place en 2003, la déclaration notariée d’insaisissabilité (DNI) suscitait des interrogations sur son efficacité en cas de procédure collective de l’entrepreneur individuel. Se posait plus précisément la question de l’opposabilité de la déclaration notariée d’insaisissabilité à la liquidation judiciaire du déclarant. La Cour de cassation s’était d’abord fondée implicitement sur l’étendue de l’effet réel de la procédure pour affirmer l’efficacité de principe de la déclaration d’insaisissabilité de l’immeuble hors procédure[1], pour ensuite se situer sur le terrain de la qualité à agir du mandataire judiciaire, pour dénier au liquidateur le droit d’agir en inopposabilité dès lors qu’il ne peut légalement le faire que pour la défense de l’intérêt collectif des créanciers, et non d’un groupe de créanciers, sachant qu’en application de l’article L.526-1 du Code de commerce, la déclaration d’insaisissabilité n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent, postérieurement à sa publication, à l’occasion de l’activité[2].

 

Cette lecture processuelle s’était donc tout logiquement étendue à l’action paulienne[3], ou encore à la licitation partage de l’immeuble indivis déclaré insaisissable[4]. Seule était permise l’inscription d’une hypothèque judiciaire sur l’immeuble[5], ou encore la contestation de la régularité de la DNI, à l’appui d’une demande tendant à reconstituer le gage commun des créanciers[6]. Le corolaire à tout cela est que le créancier auquel la DNI n’est pas opposable peut poursuivre la saisie de l’immeuble soustrait aux règles de la liquidation judiciaire[7].

 

Le principe était donc posé : le liquidateur ne peut agir que s’il représente tous les créanciers, et pas seulement certains d’entre eux, à qui notamment la déclaration serait inopposable. Cependant le passif est généralement composé à la fois de créanciers auxquels la déclaration est inopposable (créanciers professionnels antérieurs à la déclaration et créanciers non professionnels) et de créanciers auxquels elle est opposable (créanciers professionnels postérieurs à la déclaration), ce qui prive donc le liquidateur de la faculté d’agir en inopposabilité et/ou aux fins de vente de l’immeuble, puisqu’il n’agit pas dans l’intérêt de tous les créanciers. Pour que le liquidateur puisse agir ainsi, le passif devrait être exclusivement composé de créanciers auxquels la déclaration d’insaisissabilité est inopposable (créanciers professionnels antérieurs à la déclaration et créanciers non professionnels), ce qui n’est jamais le cas en pratique.

 

II – L’espèce

 

Le propriétaire indivis, avec son épouse, d’un bien qu’ils ont déclaré insaisissable par un acte publié le 16 avril 2004, a été mis en redressement puis liquidation judiciaires les 11 septembre 2007 et 29 septembre 2008. Le liquidateur a assigné l’épouse en partage de l’indivision et licitation de l’immeuble.

 

La cour d’appel (CA Toulouse, 28 juin 2016, n°13/03367) a déclaré cette demande recevable, retenant que le liquidateur, exerçant les droits et actions du débiteur dessaisi de la libre administration de son patrimoine, a qualité pour agir en partage de l’indivision sur le fondement de l’article 815 du Code civil, et que le partage peut toujours être provoqué par l’un des indivisaires, sans que la déclaration d’insaisissabilité puisse faire obstacle à cette action.

 

Le débiteur a saisi la Cour de cassation d’un pourvoi, lui posant la question suivante : l’insaisissabilité de l’immeuble en indivision fait-elle obstacle à l’action en licitation du liquidateur du débiteur coïndivisaire ? 

 

III – L’arrêt de cassation

 

Par cette nouvelle décision, la Cour de cassation rappelle que dès lors que le bien avait fait l’objet d’une déclaration d’insaisissabilité régulièrement publiée avant le jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire, les droits indivis du débiteur n’avaient pas été appréhendés par la procédure collective, et le liquidateur n’avait pas qualité pour agir en partage et licitation sur le fondement de l’article 815 du code civil.

 

La Haute juridiction réaffirme le principe posé déjà dans son arrêt du 30 juin 2015[8], mais qui était demeuré inédit. Il a cette fois-ci droit à une large publicité, permettant de consacrer ce principe découlant logiquement des postulats rappelés par la Cour régulatrice, quant à l’effet réel des procédures collectives, et la qualité à agir du liquidateur judiciaire.

 

La déclaration notariée d’insaisissabilité n’a pas été adaptée à l’hypothèse de la liquidation judiciaire de l’entrepreneur individuel, ce qui lui vaut depuis son origine une série de critiques. La Cour de Cassation confirme ainsi ne pas être favorable aujourd’hui à l’idée de permettre au liquidateur judiciaire d’agir en vente forcée du bien immobilier grevé d’une déclaration d’insaisissabilité opposable. L’esprit du texte est sauf.

 

Thomas LAILLER

Vivaldi-Avocats



[1] Cass. com. 28 juin 2011, n°10-15.482, FS-P+B+R+I

[2] Cass. com. 13 mars 2012, n°11-15.438, FS-P+B

[3] Cass. com., 23 avril 2013, n°12-16.035, FS-P+B ; Décision anéantie depuis l’ordonnance du 12 mars 2014 et pour les procédures collectives ouvertes postérieurement au 1er juillet 2014 : la déclaration notariée d’insaisissabilité de la résidence principale ou d’autres immeubles est désormais expressément mentionnée au rang des actes susceptibles d’être annulés (nullité de plein droit postérieurement à la date de cessation des paiements, nullité « facultative » dans les 6 mois qui précèdent selon l’article L.632-1 du Code de commerce)

[4] Cass. com., 30 juin 2015, n°14-14.757, F-D

[5] Cass. com., 11 juin 2014, n°13-13.643, FS-P+B

[6] Cass. com., 15 novembre 2016, n°14-26.287, FS-P+B+I

[7] Cass. com. 5 avril 2016, n°14-24.640, FS-P+B

[8] Cass. com., 30 juin 2015, n°14-14.757, F-D

 

 

 

 

 

Partager cet article
Vivaldi Avocats