Saisie contrefaçon : du statut de victime à celui de dénigreur

Thomas Chinaglia

La chambre commerciale de la Cour de cassation juge, dans un arrêt du 15 octobre 2025, que l’existence d’une saisie-contrefaçon réalisée dans le cadre d’une action en contrefaçon de droit d’auteur ne légitime pas le fait d’alerter des tiers sur une prétendue contrefaçon. Une telle communication constitue un dénigrement dès lors qu’aucune décision judiciaire n’a encore établi l’atteinte alléguée. Si l’arrêt ne fait que réaffirmer une jurisprudence bien établie, il rappelle fermement aux titulaires de droits de propriété intellectuelle la prudence qui s’impose dans leurs prises de parole avant tout jugement.

Com. 15 oct. 2025, F-B, n° 24-11.150

I –

L’arrêt commenté concerne une société commercialisant un carillon à vent en bois fabriqué de manière artisanale. Estimant qu’une société concurrente commercialisait un modèle contrefaisant, elle a obtenu, par ordonnance du 22 septembre 2022, une saisie-contrefaçon exécutée le 9 novembre suivant. Parallèlement, elle a adressé des mises en demeure aux distributeurs de la société concurrente et de son prestataire, leur demandant de cesser toute distribution des produits litigieux. Ces derniers ont alors engagé, en référé, une action en dénigrement, estimant que ces mises en demeure constituaient un trouble manifestement illicite.

La cour d’appel de Montpellier, dans un arrêt du 9 novembre 2023, a rejeté leur demande. Selon les juges du fond, les mises en demeure se bornaient à informer les distributeurs, en des termes mesurés, de la possibilité d’actions judiciaires ultérieures et ne contenaient ni accusations mensongères, ni propos malveillants ou menaçants. Elles restaient, selon eux, dans les limites d’une information légitime sur les droits invoqués.

Un pourvoi a alors été formé. La question posée à la Cour de cassation était de savoir si l’exécution d’une saisie-contrefaçon peut, à elle seule, justifier l’envoi de mises en demeure aux partenaires commerciaux du prétendu contrefacteur pour leur demander de cesser toute commercialisation.

Par un arrêt du 15 octobre 2025, la chambre commerciale répond clairement par la négative. Au visa de l’article 1240 du code civil, elle juge qu’en l’absence de décision judiciaire établissant la contrefaçon, le seul fait d’informer des tiers d’une possible contrefaçon constitue un dénigrement des produits visés. La cour d’appel est donc censurée : elle a recherché si les termes de la mise en demeure étaient dénigrants, alors que le simple fait d’alerter des tiers sur une contrefaçon non encore reconnue judiciairement suffit à caractériser le dénigrement.

Bien que l’arrêt soit lapidaire, il s’inscrit dans une jurisprudence constante et agit comme un avertissement : les titulaires de droits de propriété intellectuelle ne peuvent, avant toute décision au fond, mettre en péril l’image ou l’activité commerciale de leurs concurrents en invoquant publiquement une contrefaçon encore incertaine.

II –

Cet arrêt du 11 septembre 2025 (n° 24-13.160), promis à la publication, marque une inflexion subtile mais importante dans la jurisprudence relative à l’irrecevabilité des conclusions de l’intimé après cassation. Tout en confirmant la règle de principe – irrecevable un jour, irrecevable toujours –, la Cour de cassation y introduit une exception fondée sur le respect du contradictoire et des droits de la défense, protégés par l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme.

La Cour rappelle d’abord avec insistance les principes établis : le renvoi après cassation ne crée pas une nouvelle instance, l’instruction reprend en l’état, et l’irrecevabilité des conclusions non contestée par déféré s’impose à la juridiction de renvoi. Cependant, elle précise que ces règles doivent s’articuler avec le principe d’égalité des armes : lorsqu’un moyen est relevé d’office, l’intimé, même frappé d’irrecevabilité, doit être mis en mesure d’y répondre. Il s’agit d’éviter qu’il soit placé dans une situation de désavantage manifeste face à son adversaire.

En l’espèce, la cour d’appel de renvoi avait respecté le contradictoire en invitant les parties à présenter leurs observations sur l’irrecevabilité. Mais la Cour de cassation estime que, puisque le moyen déterminant avait été relevé d’office, l’intimé devait pouvoir conclure à ce sujet, malgré l’irrecevabilité antérieure de ses écritures. Ce revirement nuancé ouvre une brèche dans la rigueur traditionnelle du contentieux d’appel : le silence procédural imposé à l’intimé n’est plus absolu lorsque le juge modifie les termes du débat.

La solution s’inscrit dans une logique de proportionnalité : la sanction procédurale ne saurait annihiler le droit fondamental à la défense. L’intimé reste donc irrecevable à conclure de manière générale, mais il recouvre la possibilité de répondre strictement au moyen nouveau soulevé d’office. Mieux encore, la Cour admet qu’il puisse, dans ce cadre limité, invoquer des moyens qui en découlent et même formuler des prétentions nouvelles liées à ce débat restreint, conformément à l’article 910-4, alinéa 2, du code de procédure civile.

En somme, cet arrêt humanise la rigueur de la procédure d’appel : il maintient la discipline procédurale tout en réaffirmant que le droit à un procès équitable prime lorsque la structure du débat change du fait du juge. L’intimé n’obtient pas un « droit à la seconde chance », mais la faculté – essentielle – de se défendre lorsque le juge ouvre un terrain nouveau.

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